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Il fait le bonheur des petits et des grands : Hocine Keffous et son petit parc zoologique.

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  • Il fait le bonheur des petits et des grands : Hocine Keffous et son petit parc zoologique.

    La vieille femme en robe kabyle est impatiente de le voir. Accompagnée de son fils, de ses petits-enfants et de sa bru, elle presse le pas en se dirigeant droit vers la cage du fauve, n’accordant pas le moindre regard aux autres pensionnaires du petit zoo.

    Sa grosse tignasse enfouie entre ses puissantes pattes, sa majesté «Izem», le lion, animal mythique et seigneur des animaux, fait la sieste, sans se soucier le moins du monde des admirateurs qui le dévorent des yeux.
    Depuis quelques mois, Ulysse est la coqueluche d’un petit zoo installé sous les figuiers et les oliviers. Il faut reconnaître que ce n’est pas très commun de s’appeler Ulysse, de naître à Alger et de se retrouver dans une cage sur les hauteurs d’Akbou ; même quand on est un lion à la belle crinière dorée, il y a des destins qui échappent singulièrement aux savanes africaines du Serengueti et du Massai Mara pour se réfugier sous les latitudes plus fraîches du Djurdjura.
    Dans un monde d’hommes où l’animal trouve de moins en moins de place, voir de vrais animaux ailleurs que sur un écran de télé nécessite d’aller dans l’un des derniers endroits qui leur sont consacrés. Un cirque ou un zoo.

    La ville d’Akbou ne possède ni l’un ni l’autre, elle est plus connue pour ses produits agroalimentaires que pour ses animaux exotiques, mais un homme, seul, à force de volonté et de persévérance, a réussi à créer un petit parc zoologique qui fait le bonheur des petits et des grands. Cet homme, c’est Hocine Keffous, mais tout le monde l’appelle simplement aâmi l’Hocine. Avec sa barbe de patriarche et ses cheveux blanchis par l’âge, il ressemble un peu à Omar Sharif ou à Charlton Heston, ou alors à Noé sur son arche. C’est dans son petit parc qu’il nous reçoit avec cette disponibilité et cette gentillesse toutes naturelles qu’ont les gens du cru.
    Aâmi l’Hocine ouvre la cage de l’aigle royal et s’approche doucement de cet autre animal mythique, seigneur des airs et des cimes altières. C’est drôle, mais notre homme possède le même profil taillé à la serpe que son hôte. Même nez busqué, même regard acéré et même port altier. Cet homme a dû être un fauve ou un condor dans une vie antérieure, c’est ce qui expliquerait peut-être cette relation si profonde, fusionnelle qu’il a avec les bêtes à poils ou à plumes.

    Contrairement aux autres animaux, les hommes sont compliqués, ils viennent, vous tressent des couronnes de louanges, vous habillent de promesses et repartent sans jamais se retourner. Beaucoup de responsables ont promis de l’aider à réaliser son rêve : faire un vrai parc zoologique.
    Toutes ses promesses ont fondu comme une motte de beurre sous le soleil d’Akbou un mois de juillet. Oui, mais croire que cela va le décourager serait vraiment mal connaître ce montagnard à la volonté aussi inébranlable que le socle du Djurdjura. Il continue seul à entretenir la petite ménagerie.
    «Je travaille en pure perte. C’est la passion et le ‘‘nif’’ qui me poussent à continuer», dit-il. Il a beau frapper à toutes les portes, mais elles refusent obstinément de s’ouvrir. «Un jour, j’ai demandé audience au wali de Béjaïa. Celui-ci a accepté, mais c’est son chef de cabinet qui m’a reçu. J’ai refusé de lui parler car, dans ce pays, il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints», se rappelle-t-il. Il est également vrai que, dans ce pays, il lui est plus facile de rentrer dans la cage du lion que dans le cabinet du wali.
    Rien que pour nourrir les pensionnaires carnivores, tels que les rapaces, la hyène rayée et le lion, il faut au minimum 20 kg de viande par jour. Heureusement que ses amis chasseurs lui viennent en aide. Ils lui ramènent régulièrement du gibier.
    Ainsi, le sanglier est souvent au menu des carnassiers. Il faut également près de vingt quintaux d’aliments par mois pour nourrir les autres bêtes. Aâmi l’Hocine ne reçoit aucune subvention d’où qu’elle vienne. «En visite dans la région, le maire d’Aubagne est venu visiter le parc, mais celui d’Akbou n’a jamais mis les pieds ici», dit-il, comme pour illustrer ce peu de considération affichée pour son projet pourtant reconnu d’utilité publique, pédagogique et scientifique. Dernièrement, il a acheté une autruche chez un particulier, éleveur à Koléa ; coût de
    l’opération : 5 millions de centimes. Heureusement que les forestiers de Béjaïa lui ramènent des espèces qu’ils arrivent à récupérer des braconniers qui sévissent dans les massifs forestiers de la région. Les vétérinaires du parc du Hamma lui donnent aussi un coup de main.
    Sur proposition des autorités de la wilaya, aâmi l’Hocine devait construire un parc zoologique près de l’aéroport de Béjaïa. Il y a six ans de cela. Un projet qui aurait apporté un plus incontestable, de surcroît à une wilaya considérée comme l’une des premières destinations touristiques du pays.

