WikiLeaks : les coulisses du Dadis show racontées par Washington
Une série de télégrammes diplomatiques américains, publiés par WikiLeaks samedi, détaille les discussions menées, à quatre, entre le président burkinabé Blaise Compaoré, les États-Unis, la France et le Maroc sur le sort du président guinéen déchu Moussa Dadis Camara, entre fin 2009 et début 2010. Récit.
Jamais les documents publiés par WikiLeaks jusqu'à présent n'ont permis de suivre d'aussi près un épisode crucial des péripéties politiques africaines récentes. La chute de l'ex-chef de la junte en Guinée Moussa Dadis Camara et sa succession par le général Sékouba Konaté est en effet racontée par le menu dans pas moins de onze télégrammes publiés par WikiLeaks samedi.
Les grandes lignes de cette histoire étaient approximativement connues, certains épisodes ayant même été révélés par Jeune Afrique. Mais les nouveaux documents permettent de suivre, du point de vue des États-Unis, l'avancée des discussions sur la crise guinéenne entre le 30 octobre 2009 (un moins après le massacre du 28 septembre) et le 20 janvier 2010, date à laquelle Dadis débute sa « convalescence » à Ouagadougou après avoir subi une tentative d’assassinat. Le général Sékouba Konaté récupère alors le pouvoir et parvient à mener la transition à bon port (ce dont doutaient plusieurs diplomates), jusqu'au second tour de la présidentielle, le 7 novembre dernier.
Octobre 2009 : négocier l'exil de Dadis
Paris, le 30 octobre 2009. Un peu plus d'un mois après le massacre de plus de 150 personnes au stade du 28 septembre par des militaires guinéens, la communauté internationale est plus inquiète que jamais sur l'avenir du pays. L'ambassadeur des États-Unis à Conakry, Patricia Moller, vient de faire le déplacement à Paris pour rencontrer Stéphane Gompertz, le conseiller Afrique du ministère français des Affaires étrangères, Rémi Maréchaux, son homologue auprès de Nicolas Sarkozy, et Jérôme Spinoza, du ministère de la Défense.
« Les Français sont généralement tombés d'accord avec les États-Unis » sur la situation guinéenne, écrit-on à l'ambassade de Paris après ces entretiens. Les Français « conviennent que le chef de la junte Dadis Camara doit être écarté du pouvoir, mais pensent que Dadis [décrit par Stéphane Gompertz comme "dangereux" et "fou"] peut être une partie de la solution au problème s'il est manœuvré de manière approprié avec la bonne combinaison de "carottes et de bâton" », rapportent les diplomates américains.
Pour mener à bien leur plan, Paris et Washington croient à ce stade devoir offrir à Dadis « une voie de sortie » : un pays prêt à l'accueillir. Le Maroc (où Dadis aurait caché la plus grande partie de sa fortune) arrive alors dans les discussions, par une évocation de Gompertz. Mais Patricia Moller, qui semble avoir déjà sondé Rabat, indique aux Français que le royaume n’est pas intéressé.
Paris s'inquiète par ailleurs d'éventuelles sanctions internationales qui pourraient déstabiliser la Guinée. Rémi Maréchaux, notamment, met en garde : des poursuites de la Cour pénale internationale (CPI) pourraient empêcher la junte d'accepter de quitter le pouvoir.
Le président burkinabè, Blaise Compaoré, déjà en charge d'une médiation auprès de la Guinée, est le mieux placé pour mener les discussions, jugent les deux diplomaties. Le texte rapporte alors quelques remarques de Gompertz sur la personnalité du médiateur. Ce dernier serait, selon lui, très soucieux d'avoir les coudées franches dans cette affaire, et craindrait, comme Paris, une réaction trop vive de la communauté internationale. Il faut le laisser faire, semble indiquer le Français : « Nous avons encore deux ou trois semaines avant de devoir vraiment s'inquiéter d'un manque de progrès. »
Autre commentaire, sibyllin, et qui n’est pas explicité dans le texte : « Compaoré a des intérêts économiques personnels en Guinée (comme dans beaucoup d'autres pays) ce qui peut être un facteur dans sa prise de décision. »
Décembre 2009 : Dadis gravement blessé
Le 3 décembre 2009, Moussa Dadis Camara est victime d'une tentative d'assassinat de son aide de camp Toumba Diakité. Il est évacué en urgence à Rabat, qui n'en est pas informé au préalable, rappellent ses diplomates dans plusieurs autres télégrammes. Mais le Maroc l'accepte alors pour des raisons humanitaires.
