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Maroc: Presse satirique. Quand le rire était Roi

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  • Maroc: Presse satirique. Quand le rire était Roi

    Par Hicham Oulmouddane




    Presse satirique. Quand le rire était roi
    (DR)



    Née dans le contexte trouble des années 1970, la presse satirique joignait la verve populaire à la critique politique. Retour aux sources d’un genre aujourd’hui disparu.



    Akhbar souk, Takchab... sous des titres incisifs et drôles, ces mythes fondateurs de la presse satirique marocaine ont fait, pendant des années, la gloire du politiquement incorrect. Dans la région, il ne s’agissait pas d’une exception. “C’est une presse qui est arrivée en retard au Maroc comparé à l’Algérie, où le journal Lmanchar faisait déjà

    fureur pendant les années 1960”, souligne Lahsen Bakhti, ancien caricaturiste du journal Al Ittihad Al Ichtiraki. Trois caricaturistes vont rattraper ce retard à la fin des années 1970.

    Je rigole, tu rigoles


    Mohamed Filali, Hamid Bouhali et Larbi Sabbane lancent, en 1978, le premier hebdomadaire satirique au Maroc : Satirix. “On écrivait en français à cause de l’influence de la BD et des caricatures françaises”, se rappelle Hamid Bouhali. Le succès est au rendez-vous, mais l’usage de la langue de Molière va tout de même limiter la diffusion du journal. Six numéros plus tard, les trois mousquetaires de la caricature prennent une décision stratégique : Satirix devient Akhbar souk. Les textes qui accompagnent les caricatures sont désormais rédigés en darija. Une grande aventure est née.
    “Notre ligne éditoriale était très simple : on chroniquait la vie “des petites gens”, en parlant le langage du lumpenprolétariat”, se souvient Hamid Bouhali. Et c’est une réussite. Akhbar souk passe rapidement de 5000 exemplaires par semaine à des pics avoisinant les 180 000 exemplaires, pulvérisant ainsi les ventes de la sainte presse partisane.
    Au fil des succès, l’équipe de caricaturistes d’Akhbar souk s’étoffe avec de nouveaux talents comme Najim Kamal, ou Hamouda, qui deviendra (plus tard) le caricaturiste du journal Al Ittihad Al Ichtiraki, de l’USFP.
    Akhbar souk se peuple de personnages qui deviendront sa marque de fabrique. Comme l’indéboulonnable “Chaouch Bouchnak”, créature de Hamid Bouhali dotée d’un esprit vénal, mesquin et délateur, qui orchestre les coulisses des administrations marocaines. Larbi Sabbane fait également entrer “Mehmaz” dans la mémoire collective, un personnage comique, image du bougre national avec sa jellaba rafistolée et sa taguia sous laquelle il porte les soucis des va-nu-pieds du Maroc. Quant à Mohamed Filali, il donne vie à son personnage fétiche “Bouteftaf”, un concentré de tous les troubles du comportement possibles. “On menait une guerre sans merci contre la corruption qui sévissait au sein de l’administration, même si notre journal n’avait rien de politique”, souligne Bouhali.
    Le succès du journal satirique va également faire le bonheur des rotatives de Sapress, qui écoule le magazine quasiment sans invendus. Les numéros d’Akhbar souk s’arrachent même plusieurs semaines après leur parution. Il est l’accessoire indispensable du voyageur dans les gares routières, où un ancien numéro s’arrache au prix du neuf, voire plus. “C’étaient des années difficiles, les gens étaient demandeurs d’un humour acide, à l’image de leur existence”, évoque Hamid Bouhali.

    Naufrage et renaissance


    Au milieu des années 1980, Akhbar souk commence à vaciller. Ne disposant que de maigres ressources publicitaires et souffrant d’une gestion approximative, le journal qui fait rire le petit peuple est en difficulté. “Nous étions jeunes et sans aucune expérience en gestion d’entreprise”, concède Bouhali. La censure n’a pas eu le temps de frapper, comme c’est le cas pour de nombreuses autres icônes de la presse écrite de l’époque. Akhbar souk ferme boutique en 1985, et Hamid Bouhali ainsi que d’autres caricaturistes décident de créer Takchab, un nouveau journal satirique davantage orienté politique.
    Ce qui n’est pas du goût du Makhzen. Hassan II n’apprécie guère les caricatures, comme il le fera savoir en 1989, lors de l’émission “L’heure de vérité” : “J’admets la critique mais je requiers un minimum de respect dans l’expression de cette critique (…) Je ne tolérerai jamais une presse comme Le Canard Enchaîné. La caricature chez nous est quasiment interdite par consensus national”. Les caricaturistes sont conscients du danger. “Chaque soir je rentrais chez moi avec la peur d’être arrêté”, confie Ahmid Bouhali. C’est en 1986 que la caricature sonnant le glas de Takchab est publiée. Ayant suscité un vif débat au sein de la rédaction avant sa sortie, le dessin, signé Hamouda, ridiculise le redoutable Driss Basri et Lmati Bouabid, Premier ministre de l’époque. “Le lendemain, le commissaire de funeste mémoire, Mostafa Tabit himself, a envoyé ses barbouzes me chercher”, relate Bouhali. Malmené, il est libéré 22 jours après, avec ordre de passer tous les deux jours au commissariat pour signer un registre prévu à cet effet. Takchab ferme, suivi de près par Al Houdhoud, un autre journal satirique lancé par Mohamed Snoussi, alias Baz. La fin d’une époque.


    Tendance. Silence, ne riez plus !


    La nouvelle génération de caricaturistes qui a pris le relais vers la fin des années 1990 n’a pas connu un meilleur sort que son aînée. En 2003, le journal satirique Demain sombre avec la condamnation de son rédacteur en chef, Ali Lmrabet, suite à un procès retentissant. Sans oublier les récents déboires du quotidien Akhbar Al Youm, ayant publié une caricature du prince Moulay Ismaël jugée “insultante” par la justice marocaine, qui n’a pas hésité à fermer le journal et prononcer des amendes ainsi que des peines de prison avec sursis. “Aujourd’hui, la censure se fait à l’intérieur des rédactions, tout le monde a intériorisé la peur du Makhzen”, affirme Khalid Gueddar, auteur de la caricature en question.
    Les investisseurs se montrent également frileux vis-à-vis d’un genre considéré “trop risqué”. La satire politique trouve aujourd’hui son ultime refuge dans quelques rares titres de presse. “Plusieurs journaux proposent des suppléments satiriques ou des caricatures, mais c’est plus de l’illustration que de la caricature”, note le caricaturiste Lahcen Bakhti. Si la chasse à la satire politique a eu un effet désastreux sur l’existence de cette presse, d’autres raisons lestent aussi son décollage : “Un caricaturiste qui dissèque et synthétise l’information avant de dessiner une caricature, ça ne court pas les rues, c’est un journaliste à part entière”, lance Abdellah Chankou, directeur du tabloïd Le Canard libéré, unique journal satirique de la place. La question actuelle est bien celle de la relève.


    TelQuel
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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