Pour la première fois de son histoire, Laâyoune a un wali sahraoui. Mais Khalil Dkhil a-t-il les moyens de répondre aux attentes de ses administrés et de calmer les esprits, encore échauffés depuis les évènements du lundi 8 novembre ?
C’est une première au Sahara. En nommant Khalil Dkhil à la tête de la wilaya de Laâyoune, le roi a en fait opéré deux ruptures. “La première, analyse ce militant associatif, est celle d’écarter un wali (Mohamed Guelmous) qui assume une grande part de responsabilité dans les récentes émeutes qu’a connues la ville. La deuxième est la nomination du premier wali sahraoui de Laâyoune depuis 1975”. Natif de la ville en 1945, Dkhil est eneffet un pur produit du ministère de l’Intérieur. Il a notamment été ambassadeur puis gouverneur dans plusieurs régions avant d’atterrir au chef-lieu du Sahara, centre névralgique de la gestion sécuritaire et politique du conflit. Khalil Dkhil appartient également à l’une des tribus les plus puissantes et les plus influentes de la région (Rguibat Sahel). “Sa famille fait partie de ce
qu’on appelle les grandes tentes. Ses aïeuls ont été des chefs historiques dans la région. Ils ont, depuis longtemps, fait de la médiation entre les tribus sahraouies et le pouvoir central. Sa nomination marque donc une sorte de réconciliation avec les structures tribales historiques au Sahara. Des structures démocratiques, puisque nées de choix populaires et spontanés de ces mêmes tribus”, note Abdelmajid Belghzal, militant de gauche et membre du comité central de l’OMDH.
Le bon timing
Le timing de la nomination de Dkhil n’est ensuite pas anodin. 18 jours après les évènements sanglants du lundi 8 novembre, c’est une manière de signifier aux habitants mécontents que leur message est effectivement arrivé aux plus hautes autorités du pays. “C’est enfin un grand signe de confiance adressé à tous les Sahraouis, note ce responsable partisan à Laâyoune. Appliquer l’autonomie ou une forme évoluée de décentralisation nécessite la préparation des élites locales à se prendre en main et à gérer sereinement les ambitions et les contradictions des différentes sensibilités existantes sur le terrain”. Théoriquement donc, Dkhil part avec de sérieux atouts. En plus de sa légitimité tribale incontestée et d’un long parcours au ministère de l’Intérieur, il semble investi d’une mission suprême : apaiser les tensions dans la région et amorcer une nouvelle approche dans la gestion du dossier du Sahara. “L’enjeu est en effet de taille, affirme cette source officielle à Laâyoune.
Ce n’est pas un nouveau wali qui changera la donne sur le terrain, mais une nouvelle politique publique et une nouvelle approche du dossier dans sa globalité”. Une chose cependant reste sûre, nuance notre interlocuteur : “Si Dkhil échoue, ce serait une catastrophe. Le saboter serait suicidaire pour le pays. Il faudrait, au contraire, le doter de tous les moyens et de la marge de manœuvre nécessaire pour éviter une nouvelle explosion, encore plus grave que celle du lundi 8 novembre 2010”.
Blessures profondes
Trois semaines après les émeutes du lundi noir, en effet, la tension reste palpable sur le terrain. De violents affrontements entre lycéens sahraouis et originaires du nord du pays ont éclaté à Smara. Sur le Web, les commentaires racistes ou chauvins pullulent. Il y a quelques jours, une rencontre (initiée par l’exwali de Laâyoune) a même failli tourner au vinaigre. Plusieurs dizaines d’acteurs associatifs et politiques, de responsables locaux, de chioukh et d’habitants se sont retrouvés au Palais des congrès de la ville. Ils étaient censés discuter des meilleures voies pour sortir de la crise et tourner la page malheureuse du démantèlement du camp d’Agdim Izik. Sauf que, contre toute attente, la rencontre (qui a duré plus de quatre heures) a tourné en un véritable réquisitoire contre les gestionnaires de la chose publique au Sahara. Elle a surtout montré que les habitants en avaient encore gros sur le cœur et que les émeutes du lundi ne sont pas encore derrière nous. “Nous réclamons la constitution d’une commission royale pour enquêter sur les détournements et la corruption qui sévissent dans la région depuis 1975”, a notamment déclaré un jeune intervenant, sous un torrent d’applaudissements. “Nous sommes sahraouis jusqu’à la moelle et nous le resterons. Nous réclamons notre part dans cet Etat et cela ne fait pas de nous des traîtres. Ce sont la pauvreté, la corruption et le chômage qui sont à l’origine d’Agdim Izik”, a ajouté une mère de famille. Mieux encore, l’assistance a clairement pris la défense des “casseurs” du 8 novembre. “Nous implorons Sa Majesté pour qu’il libère tous nos jeunes, même les repris de justice, qui ont été arrêtés suite aux violences qu’a connues la ville. Nous ne sommes pas des révolutionnaires, ni des putschistes”, a notamment scandé l’un des intervenants. L’un des jeunes présents ce jour-là est même allé jusqu’à rappeler “la nécessité d’une réconciliation nationale”. C’est qu’au fond, expliquent plusieurs observateurs sur place, les habitants de Laâyoune (et ceux du Sahara en général) se sentent eux-mêmes blessés
