Par Soufiane Djilali
En cette fin de 2010, le climat mondial paraît bien inquiétant. Pour l’observateur attentif, les signes précurseurs de bouleversements fondamentaux apparaissent, multiples, répétitifs, touchant à de nombreux domaines et lieux, et le tout avec insistance.
Des changements capitaux vont, à n’en pas douter, survenir et induire un remodelage des rapports internationaux et institué une autre configuration géopolitique dans un proche avenir. L’évolution en cours affecte les racines du monde contemporain et imprimera un nouveau destin à l’histoire des hommes : c’est d’une mutation paradigmatique dont il s’agit ! Il faut bien comprendre que la crise dans laquelle se débat l’économie-monde va au-delà d’une défaillance financière, de dettes souveraines insolvables, de chômage endémique ou d’une désindustrialisation qui ne sont, in fine, que l’expression ultime d’un reflux civilisationnel des pays occidentaux. Les guerres et les tensions en divers points de la planète s’avèrent n’être qu’une vaine tentative pour tenter de remédier au déclin implacable d’un système matérialiste à bout de souffle. Nous entrons dans une ère où progressivement les ressources vitales pour une croissance infinie – absolument nécessaire au modèle mais malheureusement impossible à tenir – s’amenuisent et que l’humanité prend, bien que trop lentement, conscience de l’inanité d’un tel mode de développement.
La fin de l’histoire ?
Le choc du réveil sera bien rude. Par un ironique retournement de sens, l’expression de F. Fukuyama se trouve appelée à une nouvelle vie : «La fin de l’histoire» devra désormais être comprise non pas comme étant la victoire définitive et totale des valeurs occidentales sur le reste de l’humanité mais comme le point final de l’histoire de la civilisation occidentale telle qu’elle a existé depuis près de deux siècles. Précisons, avant d’aller plus loin, qu’il ne s’agit pas ici d’une oraison funèbre ni d’une prophétie millénariste. Cependant, il faut bien reconnaître que jamais autant que ces derniers mois, les intellectuels occidentaux n’ont écrit avec autant de pessimisme ; pessimisme que nous qualifierons ici d’eschatologique.
Le thème du déclin, du reflux, de la défaite finale et irrémédiable, revient comme un leitmotiv dans toutes les analyses qui abordent avec sérieux l’avenir de ce monde. Nous aurions tort de n’y voir qu’une éructation de mal-pensants ou de marginaux déprimés. Le thème est devenu prégnant et influe dorénavant profondément la psychologie dominante. Cette dépression, cet effondrement moral, est d’abord dû à la nette perception de l’impasse de l’idéologie matérialiste et consumériste dans ses multiples formes balayant le spectre idéologique y afférant, allant du néolibéralisme au communisme.
Le «déchaînement de la matière»(1) a furieusement déshumanisé l’être en le rendant esclave du «Veau d’or». Puis, apparaît, là, à l’horizon, à l’échelle d’une génération à peine, l’annonce de la fin du feu d’artifice. Les plus lucides l’entrevoient et ont peur des ténèbres qui y feront suite. «Ils ressemblent à ceux qui allument un feu. Dès que celui-ci jette sa clarté sur ce qui les entoure, Dieu les prive de la lumière, les abandonne dans les ténèbres et l’incapacité de voir. Sourds, muets, aveugles, ils ne sauraient revenir sur leurs pas» (Coran, S. II, v.17 & 18). Ces versets résonnent bien plus lorsqu’on saura que la civilisation occidentale est fondamentalement celle du «feu» pour reprendre l’expression de Philippe Grasset(2) qui fait allusion à l’instrument thermodynamique(3) ou, plus prosaïquement, à la combustion des hydrocarbures comme étant aux fondations du progrès. Or, à l’échelle globale, et pour le pétrole, nous pouvons dire, avec Richard Heinberg(4) que la «fête est finie». La production des hydrocarbures, après un siècle d’exploitation intensive, devient de plus en plus difficile et de plus en plus onéreuse. Le peak oil a été très probablement déjà dépassé et les tensions sur l’offre vont apparaître très bientôt.
Un récent rapport du Pentagone l’annonçait pour 2012 ! Les Irakiens (premières malheureuses victimes d’une liste prévue bien plus longue ?) savent les conséquences pratiques et anticipées d’une telle pénurie : la destruction et la perte de souveraineté. Mais le pétrole n’est pas la seule matière en voie de disparition. D’autres matières premières sont au centre d’enjeux capitaux. La commercialisation des «terres rares»(5) par exemple, dont la production est monopolisée par la Chine, fait déjà polémique. Faut-il parler encore de la réduction de la biodiversité, des ressources halieutiques, des terres fertiles ou de l’eau potable ? Tous susceptibles d’entrainer des conflits locorégionaux dramatiques(6) ! Le technologisme(7) atteint également ses limites.
