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Note sur l'histoire des pâtes en Italie

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  • Note sur l'histoire des pâtes en Italie

    II faut préalablement s'entendre sur la signification du terme pasta. Si le mot désigne un simple mélange de farine et d'eau, avec ou sans adjonction d'oeufs, confectionné dans le cadre familial pour être consommé sur le champ, il est pratiquement impossible de déterminer son origine car ce procédé est connu de toute antiquité dans diverses sociétés. Les Romains, par exemple, savaient certainement faire ce type d'aliment et Caton, entre autres, dans son traité d'agriculture (IIe siècle av. J.-C), nous en donne quelques recettes dont celle des laganae ou lasagne qui, à l'époque, étaient frites et non cuites à l'eau.

    Mais le problème est tout autre si par pasta nous entendons pâtes sèches au sens littéral du terme, c'est-à-dire un produit séché afin d'assurer sa conservation et fait de préférence avec de la semoule de blé dur, même si, hors d'Italie, on a commencé à en fabriquer avec du blé tendre pour des raisons de coût, mais elles ne « tiennent » pas à la cuisson.

    A la lumière des études les plus récentes (mais, curieusement, l'histoire d'un produit alimentaire d'une telle importance gastronomique et culturelle n'a encore fait l'objet d'aucune recherche approfondie) il semble établi que nous devons l'invention des pâtes sèches aux Arabes1, peuple nomade qui avait besoin d'un produit de longue conservation adapté à ses perpétuels déplacements dans le désert et au climat chaud de son milieu naturel. Invention arabe, donc, qui remonte au haut Moyen Age, assurément avant le IXe siècle où nous trouvons sa première mention « codifiée » dans le livre de cuisine de Ibn al Mibrad.

    Entre le IXe et le XIIe siècle les Arabes introduisirent l'usage des pâtes séchées en Sicile. Le géographe Edrisi témoigne de l'existence au XIIe siècle d'une véritable industrie sicilienne de pâtes alimentaires (itrija), dont le centre était Trebia, une localité située à une trentaine de kilomètres de Palerme. Dans cette région, écrit Edrisi, « on produit tant de pâtes que l'on en exporte en tous lieux, en Calabre et en d'autres pays musulmans et chrétiens, et on en expédie un très grand nombre de cargaisons de bateaux ». Le terme tria, dérivé de l'arabe, qui désignait les pâtes alimentaires, se rencontre dans les Tacuina sanitatis et dans certains traités culinaires du bas Moyen Age.

    Ainsi le Libro délia cucina, recueil toscan du XIVe siècle, propose une préparation de tria genovese per li 'nfermi (pâtes génoises pour les malades)2 et le Liber de coquina, manuscrit napolitain également du XIVe siècle, donne une recette de tria ianuensis (pâtes génoises)3. Ce n'est certes pas un hasard si ces deux citations nous conduisent à Gênes.

    En effet, au cours du XIIe siècle, les marchands génois devinrent les principaux promoteurs de la diffusion des pâtes alimentaires siciliennes. Gênes importe quantité de pâtes — plusieurs contrats commerciaux établis entre 1157 et 1160 par le notaire Giovanni Scriba l'attestent — puis les exporte vers différentes destinations à l'intérieur et à l'extérieur de la Méditerranée. D'autres témoignages, tel l'inventaire biens appartenant au miles génois Ponzio Bastono (1279) qui des mentionne une barixela plena de macaronis, confirment l'importance de la Ligurie comme pôle de diffusion d'abord, puis de production de pâtes sèches. L'activité s'étendait également aux régions limitrophes un contrat de service établi en 1284 stipule que tel habitant de Pise s'engage à fabriquer et à vendre des « vermicelles » pendant quelques mois en échange de 50 deniers, de la nourriture et du logement.

    Il est difficile de se faire une idée précise de la place des pâtes dans la culture alimentaire de l'époque. D'un côté, elles semblent plutôt s'apparenter à une nourriture « populaire », destinée peut-être aux marins ou à tous ceux qui, sur les bateaux ou ailleurs, avaient justement besoin d'aliments de longue conservation. De l'autre, elles semblent au contraire un mets « de luxe » réservé à un cercle restreint de consommateurs : est-ce un hasard si on les retrouve dans l'inventaire réserves de bouche d'un miles ? Par ailleurs, les rares menus des de repas aristocratiques de l'époque que nous possédons ne font aucune allusion à des pâtes sèches ; et les livres de cuisine « bourgeois » n'en donnent que peu de recettes. Que faut-il en conclure ?

