Par Yahya Michot, Textes Spirituels d'Ibn Taymiyya, n°15
L'Encyclopédie de l'Amour en Islam de M. Chebel (1), une nouvelle traduction du Traité sur l'amour d'Avicenne (2), celle du Livre de l'amour d'al-Ghazâlî par A. Moussali (3), la réédition de la traduction du Traité de l'amour d'Ibn 'Arabî de M. Gloton (4), le dossier De l'amour et des Arabes de la revue Qantara publiée par l'IMA (5)... Quelques signes parmi d'autres de l'actualité d'un thème (6). Et une fois de plus, Ibn Taymiyya fait figure de grand absent, sinon par l'intermédiaire de son disciple Ibn Qayyim al-Jawziyya (7).
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir écrit sur l'amour, plusieurs passages des Textes spirituels précédents suffiraient à en témoigner (8). Les préjugés attachés à son nom ont cependant la vie dure, sans doute parce que se fondant sur les travaux les plus connus. Que l'on pense par exemple à cette affirmation totalement erronée d'H. Laoust, reprise par L. Gardet, selon laquelle l'objet de l'amour du croyant, pour Ibn Taymiyya, "ce ne sera plus Dieu considéré dans son essence et ses attributs" mais seulement l'ordre de Dieu, la Loi divine (9).
Extraites de Le présent iraqien, s'agissant des actes des cœurs, La servitude, Les maladies des cœurs et leur guérison et d'autres écrits d'Ibn Taymiyya, la présente livraison de Textes spirituels et les deux suivantes permettront assurément de mesurer la profondeur de sa théologie de l'amour. Qu'il s'agisse de l'amour de Dieu pour l'homme ou de l'homme pour Dieu, la mahabba est une réalité, et non une métaphore, contrairement à ce que certains Docteurs du Kalâm et autres penseurs ont pu prétendre : nier cet amour, c'est nier à la fois la seigneurialité et la divinité de Dieu. Et le grand Docteur de retracer l'histoire des doctrines du refus de l'amour en Islam, d'en dénoncer les errements et d'expliquer que l'amour de Dieu est le fondement de toute action religieuse, de préciser son importance dans l'attente eschatologique des croyants et de développer un tawhîd de l'amour de Dieu incluant l'amour du Prophète, des Compagnons, etc.
Comme la hanîfiyya, l'amour de Dieu est inscrit dans la prime nature (fitra) de chacun mais il devra s'actualiser. Or il y a à la fois une spécificité et une supériorité de l'amour musulman de Dieu : il ne peut être confondu avec les conceptions juive ou chrétienne sous peine de dénaturer l'Islam comme le font divers soufis anomistes. Cet amour musulman n'est pas non plus le 'ishq, " l'amour-désir " des philosophes. Effort (jihâd) sur le chemin de Dieu, il est, sans s'y réduire, obéissance et service d'adoration. À son sommet, il y a la khulla, l' " amitié " de Dieu qu'Abraham et Muhammad eurent le privilège de vivre pleinement.
L'Islam, religion de l'amour ? Oui, plus et mieux que les autres religions, mais - et car - selon la seule voie du Livre et de la Tradition. Il est bon d'entendre Ibn Taymiyya rappeler ces vérités. On appréciera aussi la pertinence de sa lecture des agissements ou sentences de certains soufis.
TRADUCTION (10)
L'amour de Dieu, l'espoir du Jardin et la peur du Feu
L'amour étant le fondement de toute action religieuse, la peur, l'espoir, etc. impliquent nécessairement l'amour et y renvoient. Celui qui espère, qui est avide, est seulement avide de quelque chose qu'il aime, non de quelque chose qu'il hait. Celui qui a peur fuit ce dont il a peur (11) afin d'atteindre ce qu'il aime. Le Très-Haut a dit : " Ceux-là, qu'ils invoquent, recherchent le moyen d'accéder à leur Seigneur - c'est à celui d'eux qui est plus proche -, espèrent Sa miséricorde et ont eur de Son tourment. Assurément, le tourment de ton Seigneur est redoutable (12) ! " Il a aussi dit : " Ceux qui croient, qui émigrent et luttent sur le chemin de Dieu, ceux-là espèrent la miséricorde de Dieu (13). "
" Sa miséricorde " est un nom réunissant tout bien, et " Son tourment " un nom réunissant tout mal. La demeure de la miséricorde pure est le Jardin, la demeure du tourment pur le Feu. Quant au monde d'ici-bas, c'est la demeure de l'amalgame.
