C’est la plus grande manifestation sociale au Sahara depuis 1975. Depuis plus de trois semaines, 12 000 personnes vivent sous des tentes dans un campement de fortune, totalement inaccessible aux forces de l’ordre et aux autorités locales ou centrales. Reportage.
À Laâyoune, les principaux hôtels de la ville affichent complet. Depuis un peu plus d’une semaine en effet, plusieurs officiels et gradés militaires ont élu domicile au chef-lieu du Sahara. Parmi eux, le ministre
de l’Intérieur, quelques généraux des FAR, en plus des patrons des principaux services de renseignement du pays. Leur mission ? Faire évacuer, avant le 6 novembre, les milliers de protestataires installés dans un campement de fortune à l’est de Laâyoune. “A Rabat, on pense qu’on ne peut pas sereinement fêter l’anniversaire de la Marche Verte dans ces conditions”, explique un responsable local à Laâyoune. “Mais vu les conditions actuelles, nous devrons peut-être nous y résigner”, soupire un militant associatif, impliqué dans la négociation avec les représentants des habitants du campement d’Agdim Izig.
L’installation est située à sept kilomètres à l’est de la ville, sur la route de Smara. A la sortie de Laâyoune, un premier barrage de police filtre les voitures qui se dirigent vers “le campement de la colère”. Seules les voitures de particuliers sont contrôlées, les Land-Rover (utilisés comme moyen de transport collectif au Sahara) passent ce premier barrage sans encombre. A bord, des dizaines d’habitants qui font l’aller-retour entre le camp et Laâyoune. “Les gens rentrent en ville pour se changer, se doucher ou s’approvisionner puis reviennent à leurs tentes. Ils y passent la nuit ou une grande partie de la soirée”, explique notre guide. Quelques kilomètres plus loin, nouveau barrage. Ce dernier est tenu par la Gendarmerie royale. Le contrôle est plus strict. Toutes les voitures sont inspectées, certains conducteurs sont même priés de se ranger sur le bord de la route. C’est à ce niveau que les journalistes, les militants associatifs ou les visiteurs étrangers à la ville sont autorisés (ou pas) à poursuivre leur chemin vers le camp d’Agdim Izig. L’attente se prolonge. En tout, quatre véhicules et plus de 20 militaires, tous en treillis, assurent le contrôle. Dans l’un des véhicules stationnés sur le bord de la route, un gendarme feuillette un document comprenant des photos des “activistes du Polisario dans la région de Laâyoune”. Des dizaines de vignettes en noir et blanc que l’officier consulte plusieurs fois durant notre attente. “Plusieurs militaires, gendarmes et membres des Forces auxiliaires ont été appelés en renfort. Ceux qui viennent du nord doivent donc compiler ce genre de documents pour se mettre à la page et reconnaître ceux qu’ils sont censés bloquer aux barrages”, explique un militaire, en poste dans le sud depuis plus de deux ans. Après 30 minutes d’attente et de vérifications en tous genres, nous sommes autorisés à avancer en direction du camp.
Stop, barrage !
Il est midi. Un vent violent se lève sur Laâyoune, provoquant une violente tempête de sable. A quelques encablures du premier barrage, les premiers camions militaires apparaissent à l’horizon. “Nous nous approchons du campement, explique notre guide. Pour bloquer les accès par la piste, l’armée a érigé un petit mur de sable et posté des véhicules militaires tout autour. Aujourd’hui, seule la route nationale reliant Laâyoune à Smara permet d’accéder au campement”. A l’entrée de ce dernier, un véritable bataillon de guerre monte la garde. Tous les corps sécuritaires (militaires et civils) y sont représentés : armée, gendarmerie, Forces auxiliaires, RG, etc. Le ton est cordial, mais ferme. La tension est palpable même si les officiers en place restent étrangement indifférents au ballet (incessant) de véhicules qui rentrent et qui quittent le campement. “Ils ont des ordres pour ne pas trop embêter les habitants du camp. L’Etat joue la carte de l’apaisement mais reste vigilant au cas où une intervention deviendrait nécessaire”, explique une source sécuritaire locale. Soit, mais en fermant les yeux sur ces allers-retours, de nouvelles personnes ne risquent-elles pas de rejoindre le campement, d’y dresser de nouvelles tentes et de grossir ainsi indéfiniment les rangs des protestataires ? “Au point où on en est, ce n’est plus le nombre des protestataires qui importe. On ne compte plus en dizaines mais en centaines, voire en milliers”, ironise notre militant associatif. A ce jour en effet, les organisateurs du campement affirment recenser près de 3500 tentes, abritant près de 12 000 personnes. Des chiffres que relativisent les officiels, incapables pourtant de fournir des statistiques plus précises. “Au tout début du mouvement de protestation, explique un habitant du campement, les organisateurs ont demandé aux autorités locales d’installer des dispensaires et des annexes administratives à l’intérieur du camp. En vain. Cela leur aurait pourtant permis de garder un œil sur ce qui se passe ici. Mais aujourd’hui, du coup, cet espace échappe totalement à l’autorité des pouvoirs publics”. Les militaires postés à l’entrée du campement nous le disent d’ailleurs sans détours : “S’il vous arrive un malheur à l’intérieur du camp, nous ne pourrons rien pour vous”.
