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Abderrahmane Ben Mohammed El-Djilali

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  • Abderrahmane Ben Mohammed El-Djilali

    Ne cherchons pas bien loin cette personnalité algérienne rare: elle a existé dans notre pays avec tant d’autres grands esprits et elle vient de partir, comme tant d’autres tout aussi exceptionnels, pour un monde appelé Au-delà (el-Âkhira, la [Vie] Dernière) en Islâm.

    Il s’agit du chaïkh Abderrahmane Ben Mohammed El-Djilali qui, à près de 103 ans d’activité intense de théologien et d’historien, est décédé le vendredi 12 novembre 2010 et a été inhumé au cimetière Sîdî M’hamed à Alger.

    Voici quelques indications sur cet homme de foi et de réflexion et dont la renommée circule dans les foyers algérois et algériens et dans les cercles des intelligences musulmanes hors de nos frontières. Il est né le 9 février 1908 à Alger (commune de Bologgin ou Bologhine [en fait, Bolokîn ben Zîrî ibn Manâd eç-çanhâdjî, selon notre défunt chaïkh]) où s’était installée une partie de sa famille originaire de Blida. Tôt, sans doute même au cours de son enfance, son apprentissage de la langue arabe et du Saint Coran, traditionnellement dans les mosquées et les zaouâyâ, devait révéler un élève doué pour les études et un jeune esprit au regard curieux sur le monde. Bien des activités d’éveil, souvent informelles pourtant, contribueront à orienter son intelligence vers l’observation du milieu où il vit tant dans le domaine le plus large de l’éducation morale et religieuse que de l’instruction générale (lettres arabes, science, droit, histoire,...).

    Il fait le choix de son école

    Adolescent puis jeune homme, un vif engouement le porte à s’intéresser à l’étude du passé et à approfondir ses connaissances dans les sciences islamiques: exégèse coranique, ahâdîtes, droit musulman, histoire. Cherchant à façonner sa personnalité et, en quelque sorte, à reconstruire son identité dénaturée par le système colonial en Algérie, il fait, en écartant l’école française, le choix de son École, la mosquée et el-madrasa el-hourra. Par exemple, Abdelhalim Ben Smaïa aura été son chaïkh et Mohammed Ben Cheneb son professeur et son ami; parmi les plus proches de lui, auront été, entre autres, les chouyoûkh Mouloud Ez-Zarîbî El-Azhari et Aboulkacem El-Hafnâoui (1852-1942, à Bilâd ed-Dîs, près de Bou-Saâda, poète et surtout auteur de Tâ’rîkh el-khalaf bi-ridjâl as-salaf, 1907) dont il essaiera de reformuler la méthode de recherche jugée trop conforme au modèle ancien et donc dépassée. Sa tentative est de faire de l’Histoire une Science dont l’objet est l’Homme et non plus un pur genre littéraire comme ses prédécesseurs qui truffent leur Ta’rîkh de biographies d’hommes illustres sans commentaire et surtout d’événements souvent sans analyse, ni méthode, ni critique approfondie.

    Ainsi, jouissant d’une excellente formation permanente en langue arabe pour étudier le Coran et les sciences islamiques dans toute leur étendue, Abderrahmane El-Djilali est imâm aux mosquées (djâma‘ Sîdî Safîr et djâma‘ Sîdî Ramdhâne) tout en entreprenant des recherches sur l’histoire de l’Algérie. Et il était certainement au fait des travaux qui passaient pour être plus modernes à l’époque. Essentiellement, il considère avec attention l’Histoire de l’Algérie dans le passé et le présent (1929) et les activités dans le mouvement réformiste de chaïkh al-Moubârek el-Mîlî qui écrivait dans la préface à son ouvrage: «L’histoire est le miroir du passé et l’échelle (grâce à laquelle, on s’élève) dans le présent. Elle est la preuve de l’existence des peuples... [...] Lorsque les membres d’une nation étudient leur histoire, lorsque les jeunes prennent connaissance de ses cycles, ils connaissent leur réalité et alors les nationalités vivantes et insatiables du voisinage n’absorbent pas leur nationalité. Ils comprennent la gloire de leur passé et la noblesse de leurs ancêtres et n’acceptent ni les dépréciations des dépréciateurs, ni les atteintes des falsificateurs, ni les médisances des gens de parti pris.»

    De même, les publications d’Ahmed Tewfiq El-Madani sur ses recherches historiques, entre 1923 et 1950, ont été utiles et encourageantes pour qu’El-Djilali se décide à donner forme à son projet d’écrire, à sa manière, une histoire générale d’Algérie pour les jeunes algériens, c’est-à-dire sans négliger d’exposer le déroulement des événements fondamentaux qui ont caractérisé l’important héritage des civilisations anciennes précédant l’expansion musulmane et d’en expliciter les conséquences pour mieux saisir cette histoire...