La félicité la plus haute : regarder la Face de Dieu
Même si l'espoir s'attache [seulement] à l'entrée dans le Jardin, " le Jardin " est un nom réunissant toute félicité et la [félicité] la plus haute est de regarder la Face de Dieu. Ainsi est-il [rapporté] dans le Sahîh de Muslim à propos du Prophète - Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! -, d'après 'Abd al-Rahmân b. Abî Laylâ (14), d'après Suhayb (15), qu'il a dit : " Lorsque les Gens du Jardin entrent dans le Jardin, un héraut les interpelle : " Ô les Gens du Jardin ! Vous avez, auprès de Dieu, une promesse dont Il veut pleinement s'acquitter vis-à-vis de vous. " - " Qu'est-ce ? " diront-ils. " N'a-t-Il pas blanchi nos visages ? N'a-t-Il pas alourdi nos balances ? Ne nous a-t-Il pas fait entrer dans le Jardin ? Ne nous a-t-Il pas sauvés du Feu ? " Il enlèvera le voile et ils Le regarderont. Il ne leur aura en effet rien donné de plus aimé d'eux que Le regarder (16). " C'est cela le " plus (17) ".
À partir de là disparaît bien évidemment la confusion [présente] dans les dires de qui dit : " Je ne T'ai pas adoré par désir de Ton Jardin, ni par peur de Ton Feu. Je T'ai seulement adoré par désir de Te voir (18) ! " Celui qui dit cela a pour opinion - lui et qui le suit - que dans ce qui est nommé " le Jardin " ne sont inclus que le manger et le boire, les vêtements et le coït, l'audition et les choses pareilles, en lesquelles on jouit des choses créées. Avec lui sont également d'accord, à ce propos, ceux qui nient la vision de Dieu - les Jahmites (19) - ou qui la confessent mais prétendent qu'on ne jouit pas de la vision même de Dieu, ainsi que le dit un groupe de Docteurs du Fiqh. Ceux-là s'accordent à dire que, dans ce qui est nommé " le Jardin " et " l'au-delà ", n'est incluse que la jouissance de choses créées. Voilà pourquoi, entendant Ses paroles " Il en est parmi vous qui veulent la vie d'ici-bas et il en est parmi vous qui veulent l'au-delà (20) ", un des shaykhs qui ont fait erreur a dit : " Et où sont ceux qui veulent Dieu ? " À propos de ces paroles du Très-Haut " Des croyants, Dieu a acheté leurs personnes et leurs biens en leur donnant le Jardin (21) ", un autre a dit : " Si les personnes et les biens [nous] valent le Jardin, quid de Le regarder ? " Tout ceci du fait qu'ils avaient pour opinion que, dans " le Jardin ", regarder [la Face de Dieu] n'est pas inclus.
La vérité, c'est que le Jardin est la demeure réunissant toute félicité et que la [félicité] la plus haute qu'on y trouve, c'est de regarder la Face de Dieu. Cela participe de la félicité que [les serviteurs] atteignent dans le Jardin, ainsi que les textes [nous] en ont informés. Et de même pour les Gens du Feu : par rapport à leur Seigneur, ils sont sous un voile [alors qu'ils] entrent dans le Feu.
Ceci étant (22), si celui qui tient ces dires sait ce qu'il dit, ce qu'il vise est seulement [ceci] : " Même si Tu n'avais pas créé de Feu, ou même si Tu n'avais pas créé de Jardin, il faudrait nécessairement T'adorer et il faudrait nécessairement se rapprocher de Toi et Te regarder ", ce qu'il vise ici par " le Jardin " étant ce en quoi la créature jouit.
Le vivant n'agit point sans amour ni volonté
Mais que le vivant, fondamentalement, agisse sans amour ni volonté, c'est impossible ; quand bien même certains de ceux qui ont fait erreur, parmi les dévots, se le sont imaginé et ont eu pour opinion que la perfection du serviteur, c'est qu'il ne lui reste fondamentalement plus de volonté.
Cela, parce que [l'extatique] parle en état d'extinction (fanâ') (23) et que l'éteint, qui est [tout] préoccupé par son aimé, a [encore] de la volonté et de l'amour, mais n'en a pas conscience. L'existence de l'amour est une chose, la volonté est une chose, et en avoir conscience est une autre chose. Étant donné que [ces dévots] n'ont plus conscience de cet [amour et de cette volonté], ils ont pour opinion qu'ils ont disparu. C'est une erreur. On ne se représente en effet point que le serviteur soit jamais stimulé sinon du fait de [quelque] amour, haine et volition. C'est pour cela que le Prophète a dit - Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! : " Les plus véridiques des noms sont Hârith, " quêteur ", et Hammâm, " projetant (24) ". Tout homme en effet mène une quête, à savoir [son] action, et a un projet, lequel est le fondement de la volonté.