Treize jours plus tard, Toumba témoigne lors d'une interview à RFI qui donnera lieu à un nouveau télégramme de Patricia Meller. « Les Guinéens paraissent généralement prêts, non seulement à l'excuser pour ses méfaits [il était l'un des principaux responsables du massacre du 28 septembre] mais aussi à oublier ce qu'il a fait, parce qu'il a mis hors-jeu un Dadis largement vu comme fou et drogué », écrit-elle.
Surtout, les Américains voient dans ce coup du destin une « fenêtre d'opportunités ». « Le dirigeant par intérim du CNDD [Conseil national pour la démocratie et le développement, junte guinéenne] Sékouba Konaté est le seul véritable espoir pour une transition politique », s'accordent à croire Américains et Français selon un télégramme du 14 décembre.
Seule question : en est-il capable ? Lors d'une réunion avec Blaise Compaoré le même jour, le médiateur burkinabè en doute. Il le décrit certes comme quelqu'un qui ne cherche pas le pouvoir, mais il n'est pas sûr qu'il ait la « volonté politique » et les « capacités physiques » pour le faire.
Tout le monde tombe en tout cas, d'accord sur un point : Dadis doit rester au Maroc. Reste à convaincre le principal intéressé, ses partisans et le pays hôte.
Attitude belliciste
Ce sont les proches de Dadis, emmenés par le colonel Moussa Keita, fidèle parmi les fidèles, qui prennent le contrôle de la délégation de la junte pour une réunion du Groupe international de contact (GIC), à Ouagadougou, le lendemain de l'attentat. Alors que l’envoi d’une force internationale est en discussion, Moussa Keita se révèle menaçant. « Un colonel Moussa Keita méprisant et belliqueux a déclaré franchement que la présence de toute force internationale, quel que soit son déguisement, sur le sol guinéen, serait considéré comme une attaque contre la souveraineté de la Guinée et une déclaration de guerre », rapporte la diplomate américaine dans une autre dépêche.
Mais, analyse-t-elle, « la capacité des jusqu'au-boutistes pro-Dadis à prendre le contrôle de la délégation du CNDD s'est retournée contre eux – en parvenant à convaincre les dirigeants africains, de par leur attitude belliciste, qu'il ne peut pas y avoir de solution avec Dadis ».
Pendant ce temps, à Rabat, le ministre marocain des Affaires étrangères, Taieb Fassi Fihri, informe les Américains de l'état de santé de Dadis. Il raconte avoir rendu visite à ce dernier le 9 décembre. Des fragments de balles ont été retirés de son crâne. Il serait alors « conscient » mais tenant des propos « incohérents ». Il a encore une balle dans la tête, souffre d'une vision et d'une locution affaiblies, complètera un autre télégramme à la fin du mois . Mais cela ne l'aurait pas empêché de demander aux Marocains de l'aider à enregistrer un message vidéo de cinq minutes à destination de la télévision guinéenne. Ce qui ne se fera pas.
Fassi Fihri informe alors ses partenaires étrangers que Moussa Dadis Camara ne pourra rester que jusqu'à la fin du mois de décembre à Rabat. Les Marocains sont en effet gênés, comprend-on dans un autre télégramme daté du 28 décembre. Ils continuent de s'opposer aux velléités de Dadis de rentrer en Guinée, mais veulent éviter d’avoir à le remettre à la CPI eux-mêmes. Le responsable du personnel au ministère des Affaires étrangères Nasser Bourita « a dit que les relations du Maroc avec la Guinée et d'autres devaient être prises en compte ». Et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies à venir, risquent de mettre le royaume « dans une position difficile ». Du coup, rapporte le diplomate américain, Fihri demande aux États-Unis et à la France de ne pas demander publiquement au Maroc de garder Dadis.
Quant à Sékouba Konaté, c'est peu dire que les Marocains ne croient pas en lui. « Un ivrogne », dit-on de lui mi-décembre, tandis qu'un militaire le décrit comme faible et sans doute incapable d'être chef d'État.
Pour Rabat, la meilleure solution reste alors un rapatriement en Guinée. « Peut-être, est-ce la seule option viable », semble se résigner le diplomate américain. Mais Washington revient à la charge deux jours plus tard avec la visite du général Ward, d'Africom, à Rabat. Celui-ci presse l'inspecteur général des Forces armées royales, le général Abdelaziz Bennani, de garder Moussa Dadis Camara aussi longtemps que possible.