Quelques centaines de mètres séparent le dernier barrage militaire de celui dressé par les organisateurs du camp. Des jeunes trentenaires, qui dissimulent leurs visages sous des turbans noirs, contrôlent les voitures qui arrivent à leur niveau. Tous portent des badges qui précisent leurs noms et leurs fonctions. Ceux-là font partie du corps chargé de la sécurité. Chaque visiteur étranger est soumis au même rituel : contrôle des pièces d’identité, mini-interrogatoire sur les motifs de sa visite, etc. Il est ensuite installé sous une tente adjacente. Après une heure d’attente, une voiture, ou plutôt ce qu’il en reste, vient enfin nous chercher. D’ici, les tentes du camp Agdim Izig sont bien visibles, mais la voiture se dirige vers un endroit désert, plus à l’est. “Nous allons à l’administration”, indique le conducteur. L’administration, c’est en fait une grande tente noire, dressée à l’écart du campement. L’ameublement y est assez sommaire. Une dizaine de personnes, assises à même le sol, discutent autour de quelques verres de thé local. Le réseau téléphonique devient capricieux, voire inexistant. On se sent coupé du monde. “Ce campement est, pour nous, une manière pacifique et civilisée de protester contre nos conditions de vie. Nos jeunes ne trouvent pas de travail, des familles entières n’ont même pas de quoi se nourrir. C’est honteux pour une région pourtant riche et prospère”, lance un premier intervenant. La discussion s’enchaîne. “Dresser un campement à l’extérieur de la ville n’est pas une fin en soi. Nous souhaitons ainsi dire stop aux pratiques de corruption et de mauvaise gestion qui perdurent depuis près de 35 ans dans cette région. Les politiques publiques ont échoué au Sahara, et il faut le dire. Aujourd’hui, nous sommes décidés à ne pas rentrer chez nous tant qu’une nouvelle approche et un nouvel esprit ne sont pas trouvés pour la gestion du dossier dans sa globalité. Nous avons besoin d’une nouvelle vision, et surtout de garanties pour ne pas répéter les erreurs du passé”, explique l’un des membres de “la commission de dialogue”, désignée par les habitants pour négocier avec les pouvoirs publics.
À Laâyoune, les principaux hôtels de la ville affichent complet. Depuis un peu plus d’une semaine en effet, plusieurs officiels et gradés militaires ont élu domicile au chef-lieu du Sahara. Parmi eux, le ministre
de l’Intérieur, quelques généraux des FAR, en plus des patrons des principaux services de renseignement du pays. Leur mission ? Faire évacuer, avant le 6 novembre, les milliers de protestataires installés dans un campement de fortune à l’est de Laâyoune. “A Rabat, on pense qu’on ne peut pas sereinement fêter l’anniversaire de la Marche Verte dans ces conditions”, explique un responsable local à Laâyoune. “Mais vu les conditions actuelles, nous devrons peut-être nous y résigner”, soupire un militant associatif, impliqué dans la négociation avec les représentants des habitants du campement d’Agdim Izig.
L’installation est située à sept kilomètres à l’est de la ville, sur la route de Smara. A la sortie de Laâyoune, un premier barrage de police filtre les voitures qui se dirigent vers “le campement de la colère”. Seules les voitures de particuliers sont contrôlées, les Land-Rover (utilisés comme moyen de transport collectif au Sahara) passent ce premier barrage sans encombre. A bord, des dizaines d’habitants qui font l’aller-retour entre le camp et Laâyoune. “Les gens rentrent en ville pour se changer, se doucher ou s’approvisionner puis reviennent à leurs tentes. Ils y passent la nuit ou une grande partie de la soirée”, explique notre guide. Quelques kilomètres plus loin, nouveau barrage. Ce dernier est tenu par la Gendarmerie royale. Le contrôle est plus strict. Toutes les voitures sont inspectées, certains conducteurs sont même priés de se ranger sur le bord de la route. C’est à ce niveau que les journalistes, les militants associatifs ou les visiteurs étrangers à la ville sont autorisés (ou pas) à poursuivre leur chemin vers le camp d’Agdim Izig. L’attente se prolonge. En tout, quatre véhicules et plus de 20 militaires, tous en treillis, assurent le contrôle. Dans l’un des véhicules stationnés sur le bord de la route, un gendarme feuillette un document comprenant des photos des “activistes du Polisario dans la région de Laâyoune”. Des dizaines de vignettes en noir et blanc que l’officier consulte plusieurs fois durant notre attente. “Plusieurs militaires, gendarmes et membres des Forces auxiliaires ont été appelés en renfort. Ceux qui viennent du nord doivent donc compiler ce genre de documents pour se mettre à la page et reconnaître ceux qu’ils sont censés bloquer aux barrages”, explique un militaire, en poste dans le sud depuis plus de deux ans. Après 30 minutes d’attente et de vérifications en tous genres, nous sommes autorisés à avancer en direction du camp.