Le fondement : l'amour de Dieu
Parfois, il se trouve néanmoins dans le cœur, en fait d'amour de Dieu, quelque chose qui l'appelle à Lui obéir et, en fait d'exaltation de Sa majesté et de pudeur vis-à-vis de Lui, quelque chose qui lui prohibe de Lui désobéir, ainsi que 'Umar l'a dit - Dieu soit satisfait de lui ! : " Quelle grâce de serviteur que Suhayb ! S'il n'avait pas peur de Dieu, il ne Lui désobéirait pas (25) ! " C'est-à-dire : il ne Lui désobéirait pas même s'il n'avait pas peur de Lui. A fortiori puisqu'il a peur de Lui. Son exaltation de la majesté de Dieu et sa vénération de Lui l'empêchaient de Lui désobéir.
Lorsque la peur et l'espoir de celui qui espère et a peur se rattachent à [la perspective de] subir le tourment du voilement du Seigneur à son endroit et de trouver la félicité de Son épiphanie pour lui, on le sait, il s'agit là de suites de son amour de Lui. C'est l'amour en effet qui rend nécessaire l'amour de l'épiphanie et la peur du voilement.
Tandis que lorsque sa peur et son espoir se rattachent à [la perspective] d'être tourmenté par une chose créée et de trouver par elle la félicité, il ne recherche cela qu'à travers l'adoration de Dieu, laquelle implique nécessairement de L'aimer. Ensuite, lorsqu'il trouve la douceur de l'amour de Dieu, il le trouve plus doux que tout [autre] amour.
Voilà pourquoi les Gens du Jardin se préoccupent plus de cela que de toute [autre] chose, ainsi que [rapporté] dans ce hadîth : " Aux Gens du Jardin il est inspiré de glorifier comme il est inspiré de respirer (26). " Ceci rend bien évident le [degré] ultime de la félicité qu'ils trouvent à se rappeler Dieu et à L'aimer. La peur d'être tourmenté [dans l'au-delà] par une chose créée et l'espoir mis en elle conduisent l'[individu] à l'amour de Dieu, qui est le fondement.
A suivre...
L'Encyclopédie de l'Amour en Islam de M. Chebel (1), une nouvelle traduction du Traité sur l'amour d'Avicenne (2), celle du Livre de l'amour d'al-Ghazâlî par A. Moussali (3), la réédition de la traduction du Traité de l'amour d'Ibn 'Arabî de M. Gloton (4), le dossier De l'amour et des Arabes de la revue Qantara publiée par l'IMA (5)... Quelques signes parmi d'autres de l'actualité d'un thème (6). Et une fois de plus, Ibn Taymiyya fait figure de grand absent, sinon par l'intermédiaire de son disciple Ibn Qayyim al-Jawziyya (7).
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir écrit sur l'amour, plusieurs passages des Textes spirituels précédents suffiraient à en témoigner (8). Les préjugés attachés à son nom ont cependant la vie dure, sans doute parce que se fondant sur les travaux les plus connus. Que l'on pense par exemple à cette affirmation totalement erronée d'H. Laoust, reprise par L. Gardet, selon laquelle l'objet de l'amour du croyant, pour Ibn Taymiyya, "ce ne sera plus Dieu considéré dans son essence et ses attributs" mais seulement l'ordre de Dieu, la Loi divine (9).
Extraites de Le présent iraqien, s'agissant des actes des cœurs, La servitude, Les maladies des cœurs et leur guérison et d'autres écrits d'Ibn Taymiyya, la présente livraison de Textes spirituels et les deux suivantes permettront assurément de mesurer la profondeur de sa théologie de l'amour. Qu'il s'agisse de l'amour de Dieu pour l'homme ou de l'homme pour Dieu, la mahabba est une réalité, et non une métaphore, contrairement à ce que certains Docteurs du Kalâm et autres penseurs ont pu prétendre : nier cet amour, c'est nier à la fois la seigneurialité et la divinité de Dieu. Et le grand Docteur de retracer l'histoire des doctrines du refus de l'amour en Islam, d'en dénoncer les errements et d'expliquer que l'amour de Dieu est le fondement de toute action religieuse, de préciser son importance dans l'attente eschatologique des croyants et de développer un tawhîd de l'amour de Dieu incluant l'amour du Prophète, des Compagnons, etc.
