Fondé en 1973 par des étudiants sahraouis, il voulait libérer le Sahara du colonialisme espagnol en prenant les armes.
Rejeté par l'Etat marocain, les partis et les syndicats, il a été récupéré par la Libye, puis l'Algérie.
Après la Marche verte, il a pris les armes contre le Maroc dans un combat qui dure depuis 35 ans.
Juin 1972. La petite ville de Tan-Tan, paisible bourgade jusqu’alors, tient son moussem annuel. Tout se déroule normalement si ce n’est la décision d’une trentaine de jeunes Sahraouis, la plupart venus de Rabat où ils poursuivent leurs études universitaires, de faire entendre leur voix. Les jeunes étudiants imprégnés des valeurs de la gauche radicale, qui trouvaient un large écho parmi la jeunesse marocaine de ce début des années 70, mettent en pratique les enseignements acquis dans les rangs de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM). Ils manifestent dans les ruelles de cette bourgade pour dénoncer les conditions misérables dans lesquelles vivent leurs familles et leurs congénères et surtout appellent le Maroc à chasser l’occupant espagnol.
«Comme ils ont brisé l’équilibre établi depuis une dizaine d’années, la réponse ne s’est pas faite attendre. Le caïd du coin a, donc, ordonné l’incarcération de ces perturbateurs de la dernière minute, et comme il n’y avait pas de prison proprement dite, il en a improvisé une. Il les a entassés dans une mansarde d’une dizaine de mètres carrés, en pisé, avec une seule porte basse et étroite et sans fenêtre, sous une chaleur suffocante», se rappelle une source au Corcas. La petite histoire nous dira, ensuite, qu’ils ont même été privés de nourriture, puis tabassés et torturés par des Mokhaznis en faction à Bizakarne, à une centaine de kilomètres au nord de Tan Tan, qui ont fait le déplacement spécialement pour cette mission. Ces jeunes, fils de notables ou d’anciens membres de l’Armée de libération de sud (ALN-Sud), dans leur majorité, ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait. Leur seul crime était, confie la même source, d’avoir été, un jour, plus éveillés, politiquement s’entend, que leurs parents, et d’avoir marché la veille de ce drame, dans les ruelles étroites de la bourgade. «Ils ont manifesté pour que le Maroc récupère ou fasse quelque chose pour récupérer son Sahara, gage d’une amélioration de cette situation sentie comme intenable et profondément désespérée», affirme la même source.
Du «Mouvement embryonnaire pour la libération du Sahara» au Polisario…
Le Maroc ne se doutait alors pas que cet excès de zèle de la part des autorités allait accentuer un malaise latent et déboucher sur un problème qu’il traînerait pendant plus de 35 ans. Moins d’une année après la manifestation de Tan-Tan, précisément le 10 mai 1973, le «Mouvement embryonnaire pour la libération du Sahara», lancé, en 1969, à Rabat, par un groupe d’étudiants, allait se radicaliser et donner naissance au Front populaire de libération de Saguia El Hamra et Oued Eddahab (Polisario). Parmi ces derniers, El Ouali Mustapha Sayed, fondateur du mouvement, décédé depuis ; Mohamed Cheikh Biadillah, actuel président de la Chambre des conseillers ; Omar Hadrami -de son vrai nom Mohamed Ali El Admi- actuellement wali au ministère de l’intérieur ; Maouelainin Ben Khalihanna Maouelainin, aujourd’hui secrétaire général du Corcas ; Mohamed Abdelaziz -connu alors sous le nom de Mohamed Rguibi-, l’actuel secrétaire général du Polisario et président de la soi-disant République arabe sahraouie démocratique (RASD), et Mohamed Salem Ould Salek, son ministre des affaires étrangères.
Il faut dire que le contexte de l’époque se prêtait aux idées révolutionnaires. Au début de l’année 1973, les dissidents, membres du mouvement radical Tanzim de Mahmoud Bennouna, avaient pris le maquis dans les montagnes du Moyen et Haut-Atlas. S’en est suivi ce qui est communément connu comme «les événements de Moulay Bouazza». «Des groupes armés réapparaissent dans les massifs montagneux du Moyen et Haut-Atlas, suivis en cela par des jeunes étudiants appartenant à l’UNEM, parmi lesquels se trouvent Mustapha El Ouali et Mohamed Abdelaziz qui, on peut le penser pour cette époque, ne concevaient leur lutte armée initiale autrement qu’au sein de l’ensemble marocain», écrit Laurent Pointier dans Sahara occidental. Une controverse devant les Nations Unies (édit. Karthala, 2004). Le Polisario dans cette histoire est un des nombreux mouvements qui s’agitent au Maroc avec l’idée de prendre les armes pour lutter contre l’occupant espagnol plutôt que de voir l’Etat négocier de manière diplomatique, donc lente, sachant que le démantèlement de l’aile sud de l’Armée de libération nationale (ALN-Sud), au lendemain de l’Indépendance, avait créé un sourd ressentiment contre l’Etat du Maroc moderne.