Stop, barrage !
Il est midi. Un vent violent se lève sur Laâyoune, provoquant une violente tempête de sable. A quelques encablures du premier barrage, les premiers camions militaires apparaissent à l’horizon. “Nous nous approchons du campement, explique notre guide. Pour bloquer les accès par la piste, l’armée a érigé un petit mur de sable et posté des véhicules militaires tout autour. Aujourd’hui, seule la route nationale reliant Laâyoune à Smara permet d’accéder au campement”. A l’entrée de ce dernier, un véritable bataillon de guerre monte la garde. Tous les corps sécuritaires (militaires et civils) y sont représentés : armée, gendarmerie, Forces auxiliaires, RG, etc. Le ton est cordial, mais ferme. La tension est palpable même si les officiers en place restent étrangement indifférents au ballet (incessant) de véhicules qui rentrent et qui quittent le campement. “Ils ont des ordres pour ne pas trop embêter les habitants du camp. L’Etat joue la carte de l’apaisement mais reste vigilant au cas où une intervention deviendrait nécessaire”, explique une source sécuritaire locale. Soit, mais en fermant les yeux sur ces allers-retours, de nouvelles personnes ne risquent-elles pas de rejoindre le campement, d’y dresser de nouvelles tentes et de grossir ainsi indéfiniment les rangs des protestataires ? “Au point où on en est, ce n’est plus le nombre des protestataires qui importe. On ne compte plus en dizaines mais en centaines, voire en milliers”, ironise notre militant associatif. A ce jour en effet, les organisateurs du campement affirment recenser près de 3500 tentes, abritant près de 12 000 personnes. Des chiffres que relativisent les officiels, incapables pourtant de fournir des statistiques plus précises. “Au tout début du mouvement de protestation, explique un habitant du campement, les organisateurs ont demandé aux autorités locales d’installer des dispensaires et des annexes administratives à l’intérieur du camp. En vain. Cela leur aurait pourtant permis de garder un œil sur ce qui se passe ici. Mais aujourd’hui, du coup, cet espace échappe totalement à l’autorité des pouvoirs publics”. Les militaires postés à l’entrée du campement nous le disent d’ailleurs sans détours : “S’il vous arrive un malheur à l’intérieur du camp, nous ne pourrons rien pour vous”.
Quelques centaines de mètres séparent le dernier barrage militaire de celui dressé par les organisateurs du camp. Des jeunes trentenaires, qui dissimulent leurs visages sous des turbans noirs, contrôlent les voitures qui arrivent à leur niveau. Tous portent des badges qui précisent leurs noms et leurs fonctions. Ceux-là font partie du corps chargé de la sécurité. Chaque visiteur étranger est soumis au même rituel : contrôle des pièces d’identité, mini-interrogatoire sur les motifs de sa visite, etc. Il est ensuite installé sous une tente adjacente. Après une heure d’attente, une voiture, ou plutôt ce qu’il en reste, vient enfin nous chercher. D’ici, les tentes du camp Agdim Izig sont bien visibles, mais la voiture se dirige vers un endroit désert, plus à l’est. “Nous allons à l’administration”, indique le conducteur. L’administration, c’est en fait une grande tente noire, dressée à l’écart du campement. L’ameublement y est assez sommaire. Une dizaine de personnes, assises à même le sol, discutent autour de quelques verres de thé local. Le réseau téléphonique devient capricieux, voire inexistant. On se sent coupé du monde. “Ce campement est, pour nous, une manière pacifique et civilisée de protester contre nos conditions de vie. Nos jeunes ne trouvent pas de travail, des familles entières n’ont même pas de quoi se nourrir. C’est honteux pour une région pourtant riche et prospère”, lance un premier intervenant. La discussion s’enchaîne. “Dresser un campement à l’extérieur de la ville n’est pas une fin en soi. Nous souhaitons ainsi dire stop aux pratiques de corruption et de mauvaise gestion qui perdurent depuis près de 35 ans dans cette région. Les politiques publiques ont échoué au Sahara, et il faut le dire. Aujourd’hui, nous sommes décidés à ne pas rentrer chez nous tant qu’une nouvelle approche et un nouvel esprit ne sont pas trouvés pour la gestion du dossier dans sa globalité. Nous avons besoin d’une nouvelle vision, et surtout de garanties pour ne pas répéter les erreurs du passé”, explique l’un des membres de “la commission de dialogue”, désignée par les habitants pour négocier avec les pouvoirs publics.
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