Une série de télégrammes diplomatiques américains, publiés par WikiLeaks samedi, détaille les discussions menées, à quatre, entre le président burkinabé Blaise Compaoré, les États-Unis, la France et le Maroc sur le sort du président guinéen déchu Moussa Dadis Camara, entre fin 2009 et début 2010. Récit.
Jamais les documents publiés par WikiLeaks jusqu'à présent n'ont permis de suivre d'aussi près un épisode crucial des péripéties politiques africaines récentes. La chute de l'ex-chef de la junte en Guinée Moussa Dadis Camara et sa succession par le général Sékouba Konaté est en effet racontée par le menu dans pas moins de onze télégrammes publiés par WikiLeaks samedi.
Les grandes lignes de cette histoire étaient approximativement connues, certains épisodes ayant même été révélés par Jeune Afrique. Mais les nouveaux documents permettent de suivre, du point de vue des États-Unis, l'avancée des discussions sur la crise guinéenne entre le 30 octobre 2009 (un moins après le massacre du 28 septembre) et le 20 janvier 2010, date à laquelle Dadis débute sa « convalescence » à Ouagadougou après avoir subi une tentative d’assassinat. Le général Sékouba Konaté récupère alors le pouvoir et parvient à mener la transition à bon port (ce dont doutaient plusieurs diplomates), jusqu'au second tour de la présidentielle, le 7 novembre dernier.
Octobre 2009 : négocier l'exil de Dadis
Paris, le 30 octobre 2009. Un peu plus d'un mois après le massacre de plus de 150 personnes au stade du 28 septembre par des militaires guinéens, la communauté internationale est plus inquiète que jamais sur l'avenir du pays. L'ambassadeur des États-Unis à Conakry, Patricia Moller, vient de faire le déplacement à Paris pour rencontrer Stéphane Gompertz, le conseiller Afrique du ministère français des Affaires étrangères, Rémi Maréchaux, son homologue auprès de Nicolas Sarkozy, et Jérôme Spinoza, du ministère de la Défense.
« Les Français sont généralement tombés d'accord avec les États-Unis » sur la situation guinéenne, écrit-on à l'ambassade de Paris après ces entretiens. Les Français « conviennent que le chef de la junte Dadis Camara doit être écarté du pouvoir, mais pensent que Dadis [décrit par Stéphane Gompertz comme "dangereux" et "fou"] peut être une partie de la solution au problème s'il est manœuvré de manière approprié avec la bonne combinaison de "carottes et de bâton" », rapportent les diplomates américains.
Pour mener à bien leur plan, Paris et Washington croient à ce stade devoir offrir à Dadis « une voie de sortie » : un pays prêt à l'accueillir. Le Maroc (où Dadis aurait caché la plus grande partie de sa fortune) arrive alors dans les discussions, par une évocation de Gompertz. Mais Patricia Moller, qui semble avoir déjà sondé Rabat, indique aux Français que le royaume n’est pas intéressé.
Paris s'inquiète par ailleurs d'éventuelles sanctions internationales qui pourraient déstabiliser la Guinée. Rémi Maréchaux, notamment, met en garde : des poursuites de la Cour pénale internationale (CPI) pourraient empêcher la junte d'accepter de quitter le pouvoir.
Le président burkinabè, Blaise Compaoré, déjà en charge d'une médiation auprès de la Guinée, est le mieux placé pour mener les discussions, jugent les deux diplomaties. Le texte rapporte alors quelques remarques de Gompertz sur la personnalité du médiateur. Ce dernier serait, selon lui, très soucieux d'avoir les coudées franches dans cette affaire, et craindrait, comme Paris, une réaction trop vive de la communauté internationale. Il faut le laisser faire, semble indiquer le Français : « Nous avons encore deux ou trois semaines avant de devoir vraiment s'inquiéter d'un manque de progrès. »
Autre commentaire, sibyllin, et qui n’est pas explicité dans le texte : « Compaoré a des intérêts économiques personnels en Guinée (comme dans beaucoup d'autres pays) ce qui peut être un facteur dans sa prise de décision. »
Décembre 2009 : Dadis gravement blessé
Le 3 décembre 2009, Moussa Dadis Camara est victime d'une tentative d'assassinat de son aide de camp Toumba Diakité. Il est évacué en urgence à Rabat, qui n'en est pas informé au préalable, rappellent ses diplomates dans plusieurs autres télégrammes. Mais le Maroc l'accepte alors pour des raisons humanitaires.
