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Mon Heure de vérité à moi

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  • Mon Heure de vérité à moi

    De Kenza Sefrioui
    "Mon Heure de vérité à moi"

    Jean Daniel,
    journaliste et écrivain (AFP)

    Antécédents

    1920.Naissance en Algérie.
    1947.Fonde la revue Caliban, avec le parrainage d’Albert Camus.1954.Commence à collaborer à L’Express.1964.Participe à la création du Nouvel Observateur.1989.A L’Heure de vérité sur Antenne 2, il interpelle Hassan II sur le sort des enfants Oufkir.1994.Reçoit le Prix Albert Camus pour son roman L’Ami anglais (Grasset).2004.Est nommé docteur honoris causa de l’Université d’Alger.

    Le PV
    L’œil vif, le regard perçant, la silhouette haute. Une présence aussi intense que sa longévité : voilà 90 ans déjà que Jean Daniel observe le siècle. Affable et doucement ironique, il reçoit avec un air amusé les jeunes journalistes qui “viennent voir le vieux sage”. Le journalisme, il est tombé dedans alors qu’il était encore étudiant en philosophie. Au diable l’agreg, il lâche tout pour fonder une revue “de vulgarisation intellectuelle marquée à gauche”, Caliban. C’est à L’Express qu’il fait ensuite ses armes de reporter international en couvrant la guerre d’Algérie et la crise cubaine, avant de participer à la naissance du Nouvel Observateur, dont il dirige la rédaction. Scribe infatigable, Jean Daniel a aussi commis une vingtaine d’essais et de romans. Il était récemment à Casablanca et Rabat pour présenter Avec Camus, comment résister à l’air du temps (Gallimard, 2006). Jean Daniel dit de son ami et maître, qui avait en commun avec lui une enfance dans l’Algérie française : “Camus a été l’honneur et le bonheur de ma vie”.


    Smyet bak ?
    Jules Bensaïd.

    Smyet mok ?
    Rachel Bensimon.

    Nimirou d’la carte ?
    Je ne comprends pas. De toute façon, je ne réponds jamais à ce genre de question.

    Jean Daniel, c’est votre nom de plume ?
    Oui.

    Vous êtes né de ce côté-ci de la Méditerranée…
    Je suis né juif en Algérie, mais dans l’Algérie française. Autour de moi, on ne parlait pas l’arabe. Tous les petits Arabes de mon entourage parlaient français. Je regrette énormément de ne pas parler arabe. C’est un handicap pour moi de m’être beaucoup occupé des Arabes sans parler la langue, sauf quelques mots sacrés. Inchallah est un très beau mot…

    Autre signe culturel particulier ?
    Mon enfance juive. C’était une grande tribu, une maison bruyante d’enfants. J’étais le dernier de onze enfants… C’était irrespectueux de parler fort devant mon père. Il était très beau et avait beaucoup d’autorité. On ne fumait pas devant lui, même les ouvriers arabes cachaient leur cigarette derrière leur dos en sa présence. J’aimais beaucoup mon père quand il priait chez nous.

    Et la religion dans tout cela ?
    En fait, je n’aimais pas quand mon père priait à la synagogue. J’aimais la religion quand elle ressemblait à mon père. Quand il est parti, Dieu est parti.

    Pourquoi avez-vous fait le choix de la France ?
    Je ne me suis pas posé de questions : mon grand-père était français et j’avais la nationalité française. Vous savez, le fameux décret Crémieux... (ndlr : ce décret du 24 octobre 1870 a donné la citoyenneté française aux 37 000 juifs d'Algérie). C’est dû aussi à mes études : à quinze ans, je connaissais mieux Homère que Moïse et Mahomet.

    Quelle image gardez-vous de votre enfance en Algérie ?
    J’ai grandi dans un pays où les Algériens étaient étrangers chez eux, étaient dépossédés de leur passé, et où ils ont eu le malheur de ne pas mériter le sacrifice de leur indépendance…

    C’est-à-dire ?
    C’est terrible de se battre et de perdre des centaines de milliers de ses fils, pour aboutir à un pays d’où tout le monde veut partir. Dans toute l’histoire des peuples colonisés, dans la bataille pour l’indépendance, la dimension épique était faite de la liberté individuelle. Très souvent, à l’intérieur des combats, l’objectif était de bouter hors des frontières l’ennemi, l’ennemi racialisé : ça a mobilisé les foules. Mais après, quand il a fallu revenir à l’authenticité d’avant la colonisation, il y a eu un retour en deçà de ce qu’il y avait avant.