Comme la hanîfiyya, l'amour de Dieu est inscrit dans la prime nature (fitra) de chacun mais il devra s'actualiser. Or il y a à la fois une spécificité et une supériorité de l'amour musulman de Dieu : il ne peut être confondu avec les conceptions juive ou chrétienne sous peine de dénaturer l'Islam comme le font divers soufis anomistes. Cet amour musulman n'est pas non plus le 'ishq, " l'amour-désir " des philosophes. Effort (jihâd) sur le chemin de Dieu, il est, sans s'y réduire, obéissance et service d'adoration. À son sommet, il y a la khulla, l' " amitié " de Dieu qu'Abraham et Muhammad eurent le privilège de vivre pleinement.
L'Islam, religion de l'amour ? Oui, plus et mieux que les autres religions, mais - et car - selon la seule voie du Livre et de la Tradition. Il est bon d'entendre Ibn Taymiyya rappeler ces vérités. On appréciera aussi la pertinence de sa lecture des agissements ou sentences de certains soufis.
TRADUCTION (10)
L'amour de Dieu, l'espoir du Jardin et la peur du Feu
L'amour étant le fondement de toute action religieuse, la peur, l'espoir, etc. impliquent nécessairement l'amour et y renvoient. Celui qui espère, qui est avide, est seulement avide de quelque chose qu'il aime, non de quelque chose qu'il hait. Celui qui a peur fuit ce dont il a peur (11) afin d'atteindre ce qu'il aime. Le Très-Haut a dit : " Ceux-là, qu'ils invoquent, recherchent le moyen d'accéder à leur Seigneur - c'est à celui d'eux qui est plus proche -, espèrent Sa miséricorde et ont eur de Son tourment. Assurément, le tourment de ton Seigneur est redoutable (12) ! " Il a aussi dit : " Ceux qui croient, qui émigrent et luttent sur le chemin de Dieu, ceux-là espèrent la miséricorde de Dieu (13). "
" Sa miséricorde " est un nom réunissant tout bien, et " Son tourment " un nom réunissant tout mal. La demeure de la miséricorde pure est le Jardin, la demeure du tourment pur le Feu. Quant au monde d'ici-bas, c'est la demeure de l'amalgame.
La félicité la plus haute : regarder la Face de Dieu
Même si l'espoir s'attache [seulement] à l'entrée dans le Jardin, " le Jardin " est un nom réunissant toute félicité et la [félicité] la plus haute est de regarder la Face de Dieu. Ainsi est-il [rapporté] dans le Sahîh de Muslim à propos du Prophète - Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! -, d'après 'Abd al-Rahmân b. Abî Laylâ (14), d'après Suhayb (15), qu'il a dit : " Lorsque les Gens du Jardin entrent dans le Jardin, un héraut les interpelle : " Ô les Gens du Jardin ! Vous avez, auprès de Dieu, une promesse dont Il veut pleinement s'acquitter vis-à-vis de vous. " - " Qu'est-ce ? " diront-ils. " N'a-t-Il pas blanchi nos visages ? N'a-t-Il pas alourdi nos balances ? Ne nous a-t-Il pas fait entrer dans le Jardin ? Ne nous a-t-Il pas sauvés du Feu ? " Il enlèvera le voile et ils Le regarderont. Il ne leur aura en effet rien donné de plus aimé d'eux que Le regarder (16). " C'est cela le " plus (17) ".
À partir de là disparaît bien évidemment la confusion [présente] dans les dires de qui dit : " Je ne T'ai pas adoré par désir de Ton Jardin, ni par peur de Ton Feu. Je T'ai seulement adoré par désir de Te voir (18) ! " Celui qui dit cela a pour opinion - lui et qui le suit - que dans ce qui est nommé " le Jardin " ne sont inclus que le manger et le boire, les vêtements et le coït, l'audition et les choses pareilles, en lesquelles on jouit des choses créées. Avec lui sont également d'accord, à ce propos, ceux qui nient la vision de Dieu - les Jahmites (19) - ou qui la confessent mais prétendent qu'on ne jouit pas de la vision même de Dieu, ainsi que le dit un groupe de Docteurs du Fiqh. Ceux-là s'accordent à dire que, dans ce qui est nommé " le Jardin " et " l'au-delà ", n'est incluse que la jouissance de choses créées. Voilà pourquoi, entendant Ses paroles " Il en est parmi vous qui veulent la vie d'ici-bas et il en est parmi vous qui veulent l'au-delà (20) ", un des shaykhs qui ont fait erreur a dit : " Et où sont ceux qui veulent Dieu ? " À propos de ces paroles du Très-Haut " Des croyants, Dieu a acheté leurs personnes et leurs biens en leur donnant le Jardin (21) ", un autre a dit : " Si les personnes et les biens [nous] valent le Jardin, quid de Le regarder ? " Tout ceci du fait qu'ils avaient pour opinion que, dans " le Jardin ", regarder [la Face de Dieu] n'est pas inclus.