Sahraouis vs Dakhilis
Un tabou (inavouable pendant plus de 35 ans) a par exemple sauté lors des dernières émeutes de Laâyoune. Et il n’a pas fini de créer des frictions plus ou moins dangereuses dans la région. “C’est presque la première fois depuis le début du conflit, explique cette source académique, qu’originaires du Sahara et du nord du Maroc s’affrontent à coups de matraques, de sabres et de cocktails Molotov. C’est très dangereux. Aujourd’hui, on ne peut plus taire cette réalité. Il faut d’urgence ouvrir un débat sérieux et franc pour consacrer une fois pour toutes la suprématie de la loi qui devrait s’appliquer à tous les citoyens sans aucune distinction”, conclut notre source. Et des débats comme celui-ci, il faudrait en ouvrir plusieurs au Sahara. “Ce qui se passe actuellement est très sérieux, tranche notre militant associatif. Cette crise a eu deux mérites : le premier est qu’elle a replacé le Sahara au cœur des préoccupations d’une large frange de la population, partout dans le pays. Le deuxiè- me est qu’elle a mis à nu toute la fragilité des institutions locales et l’impuissance des pseudo-élites sahraouies, incapables d’encadrer une population excé- dée et facilement récupérable par les courants les plus extrémistes”. Et d’ajouter : “Aujourd’hui, j’ai peur que le succès de la marche populaire de Casablanca ou l’originalité de la nomination de Dkhil à Laâyoune ne servent à éviter de débattre de sujets qui fâchent et des malaises profonds qui traversent
toute la région”.
C’est une première au Sahara. En nommant Khalil Dkhil à la tête de la wilaya de Laâyoune, le roi a en fait opéré deux ruptures. “La première, analyse ce militant associatif, est celle d’écarter un wali (Mohamed Guelmous) qui assume une grande part de responsabilité dans les récentes émeutes qu’a connues la ville. La deuxième est la nomination du premier wali sahraoui de Laâyoune depuis 1975”. Natif de la ville en 1945, Dkhil est eneffet un pur produit du ministère de l’Intérieur. Il a notamment été ambassadeur puis gouverneur dans plusieurs régions avant d’atterrir au chef-lieu du Sahara, centre névralgique de la gestion sécuritaire et politique du conflit. Khalil Dkhil appartient également à l’une des tribus les plus puissantes et les plus influentes de la région (Rguibat Sahel). “Sa famille fait partie de ce
qu’on appelle les grandes tentes. Ses aïeuls ont été des chefs historiques dans la région. Ils ont, depuis longtemps, fait de la médiation entre les tribus sahraouies et le pouvoir central. Sa nomination marque donc une sorte de réconciliation avec les structures tribales historiques au Sahara. Des structures démocratiques, puisque nées de choix populaires et spontanés de ces mêmes tribus”, note Abdelmajid Belghzal, militant de gauche et membre du comité central de l’OMDH.
Le bon timing
Le timing de la nomination de Dkhil n’est ensuite pas anodin. 18 jours après les évènements sanglants du lundi 8 novembre, c’est une manière de signifier aux habitants mécontents que leur message est effectivement arrivé aux plus hautes autorités du pays. “C’est enfin un grand signe de confiance adressé à tous les Sahraouis, note ce responsable partisan à Laâyoune. Appliquer l’autonomie ou une forme évoluée de décentralisation nécessite la préparation des élites locales à se prendre en main et à gérer sereinement les ambitions et les contradictions des différentes sensibilités existantes sur le terrain”. Théoriquement donc, Dkhil part avec de sérieux atouts. En plus de sa légitimité tribale incontestée et d’un long parcours au ministère de l’Intérieur, il semble investi d’une mission suprême : apaiser les tensions dans la région et amorcer une nouvelle approche dans la gestion du dossier du Sahara. “L’enjeu est en effet de taille, affirme cette source officielle à Laâyoune.