    Pour l'instant, rien, en attendant que quelqu'un veuille bien se pencher sérieusement sur cette question. Bornons-nous à constater que,dès le XIIe siècle, les pâtes sont connues et consommées en Italie par des personnes de condition sociale très différente ; mais que jusqu'au XIVe siècle leur emploi reste sans doute occasionnel. Les recettes de pâtes sont peu nombreuses dans les livres de cuisine des XVe et xvie siècles (excepté les timbales et les tourtes habituelles faites avecde la pâte fraîche qui entrent dans une tout autre catégorie alimentaire), et parmi celles-ci, il n'est pas rare de trouver des préparations sucrées, ce qui confirmerait le caractère noble et rare de ce produit somme toute marginal4.

    Au bas Moyen Age, les grands centres italiens de production de pâtes sèches restent la Sicile et la Ligurie, mais l'activité gagne progressivement d'autres régions comme les Pouilles, où l'on trouve des ateliers de fabrication dès le XVe siècle. La « culture des pâtes sèches » ne trouve en revanche aucun écho dans les régions traditionnellement attachées à l'emploi domestique des pâtes fraîches, comme l'Emilie ou la Lombardie, cependant que de vaines tentatives d'acclimatation du blé dur sont faites au xive siècle en Toscane, dans le but probable produire des pâtes alimentaires sur place. La Campanie, et de Naples en particulier, ne s'affirmeront comme centres importants de production de pâtes alimentaires qu'au XVIIe siècle. Le « peuple » napolitain, comme l'a définitivement montré Emilio Sereni, ne commença à se nourrir de pâtes de manière significative qu'à partir de 1630.


    Jusque-là, à Naples comme ailleurs, ce produit était resté une nourriture occasionnelle, voire de luxe, puisque sa fabrication était interdite en temps de disette. Le changement est intervenu à la suite d'une période de sous-production qui provoqua la pénurie et la disparition des denrées traditionnellement consommées par le peuple napolitain, comme la viande et les légumes. Seule la pression de la faim suscita des innovations technologiques (pétrin mécanique, presse) qui permirent de produire des pâtes sèches à des prix beaucoup plus bas que par le passé, ce qui en fit un aliment vraiment populaire et valut aux Napolitains le qualificatif de mangiamaccheroni (mange-macaroni), alors qu'auparavant ce terme aurait, à la rigueur, pu convenir aux Siciliens.

    Le reste est pratiquement de l'histoire contemporaine avec la diffusion du « modèle napolitain » qui gagna progressivement la presque totalité du territoire de la péninsule, et le mariage tardif — après 1830 — des pâtes sèches avec la sauce tomate.

    Massimo MONTANAR, Alimentazione e cultura nel Medioevo pp. 61-64

    Traduit de l'Italien par Silvano Serventi

    1. Cette remarque est remise en doute ici-même dans l'article de B. Rosenberoer
    qui présente un état nouveau des recherches sur le sujet.

    2. // libro délia cucina del secolo XIV, édition F. Zambrini ; voir l'index dans
    l'article de B. Laurioux- O. Redon.

    3. Liber de coquina, édition M. Mulon ; voir l'index dans l'article de
    B. Laurioux- O. Redon.

    4. Depuis quelques années, les études sur les livres de cuisine se sont cependant
    développées ; plusieurs nouveaux manuscrits ont été découverts qui permettent de mieux
    cerner la catégorie des pâtes dans la cuisine médiévale italienne, cf. Laurioux-Redon.
    Dernière modification par zek, 28 novembre 2010, 11h49.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

  • #2
    Notes bibliographiques

    Pour l'histoire des pâtes alimentaires en Italie vous trouverez une
    foule d'informations dans Messedaglia, L., Vita e costume délia
    Rinascenza in Merlin Cocai, Padoue, 1974, I, pp. 175.

    Cependant l'essai fondamental sur le sujet est de Sereni E., Note
    di storia dell'alimentazione nel Mezzogiorno : i Napoletani da « man-
    giafoglia » a « mangiamaccheroni », dans Cronache meridionali, IV-
    V-VI (1958), désormais dans ID., Terra nuova e buoi rossi, Turin,
    1981, pp. 292-371.

    Du point de vue terminologique, il est indispensable de lire Ales-
    SIO G., « Storia linguistica di un antico cibo rituale : i maccheroni »,
    dans Atti dell'Accademia Pontaniana, n° spéc., VIII (1958),
    pp. 261-280.

    Pour la présence des pâtes dans la culture alimentaire arabe, cf.
    Rodinson M., « Recherches sur les documents arabes relatifs à la cui
    sine », dans Revue d'études islamiques, 1949.

    Sur la diffusion de cette culture en Sicile, cf. Sada L., Spa
    ghetti e compagni, Bari, 1982 (qui fait aussi d'importantes mises au
    point sur les travaux de Sereni et de Alessio cités ci-dessus).

    Enfin je renvoie le lecteur à mon Alimentazione e cultura nel
    Medioevo, Bari, 1988, et particulièrement aux pages 133, 167-168.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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