La vérité, c'est que le Jardin est la demeure réunissant toute félicité et que la [félicité] la plus haute qu'on y trouve, c'est de regarder la Face de Dieu. Cela participe de la félicité que [les serviteurs] atteignent dans le Jardin, ainsi que les textes [nous] en ont informés. Et de même pour les Gens du Feu : par rapport à leur Seigneur, ils sont sous un voile [alors qu'ils] entrent dans le Feu.
Ceci étant (22), si celui qui tient ces dires sait ce qu'il dit, ce qu'il vise est seulement [ceci] : " Même si Tu n'avais pas créé de Feu, ou même si Tu n'avais pas créé de Jardin, il faudrait nécessairement T'adorer et il faudrait nécessairement se rapprocher de Toi et Te regarder ", ce qu'il vise ici par " le Jardin " étant ce en quoi la créature jouit.
Le vivant n'agit point sans amour ni volonté
Mais que le vivant, fondamentalement, agisse sans amour ni volonté, c'est impossible ; quand bien même certains de ceux qui ont fait erreur, parmi les dévots, se le sont imaginé et ont eu pour opinion que la perfection du serviteur, c'est qu'il ne lui reste fondamentalement plus de volonté.
Cela, parce que [l'extatique] parle en état d'extinction (fanâ') (23) et que l'éteint, qui est [tout] préoccupé par son aimé, a [encore] de la volonté et de l'amour, mais n'en a pas conscience. L'existence de l'amour est une chose, la volonté est une chose, et en avoir conscience est une autre chose. Étant donné que [ces dévots] n'ont plus conscience de cet [amour et de cette volonté], ils ont pour opinion qu'ils ont disparu. C'est une erreur. On ne se représente en effet point que le serviteur soit jamais stimulé sinon du fait de [quelque] amour, haine et volition. C'est pour cela que le Prophète a dit - Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! : " Les plus véridiques des noms sont Hârith, " quêteur ", et Hammâm, " projetant (24) ". Tout homme en effet mène une quête, à savoir [son] action, et a un projet, lequel est le fondement de la volonté.
Le fondement : l'amour de Dieu
Parfois, il se trouve néanmoins dans le cœur, en fait d'amour de Dieu, quelque chose qui l'appelle à Lui obéir et, en fait d'exaltation de Sa majesté et de pudeur vis-à-vis de Lui, quelque chose qui lui prohibe de Lui désobéir, ainsi que 'Umar l'a dit - Dieu soit satisfait de lui ! : " Quelle grâce de serviteur que Suhayb ! S'il n'avait pas peur de Dieu, il ne Lui désobéirait pas (25) ! " C'est-à-dire : il ne Lui désobéirait pas même s'il n'avait pas peur de Lui. A fortiori puisqu'il a peur de Lui. Son exaltation de la majesté de Dieu et sa vénération de Lui l'empêchaient de Lui désobéir.
Lorsque la peur et l'espoir de celui qui espère et a peur se rattachent à [la perspective de] subir le tourment du voilement du Seigneur à son endroit et de trouver la félicité de Son épiphanie pour lui, on le sait, il s'agit là de suites de son amour de Lui. C'est l'amour en effet qui rend nécessaire l'amour de l'épiphanie et la peur du voilement.
Tandis que lorsque sa peur et son espoir se rattachent à [la perspective] d'être tourmenté par une chose créée et de trouver par elle la félicité, il ne recherche cela qu'à travers l'adoration de Dieu, laquelle implique nécessairement de L'aimer. Ensuite, lorsqu'il trouve la douceur de l'amour de Dieu, il le trouve plus doux que tout [autre] amour.
Voilà pourquoi les Gens du Jardin se préoccupent plus de cela que de toute [autre] chose, ainsi que [rapporté] dans ce hadîth : " Aux Gens du Jardin il est inspiré de glorifier comme il est inspiré de respirer (26). " Ceci rend bien évident le [degré] ultime de la félicité qu'ils trouvent à se rappeler Dieu et à L'aimer. La peur d'être tourmenté [dans l'au-delà] par une chose créée et l'espoir mis en elle conduisent l'[individu] à l'amour de Dieu, qui est le fondement.
A suivre...
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