Quels que soient les désaccords, l’objectif final de la lutte était cependant l’Espagne. Depuis la répression, dans le sang par les autorités espagnoles, le 17 juin 1970, d’une manifestation menée par le leader du Mouvement de libération de Saguia El Hamra et Oued Dahab (MLS), Brahim Bassiri, d’origine sahraouie mais dont la famille était installée dans la région de Béni-Mellal, les jeunes étudiants Sahraouis de l’Université de Rabat avaient commencé à prendre conscience de la nécessité de mener des actions pour la libération de cette région de l’occupation espagnole. Et comme ils n’avaient pas les moyens de le faire seuls, le plus logique était de demander de l’aide aux partis nationalistes. «Ils ont été voir les dirigeants de l’UNFP, du PPS, de l’Istiqlal et de l’UMT», témoigne Mohamed Bensaid Aït Idder (voir témoignage en page suivante). L’homme les connaît bien puisqu’il a côtoyé leurs pères dans les rangs de l’ALN-Sud et a été à l’origine de la scolarisation d’un grand nombre d’entre eux dans les écoles Mohammed V, ouvertes par les nationalistes à Casablanca. Les partis de gauche et accessoirement l’UMT, étaient, eux-mêmes, persécutés à cette époque et ne pouvaient venir en aide aux étudiants sahraouis. «Allal El Fassi, leader de l’Istiqlal, les a reçus. Il était hautain, à la limite méprisable. Il leur a dit d’aller défricher le terrain, mener des actions que le parti allait revendiquer une fois réalisées. L’Istiqlal voulait récolter les bénéfices sans engager aucun capital», explique un ancien membre du Polisario.
«Ils ne pouvaient rien espérer des partis», affirme M. Bensaid. Depuis la dissolution de l’Armée de libération du Sud, à la fin des années 50, et l’introduction par le Maroc de la question du Sahara, devant la 4e Commission de l’ONU (Commission chargée de la décolonisation), l’Etat a accaparé la gestion du dossier. Les partis étaient définitivement mis à l’écart, témoigne cet ancien leader du mouvement 23 Mars et, plus tard, de l’OADP. Les jeunes sahraouis ont donc tenté leur chance auprès du gouvernement, auquel ils ont adressé un mémorandum. Sans résultat.
Le grand virage vers l’extrême gauche révolutionnaire
Déçus, ils se sont retournés vers les mouvements d’extrême gauche. «La première fois où j’ai brièvement croisé El Ouali Mustapha Sayed, c’était chez un ami étudiant du nom de Berrada, du Centre de formation des journalistes. Je n’ai fait que l’entrevoir. C’était un gars longiligne, plutôt maigre et de taille assez grande. Brun, portant une barbiche légère, aux traits typiquement sahraouis. De loin, il paraissait sérieux, voire taciturne», témoigne Abdelaziz Tribek, ancien militant d’Ilal Amam et auteur d’un livre Ilal Amam, autopsie d’un calvaire (édit. Saad Warzazi, 2009). «Je me souviens de lui, justement, en raison de la réflexion que m’avait faite un Berrada déçu et courroucé : "Ce gars-là, on l’aide par sympathie, et parce qu’il appartient à une région à problèmes, mais il nous le rend mal"», témoigne Tribek. «J’ai eu à l’œil El Ouali, chaque fois qu’on se croisait... Pour moi, c’était un gars pas réglo du tout. Je l’ai revu très peu de fois, par la suite, notamment à l’occasion d’assemblées générales de l’UNEM tenues à l’échelle de l’ensemble de l’Université, où il parlait un arabe classique aux intonations sahraouies, et de choses (…) qui n’avaient pas de rapport avec les affaires étudiantes courantes.
El Ouali n’a pas été attiré, selon toute vraisemblance, par la nébuleuse gauchiste (on ne trouve sa trace nulle part). Mais, a-t-il eu une influence sur l’adoption par Ilal Amam d’un slogan creux et déplacé par rapport aux réalités géopolitiques de l’époque, droit du peuple sahraoui à l’autodétermination (une motion du XVe Congrès de l’UNEM, tenu en août 1972, y faisait allusion), ou du discours paru dans un article de Souffles (dans son étape politique) faisant du Sahara une “Nouvelle Palestine” ?» , s’interroge Abdelaziz Tribek. En tout cas, le combat de l’époque portait contre l’occupation espagnole et le «droit à l’autodétermination» en question n’avait pas le sens indépendantiste qui est le sien aujourd’hui..