Treize jours plus tard, Toumba témoigne lors d'une interview à RFI qui donnera lieu à un nouveau télégramme de Patricia Meller. « Les Guinéens paraissent généralement prêts, non seulement à l'excuser pour ses méfaits [il était l'un des principaux responsables du massacre du 28 septembre] mais aussi à oublier ce qu'il a fait, parce qu'il a mis hors-jeu un Dadis largement vu comme fou et drogué », écrit-elle.
Surtout, les Américains voient dans ce coup du destin une « fenêtre d'opportunités ». « Le dirigeant par intérim du CNDD [Conseil national pour la démocratie et le développement, junte guinéenne] Sékouba Konaté est le seul véritable espoir pour une transition politique », s'accordent à croire Américains et Français selon un télégramme du 14 décembre.
Seule question : en est-il capable ? Lors d'une réunion avec Blaise Compaoré le même jour, le médiateur burkinabè en doute. Il le décrit certes comme quelqu'un qui ne cherche pas le pouvoir, mais il n'est pas sûr qu'il ait la « volonté politique » et les « capacités physiques » pour le faire.
Tout le monde tombe en tout cas, d'accord sur un point : Dadis doit rester au Maroc. Reste à convaincre le principal intéressé, ses partisans et le pays hôte.
Attitude belliciste
Ce sont les proches de Dadis, emmenés par le colonel Moussa Keita, fidèle parmi les fidèles, qui prennent le contrôle de la délégation de la junte pour une réunion du Groupe international de contact (GIC), à Ouagadougou, le lendemain de l'attentat. Alors que l’envoi d’une force internationale est en discussion, Moussa Keita se révèle menaçant. « Un colonel Moussa Keita méprisant et belliqueux a déclaré franchement que la présence de toute force internationale, quel que soit son déguisement, sur le sol guinéen, serait considéré comme une attaque contre la souveraineté de la Guinée et une déclaration de guerre », rapporte la diplomate américaine dans une autre dépêche.
Mais, analyse-t-elle, « la capacité des jusqu'au-boutistes pro-Dadis à prendre le contrôle de la délégation du CNDD s'est retournée contre eux – en parvenant à convaincre les dirigeants africains, de par leur attitude belliciste, qu'il ne peut pas y avoir de solution avec Dadis ».
Pendant ce temps, à Rabat, le ministre marocain des Affaires étrangères, Taieb Fassi Fihri, informe les Américains de l'état de santé de Dadis. Il raconte avoir rendu visite à ce dernier le 9 décembre. Des fragments de balles ont été retirés de son crâne. Il serait alors « conscient » mais tenant des propos « incohérents ». Il a encore une balle dans la tête, souffre d'une vision et d'une locution affaiblies, complètera un autre télégramme à la fin du mois . Mais cela ne l'aurait pas empêché de demander aux Marocains de l'aider à enregistrer un message vidéo de cinq minutes à destination de la télévision guinéenne. Ce qui ne se fera pas.
Fassi Fihri informe alors ses partenaires étrangers que Moussa Dadis Camara ne pourra rester que jusqu'à la fin du mois de décembre à Rabat. Les Marocains sont en effet gênés, comprend-on dans un autre télégramme daté du 28 décembre. Ils continuent de s'opposer aux velléités de Dadis de rentrer en Guinée, mais veulent éviter d’avoir à le remettre à la CPI eux-mêmes. Le responsable du personnel au ministère des Affaires étrangères Nasser Bourita « a dit que les relations du Maroc avec la Guinée et d'autres devaient être prises en compte ». Et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies à venir, risquent de mettre le royaume « dans une position difficile ». Du coup, rapporte le diplomate américain, Fihri demande aux États-Unis et à la France de ne pas demander publiquement au Maroc de garder Dadis.
Quant à Sékouba Konaté, c'est peu dire que les Marocains ne croient pas en lui. « Un ivrogne », dit-on de lui mi-décembre, tandis qu'un militaire le décrit comme faible et sans doute incapable d'être chef d'État.
Pour Rabat, la meilleure solution reste alors un rapatriement en Guinée. « Peut-être, est-ce la seule option viable », semble se résigner le diplomate américain. Mais Washington revient à la charge deux jours plus tard avec la visite du général Ward, d'Africom, à Rabat. Celui-ci presse l'inspecteur général des Forces armées royales, le général Abdelaziz Bennani, de garder Moussa Dadis Camara aussi longtemps que possible.
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