Une récente publication(8) faisait état d’études démontrant les difficultés croissantes et financièrement insupportables pour changer de générations technologiques dans l’aviation de guerre. Cette problématique peut légitimement être élargie à beaucoup d’autres secteurs aussi sensibles. Il se dresse, devant l’humanité, tout comme le «mur de Planck» en physique, un «mur technologique» au-delà duquel il semble être impossible de s’y aventurer ! Jamais dans l’histoire, l’homme n’a eu à faire face à une telle convergence de ruptures stratégiques. Désormais, le progrès matériel et les forces sous-jacentes qui le conduisent et l’animent ont atteint leurs limites. Bien sûr, il reste encore des réserves ici ou là et l’élan, tel celui d’un véhicule lancé à toute allure et à qui on coupe le moteur, ne s’arrêtera pas brutalement. Mais il est irrémédiablement condamné à terme.
L’épuisement de la nature
Il faut bien saisir que toute la civilisation actuelle est fondée sur la maîtrise de la nature et qu’elle ne peut en aucun cas lui survivre, en tous les cas dans sa forme actuelle, si d’aventure celle-ci était épuisée dans ses éléments essentiels au processus «de combustion». Or, il s’avère qu’à plus ou moins brève échéance (2050 ?), la planète ne pourra plus subvenir aux besoins des hommes si elle devait être soumise au même rythme d’exploitation et de prédation que maintenant. La situation décrite par certaines projections est tout simplement épouvantable. La civilisation occidentale a construit un modèle de vie qui non seulement est définitivement hors de portée de 90% de l’humanité mais qui bientôt deviendra impossible même pour les nations les plus riches. L’ironie du sort aura voulu que le matérialisme en tant que mode de vie, philosophie et idéologie de puissance, s’anéantisse, non pas sous les coups portés par un quelconque adversaire mais par épuisement… de matière.
La civilisation occidentalo-américaniste qui incarnait jusqu’ici la modernité est en proie à une crise finale qui s’apparentera à une implacable agonie, bien que lente et longue. Sa fin est inscrite dans ses gènes. Le capitalisme et le consumérisme qui lui est consubstantiel exigent, par essence, toujours plus. La nécessité de la croissance impose que la logique du gain supplante celle de la raison et fait que le court terme (à la bourse, dans le commerce ou dans la politique) impose ses priorités au détriment du long terme. Rien ne semble pouvoir être capable d’arrêter la prédation sinon la fin de la nature elle-même. Le drame est que lorsque la puissance politique ne permettra plus d’assurer ce mode de fonctionnement, la puissance
En cette fin de 2010, le climat mondial paraît bien inquiétant. Pour l’observateur attentif, les signes précurseurs de bouleversements fondamentaux apparaissent, multiples, répétitifs, touchant à de nombreux domaines et lieux, et le tout avec insistance.
Des changements capitaux vont, à n’en pas douter, survenir et induire un remodelage des rapports internationaux et institué une autre configuration géopolitique dans un proche avenir. L’évolution en cours affecte les racines du monde contemporain et imprimera un nouveau destin à l’histoire des hommes : c’est d’une mutation paradigmatique dont il s’agit ! Il faut bien comprendre que la crise dans laquelle se débat l’économie-monde va au-delà d’une défaillance financière, de dettes souveraines insolvables, de chômage endémique ou d’une désindustrialisation qui ne sont, in fine, que l’expression ultime d’un reflux civilisationnel des pays occidentaux. Les guerres et les tensions en divers points de la planète s’avèrent n’être qu’une vaine tentative pour tenter de remédier au déclin implacable d’un système matérialiste à bout de souffle. Nous entrons dans une ère où progressivement les ressources vitales pour une croissance infinie – absolument nécessaire au modèle mais malheureusement impossible à tenir – s’amenuisent et que l’humanité prend, bien que trop lentement, conscience de l’inanité d’un tel mode de développement.
La fin de l’histoire ?
Le choc du réveil sera bien rude. Par un ironique retournement de sens, l’expression de F. Fukuyama se trouve appelée à une nouvelle vie : «La fin de l’histoire» devra désormais être comprise non pas comme étant la victoire définitive et totale des valeurs occidentales sur le reste de l’humanité mais comme le point final de l’histoire de la civilisation occidentale telle qu’elle a existé depuis près de deux siècles. Précisons, avant d’aller plus loin, qu’il ne s’agit pas ici d’une oraison funèbre ni d’une prophétie millénariste. Cependant, il faut bien reconnaître que jamais autant que ces derniers mois, les intellectuels occidentaux n’ont écrit avec autant de pessimisme ; pessimisme que nous qualifierons ici d’eschatologique.
Le thème du déclin, du reflux, de la défaite finale et irrémédiable, revient comme un leitmotiv dans toutes les analyses qui abordent avec sérieux l’avenir de ce monde. Nous aurions tort de n’y voir qu’une éructation de mal-pensants ou de marginaux déprimés. Le thème est devenu prégnant et influe dorénavant profondément la psychologie dominante. Cette dépression, cet effondrement moral, est d’abord dû à la nette perception de l’impasse de l’idéologie matérialiste et consumériste dans ses multiples formes balayant le spectre idéologique y afférant, allant du néolibéralisme au communisme.