    Après avoir engagé un architecte et réalisé des plans, le projet a fini par être abandonné par ses instigateurs qui l’ont probablement enterré sous une pile de dossiers dans un tiroir sans aucune explication. L’un de ses rêves s’est tout de même réalisé tout récemment. Acquérir un lion pour remplacer «Rostom», le vieux félin et compagnon qu’il a perdu en 2000. Cela a tout de même pris 10 longues années de démarches infructueuses. Finalement, le parc du Hamma, auquel il s’est adressé lui a demandé 200 millions de centimes pour lui céder un spécimen. Une somme astronomique pour ce ferronnier de métier dont la recette journalière au niveau du parc qu’il a aménagé de ses propres mains n’excède pas 1000 DA/jour. Une pacotille qui ne suffit même pas à assurer la becquée des rapaces. La direction du parc a fini par revenir à de meilleurs sentiments et lui proposer un échange. Une mangouste contre des cerfs daims et un lot d’animaux comprenant un chacal, une femelle porc-épic et des canards de Barbarie contre un lion. Ne dites surtout pas au lion qu’il a été échangé contre un chacal. Son altesse royale risquerait d’en prendre ombrage. Le parc du Hamma voudrait aussi une hyène rayée, comme le très beau spécimen que aâmi l’Hocine possède, mais ce charognard rarissime n’est pas facile à dénicher. Lui, il l’a eu par l’intermédiaire de braconniers qui l’ont pris au collet dans une forêt située sur les hauteurs de Boudjellil. Il a dû tout de même se fendre de 6 millions de centimes pour que les jeunes braconniers consentent à lâcher leur proie. L’idéal serait de lui trouver une femelle pour qu’il puisse se reproduire.

    Ce serait une manière de préserver cet animal emblématique, hélas, classé sur la liste des espèces en voie de disparition. Aâmi l’Hocine a fabriqué lui-même toutes les cages, toutes les volières et tous les enclos du parc bâti sur ses propres terres. Il lui reste encore assez de volonté et assez d’espace sur son terrain pour agrandir le projet et en faire un vrai parc zoologique, pour peu que les autorités compétentes lui facilitent les choses. Naturellement. A commencer par l’achèvement de cette route qui mène d’Akbou à Tifrit et qui dessert son parc. Elle se trouve actuellement bloquée par la volonté de quatre riverains qui refusent de céder un pouce de terrain, quand bien même leurs constructions sont illicites. Pour aâmi l’Hocine, pas de route, pas de visiteurs. Pourtant, cette route est d’une importance vitale pour la ville d’Akbou qui ne peut plus réaliser d’expansion que vers ce flanc de montagne relativement préservé.
    Disposer d’un parc zoologique à Akbou ou au chef-lieu de wilaya serait pourtant un plus pour toute la région qui serait gagnante sur les plans touristique, écologique et pédagogique. Voilà un homme qui possède le savoir-faire, l’expérience et la volonté nécessaires pour mener à terme ce projet. Ce fils de chahid, dont l’amour du pays n’a d’égale que la passion qu’il a pour les animaux, se dit prêt à étudier toute proposition allant dans ce sens. Il a suffisamment payé de sa personne pour qu’on comprenne enfin que l’homme n’est pas mû par l’appât du gain, mais par la passion. Une passion pour les animaux qu’il veut aujourd’hui partager avec le plus grand nombre.

    Djamel Alilat (El Watan).
    Il y a des gens si intelligents que lorsqu'ils font les imbéciles, ils réussissent mieux que quiconque. - Maurice Donnay
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