Ce n’est pas un nouveau wali qui changera la donne sur le terrain, mais une nouvelle politique publique et une nouvelle approche du dossier dans sa globalité”. Une chose cependant reste sûre, nuance notre interlocuteur : “Si Dkhil échoue, ce serait une catastrophe. Le saboter serait suicidaire pour le pays. Il faudrait, au contraire, le doter de tous les moyens et de la marge de manœuvre nécessaire pour éviter une nouvelle explosion, encore plus grave que celle du lundi 8 novembre 2010”.
Blessures profondes
Trois semaines après les émeutes du lundi noir, en effet, la tension reste palpable sur le terrain. De violents affrontements entre lycéens sahraouis et originaires du nord du pays ont éclaté à Smara. Sur le Web, les commentaires racistes ou chauvins pullulent. Il y a quelques jours, une rencontre (initiée par l’exwali de Laâyoune) a même failli tourner au vinaigre. Plusieurs dizaines d’acteurs associatifs et politiques, de responsables locaux, de chioukh et d’habitants se sont retrouvés au Palais des congrès de la ville. Ils étaient censés discuter des meilleures voies pour sortir de la crise et tourner la page malheureuse du démantèlement du camp d’Agdim Izik. Sauf que, contre toute attente, la rencontre (qui a duré plus de quatre heures) a tourné en un véritable réquisitoire contre les gestionnaires de la chose publique au Sahara. Elle a surtout montré que les habitants en avaient encore gros sur le cœur et que les émeutes du lundi ne sont pas encore derrière nous. “Nous réclamons la constitution d’une commission royale pour enquêter sur les détournements et la corruption qui sévissent dans la région depuis 1975”, a notamment déclaré un jeune intervenant, sous un torrent d’applaudissements. “Nous sommes sahraouis jusqu’à la moelle et nous le resterons. Nous réclamons notre part dans cet Etat et cela ne fait pas de nous des traîtres. Ce sont la pauvreté, la corruption et le chômage qui sont à l’origine d’Agdim Izik”, a ajouté une mère de famille. Mieux encore, l’assistance a clairement pris la défense des “casseurs” du 8 novembre. “Nous implorons Sa Majesté pour qu’il libère tous nos jeunes, même les repris de justice, qui ont été arrêtés suite aux violences qu’a connues la ville. Nous ne sommes pas des révolutionnaires, ni des putschistes”, a notamment scandé l’un des intervenants. L’un des jeunes présents ce jour-là est même allé jusqu’à rappeler “la nécessité d’une réconciliation nationale”. C’est qu’au fond, expliquent plusieurs observateurs sur place, les habitants de Laâyoune (et ceux du Sahara en général) se sentent eux-mêmes blessés
Sahraouis vs Dakhilis
Un tabou (inavouable pendant plus de 35 ans) a par exemple sauté lors des dernières émeutes de Laâyoune. Et il n’a pas fini de créer des frictions plus ou moins dangereuses dans la région. “C’est presque la première fois depuis le début du conflit, explique cette source académique, qu’originaires du Sahara et du nord du Maroc s’affrontent à coups de matraques, de sabres et de cocktails Molotov. C’est très dangereux. Aujourd’hui, on ne peut plus taire cette réalité. Il faut d’urgence ouvrir un débat sérieux et franc pour consacrer une fois pour toutes la suprématie de la loi qui devrait s’appliquer à tous les citoyens sans aucune distinction”, conclut notre source. Et des débats comme celui-ci, il faudrait en ouvrir plusieurs au Sahara. “Ce qui se passe actuellement est très sérieux, tranche notre militant associatif. Cette crise a eu deux mérites : le premier est qu’elle a replacé le Sahara au cœur des préoccupations d’une large frange de la population, partout dans le pays. Le deuxiè- me est qu’elle a mis à nu toute la fragilité des institutions locales et l’impuissance des pseudo-élites sahraouies, incapables d’encadrer une population excé- dée et facilement récupérable par les courants les plus extrémistes”. Et d’ajouter : “Aujourd’hui, j’ai peur que le succès de la marche populaire de Casablanca ou l’originalité de la nomination de Dkhil à Laâyoune ne servent à éviter de débattre de sujets qui fâchent et des malaises profonds qui traversent
toute la région”.
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