Le «déchaînement de la matière»(1) a furieusement déshumanisé l’être en le rendant esclave du «Veau d’or». Puis, apparaît, là, à l’horizon, à l’échelle d’une génération à peine, l’annonce de la fin du feu d’artifice. Les plus lucides l’entrevoient et ont peur des ténèbres qui y feront suite. «Ils ressemblent à ceux qui allument un feu. Dès que celui-ci jette sa clarté sur ce qui les entoure, Dieu les prive de la lumière, les abandonne dans les ténèbres et l’incapacité de voir. Sourds, muets, aveugles, ils ne sauraient revenir sur leurs pas» (Coran, S. II, v.17 & 18). Ces versets résonnent bien plus lorsqu’on saura que la civilisation occidentale est fondamentalement celle du «feu» pour reprendre l’expression de Philippe Grasset(2) qui fait allusion à l’instrument thermodynamique(3) ou, plus prosaïquement, à la combustion des hydrocarbures comme étant aux fondations du progrès. Or, à l’échelle globale, et pour le pétrole, nous pouvons dire, avec Richard Heinberg(4) que la «fête est finie». La production des hydrocarbures, après un siècle d’exploitation intensive, devient de plus en plus difficile et de plus en plus onéreuse. Le peak oil a été très probablement déjà dépassé et les tensions sur l’offre vont apparaître très bientôt.
Un récent rapport du Pentagone l’annonçait pour 2012 ! Les Irakiens (premières malheureuses victimes d’une liste prévue bien plus longue ?) savent les conséquences pratiques et anticipées d’une telle pénurie : la destruction et la perte de souveraineté. Mais le pétrole n’est pas la seule matière en voie de disparition. D’autres matières premières sont au centre d’enjeux capitaux. La commercialisation des «terres rares»(5) par exemple, dont la production est monopolisée par la Chine, fait déjà polémique. Faut-il parler encore de la réduction de la biodiversité, des ressources halieutiques, des terres fertiles ou de l’eau potable ? Tous susceptibles d’entrainer des conflits locorégionaux dramatiques(6) ! Le technologisme(7) atteint également ses limites.
Une récente publication(8) faisait état d’études démontrant les difficultés croissantes et financièrement insupportables pour changer de générations technologiques dans l’aviation de guerre. Cette problématique peut légitimement être élargie à beaucoup d’autres secteurs aussi sensibles. Il se dresse, devant l’humanité, tout comme le «mur de Planck» en physique, un «mur technologique» au-delà duquel il semble être impossible de s’y aventurer ! Jamais dans l’histoire, l’homme n’a eu à faire face à une telle convergence de ruptures stratégiques. Désormais, le progrès matériel et les forces sous-jacentes qui le conduisent et l’animent ont atteint leurs limites. Bien sûr, il reste encore des réserves ici ou là et l’élan, tel celui d’un véhicule lancé à toute allure et à qui on coupe le moteur, ne s’arrêtera pas brutalement. Mais il est irrémédiablement condamné à terme.
L’épuisement de la nature
Il faut bien saisir que toute la civilisation actuelle est fondée sur la maîtrise de la nature et qu’elle ne peut en aucun cas lui survivre, en tous les cas dans sa forme actuelle, si d’aventure celle-ci était épuisée dans ses éléments essentiels au processus «de combustion». Or, il s’avère qu’à plus ou moins brève échéance (2050 ?), la planète ne pourra plus subvenir aux besoins des hommes si elle devait être soumise au même rythme d’exploitation et de prédation que maintenant. La situation décrite par certaines projections est tout simplement épouvantable. La civilisation occidentale a construit un modèle de vie qui non seulement est définitivement hors de portée de 90% de l’humanité mais qui bientôt deviendra impossible même pour les nations les plus riches. L’ironie du sort aura voulu que le matérialisme en tant que mode de vie, philosophie et idéologie de puissance, s’anéantisse, non pas sous les coups portés par un quelconque adversaire mais par épuisement… de matière.
La civilisation occidentalo-américaniste qui incarnait jusqu’ici la modernité est en proie à une crise finale qui s’apparentera à une implacable agonie, bien que lente et longue. Sa fin est inscrite dans ses gènes. Le capitalisme et le consumérisme qui lui est consubstantiel exigent, par essence, toujours plus. La nécessité de la croissance impose que la logique du gain supplante celle de la raison et fait que le court terme (à la bourse, dans le commerce ou dans la politique) impose ses priorités au détriment du long terme. Rien ne semble pouvoir être capable d’arrêter la prédation sinon la fin de la nature elle-même. Le drame est que lorsque la puissance politique ne permettra plus d’assurer ce mode de fonctionnement, la puissance
Commentaire