    Un membre influent des Oulémas algériens

    Un temps, chaïkh Abderrah-mane El-Djilali enseigne à l’école libre Ech-Chabîba de la rue Louni Arezki, dirigée par le chaïkh Mohamed El-Aïd El-Khalifa, homme de religion, membre influent de l’Association des Oulémas Musulmans et grand poète. D’autre part, féru de la science de Sîdî Abderrahmane Eth-Tha‘âlibî, El-Djilali s’inspire beaucoup de la vie de cet «ami de Dieu». Par sa présence aux séances dites hadhârî (sing. hadra), fêtes en l’honneur de ce saint patron d’Alger et au cours de ses fréquentes visites à son mausolée, il consolide sa pensée et forge sa méthode. Parallèlement, intellectuel ouvert à son temps, il s’intéresse à tout ce qui se rapporte à la civilisation arabe, notamment à la musique andalouse, aux nouveautés des belles-lettres arabes, même au théâtre (El-Mawlid wa l-Hijra) et...au sport, ayant longtemps été sympathisant avéré de l’USMA. Il accomplit un pèlerinage à La Mecque en 1963. Ses amitiés étaient nombreuses, ainsi que ses sollicitations lors des fêtes religieuses. Pourtant, le paradoxe, qui outrage frontalement la vérité, a fait que cette immense personnalité, devenue «bien culturel et moral» de notre patrimoine immatériel, n’a pas toujours eu l’entière faveur que mérite tout homme digne; l’oubli et souvent la marginalisation, en dépit de quelques rares «hommages» rendus aux chaïkh, ont heurté la sensibilité du doux érudit qu’il a été.

    Aujourd’hui, Alger, l’Algérie est orpheline d’un homme dont la pureté d’esprit, dont la justesse de l’opinion, dont le culte du savoir, dont l’amour du prochain, la tolérance et la bonté sont piété. Maintenant que l’homme vénérable n’est plus, son nom est prononcé soudain encore avec plus de respect dans les foyers algériens. Sa voix chaleureuse et affable que lui jalouseraient les plus grands hommes de micro et sa grandeur d’âme de chaïkh (au sens où ce titre décliné, dans la cité de Sîdî Abderrahmane, se nuance de l’idée de sainteté) avaient, pendant tant d’années, éduqué et instruit par le son et l’image, à la radio et à la télévision, bien des générations.

    À la veille de l’Aïd el-Fitr dernier, nous l’avions vu à la télévision comme au soir de sa vie (un grand-père, un ancêtre, qui nous est parmi les plus chers), nous offrir sa dernière image pleine d’humilité et nous faire un dernier signe d’adieu, la voix tremblotante et la main décharnée en visière sur ses pauvres yeux pour affaiblir les effets des shillings officiels.

    Je l’avais connu quand j’avais encore l’âge de l’insouciance; je me rendais chez son voisin et ami, un intellectuel éminent, mon regretté cousin Hemida Kateb, rue Fontaine bleue à Alger. Je le revoyais dans mes familles lors des célébrations de fiançailles par la récitation de la Fatiha qu’il présidait et conduisait avec la compétence du jurisconsulte émérite et, selon le caractère de l’ambiance et la circonstance, avec l’humour blasonneur de l’Algérois spirituel. Ces dernières années, j’avais maintes fois pensé à un entretien d’importance avec lui au profit des jeunes et de nous tous. Un jour, que je formai ce voeu, tandis qu’il était assis sur un banc dans un coin à l’écart des lumières du Salon des livres d’Alger (2008) qui allait fermer et attendant qu’on vienne le retrouver, il me dit: «Le temps passe, il va plus vite qu’aucun de nous. Sitôt croit-on qu’on le rattrape, il repart de plus belle. Le temps n’appartient à aucun de nous.» Cette réflexion, dont je ne garde évidemment que l’esprit, est intacte dans ma mémoire. En apercevant son accompagnateur, il se leva en s’aidant de sa canne et tandis que je le soutenais par le coude, il me laissa le temps de le serrer contre moi par les épaules...Le pieux historien nous a quittés d’un pas feutré à quelques jours de l’Aïd el-Adh-ha. Que Dieu lui fasse pleine et entière Miséricorde et l’accueille en Son Vaste Paradis.

    Voilà donc quelques traits rapidement esquissés de ce que je retiens de celui qui restera, parmi nos vénérables hommes de culture, comme un modèle d’érudition, de sagesse et d’Algérien fier de l’Histoire de son pays et fidèle à sa patrie.

    Le prochain Temps de lire sera consacré à ses écrits et spécialement à son Histoire générale d’Algérie, parcourue dans les six volumes reliés de l’édition Dar El-Oumma, Alger, 2009.

    Kaddour M’HAMSADJI, l'Expression
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