    C’est valable aussi pour le Maroc ?
    C’est pareil. L’indépendance s’est associée à l’absence de l’occupant, et non à la conquête des droits individuels… Et il y a eu un retour à un état pire qu’avant l’occupation. Les Français sont encore là, beaucoup. Ils ont raison, c’est un beau pays... Je me souviens qu’à propos de la monarchie, Ben Barka a dit, devant moi, quand le roi [Mohammed V] a été poussé à l’exil : “Il vient de sauver la monarchie”. L’histoire, notre histoire, est quelque chose de très complexe.

    Ici, vous êtes célèbre comme l’homme de L’Heure de vérité, où vous avez interrogé Hassan II sur les enfants Oufkir. Racontez-nous…
    Ah, L’Heure de vérité… C’est sûr, c’est un souvenir marquant, j’ai passé un mauvais quart d’heure ! Mais surtout, pour la plupart des gens, Jean Daniel, c’est celui qui était à côté du roi. Il y a une telle sacralisation du roi ici… Le chauffeur marocain d’un taxi à Paris, qui avait regardé l’émission, a même refusé de me faire payer !

    Et s’il y avait une deuxième Heure de vérité ?
    J’aurais durci la question, il n’y a aucun doute. Mais, sur le moment, il y avait des choses que je ne savais pas. Tazmamart, honnêtement, je ne savais pas. Je plaide coupable. Si j’avais su ça, je ne sais même pas si j’aurais accepté d’y aller.

    Vous qui avez connu les trois rois du Maroc, êtes-vous optimiste sur l’avenir démocratique du pays ?
    Je vais vous poser une question : l’idéal, c’est quoi ? Une monarchie constitutionnelle ou un despotisme éclairé ? C’est ça, la question fondamentale… Si on veut une monarchie constitutionnelle, où est la Constitution ? Si on veut un despotisme éclairé, où est la lumière ?

    Quelle est la principale qualité d’un bon journaliste ?
    Il faut avoir une formation historique pour faire des rapprochements. Être capable par exemple de savoir ce qu’aurait fait Hassan II à la place de Mohammed VI : pourquoi il a choisi de développer le nord, en quoi ça va bénéficier au sud ? Un journaliste doit se poser les questions, même si souvent il ne peut pas y répondre. Quel que soit l’homme au pouvoir, on a la possibilité de poser les questions, pour essayer de saisir la vraie nouveauté. Ça, on ne peut pas nous l’enlever.

    Que pensez-vous des changements que connaît le métier ?
    Nous avons un très beau métier, qui est en train d’avoir de nouvelles exigences, avec le règne total de l’image, avec l’invention très importante d’Internet, avec le changement de langage, de message, et avec l’idée que les deux lois nouvelles de la communication sont l’omniprésence et la vitesse. C’est-à-dire que nous vivons en live, comme on dit, n’importe quel événement qui se passe sur la planète. Donc on ne peut pas s’adresser au lecteur de la même manière. Personnellement, je ne me sens pas concerné par ces métamorphoses.

    Pour Camus, votre maître et ami, “un pays vaut souvent ce que vaut sa presse”. Aujourd’hui au Maroc ce n’est pas brillant. Y a-t-il une conclusion à en tirer ?
    Je vais vous le dire très rapidement : la presse est mille fois plus libre au Maroc qu’en Tunisie, où l’autocensure a pollué les esprits !

    Merci pour la comparaison !
    D’accord, ce n’est pas très méritoire. Au Maroc, il y a quand même eu une période dorée. Mais je suis très inquiet quand je vois le recul actuel de la liberté d’expression. Les limitations de la presse sont le symbole d’autre chose, de violations plus généralisées... Les dirigeants marocains font des choses dangereuses. Ils ne savent pas que les petites restrictions ne restent jamais petites ; c’est une suite de mises en condition de l’esprit. Ça intimide certains sur le moment, mais à la fin, la répression se retourne contre le pouvoir.



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    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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