El Ouali, Kaddhafi, chacun ses calculs
El Ouali et ses amis ont fini par comprendre qu’ils ne pouvaient espérer aucun soutien des partis ou du gouvernement. Ils ont donc décidé de prendre leur destin en main. Leur première action, les événements de juin 1972 à Tan-Tan, leur a appris que ce n’était pas non plus chose aisée. Entre-temps, El Ouali Mustapha Sayed qui était le seul du groupe à bénéficier d’un programme de coopération signé par le Maroc et les Pays-Bas, en vertu duquel les étudiants marocains pouvaient travailler dans ce pays pendant leurs vacances, pouvait voyager librement à l’étranger. Outre ses allées et venues entre le Maroc, la Belgique, la Hollande et la France, il a pu effectuer un voyage en Libye qui a constitué un tournant. Il a été présenté par Fquih Basri, alors en exil, au colonel Mouamar Kaddhafi. De cette rencontre, décisive, est née une collaboration étroite, et extrêmement profitable pour le futur Polisario, entre les deux hommes. Chacun avait en fait ses petits calculs. Pour El Ouali, la Libye qui surfe sur la vague du panarabisme ambiant peut l’aider à lutter contre l’occupant espagnol. Pour Kaddhafi, qui avait pris le pouvoir en septembre 1969 en renversant le Roi Idriss 1er, le ressentiment d’El Ouali envers un Maroc qui ne se pressait pas trop pour libérer le Sahara du joug espagnol peut être exploité contre le régime de Hassan II que le dirigeant libyen ne portait pas dans son cœur. Le Souverain marocain, en effet, désapprouvait le putsch mené par Kaddhafi et le montrait de manière ostentatoire à ce capitaine auto-proclamé colonel qui avait à peine la trentaine.
Rejeté par l'Etat marocain, les partis et les syndicats, il a été récupéré par la Libye, puis l'Algérie.
Après la Marche verte, il a pris les armes contre le Maroc dans un combat qui dure depuis 35 ans.
Juin 1972. La petite ville de Tan-Tan, paisible bourgade jusqu’alors, tient son moussem annuel. Tout se déroule normalement si ce n’est la décision d’une trentaine de jeunes Sahraouis, la plupart venus de Rabat où ils poursuivent leurs études universitaires, de faire entendre leur voix. Les jeunes étudiants imprégnés des valeurs de la gauche radicale, qui trouvaient un large écho parmi la jeunesse marocaine de ce début des années 70, mettent en pratique les enseignements acquis dans les rangs de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM). Ils manifestent dans les ruelles de cette bourgade pour dénoncer les conditions misérables dans lesquelles vivent leurs familles et leurs congénères et surtout appellent le Maroc à chasser l’occupant espagnol.
«Comme ils ont brisé l’équilibre établi depuis une dizaine d’années, la réponse ne s’est pas faite attendre. Le caïd du coin a, donc, ordonné l’incarcération de ces perturbateurs de la dernière minute, et comme il n’y avait pas de prison proprement dite, il en a improvisé une. Il les a entassés dans une mansarde d’une dizaine de mètres carrés, en pisé, avec une seule porte basse et étroite et sans fenêtre, sous une chaleur suffocante», se rappelle une source au Corcas. La petite histoire nous dira, ensuite, qu’ils ont même été privés de nourriture, puis tabassés et torturés par des Mokhaznis en faction à Bizakarne, à une centaine de kilomètres au nord de Tan Tan, qui ont fait le déplacement spécialement pour cette mission. Ces jeunes, fils de notables ou d’anciens membres de l’Armée de libération de sud (ALN-Sud), dans leur majorité, ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait. Leur seul crime était, confie la même source, d’avoir été, un jour, plus éveillés, politiquement s’entend, que leurs parents, et d’avoir marché la veille de ce drame, dans les ruelles étroites de la bourgade. «Ils ont manifesté pour que le Maroc récupère ou fasse quelque chose pour récupérer son Sahara, gage d’une amélioration de cette situation sentie comme intenable et profondément désespérée», affirme la même source.
Du «Mouvement embryonnaire pour la libération du Sahara» au Polisario…
Le Maroc ne se doutait alors pas que cet excès de zèle de la part des autorités allait accentuer un malaise latent et déboucher sur un problème qu’il traînerait pendant plus de 35 ans. Moins d’une année après la manifestation de Tan-Tan, précisément le 10 mai 1973, le «Mouvement embryonnaire pour la libération du Sahara», lancé, en 1969, à Rabat, par un groupe d’étudiants, allait se radicaliser et donner naissance au Front populaire de libération de Saguia El Hamra et Oued Eddahab (Polisario). Parmi ces derniers, El Ouali Mustapha Sayed, fondateur du mouvement, décédé depuis ; Mohamed Cheikh Biadillah, actuel président de la Chambre des conseillers ; Omar Hadrami -de son vrai nom Mohamed Ali El Admi- actuellement wali au ministère de l’intérieur ; Maouelainin Ben Khalihanna Maouelainin, aujourd’hui secrétaire général du Corcas ; Mohamed Abdelaziz -connu alors sous le nom de Mohamed Rguibi-, l’actuel secrétaire général du Polisario et président de la soi-disant République arabe sahraouie démocratique (RASD), et Mohamed Salem Ould Salek, son ministre des affaires étrangères.
Il faut dire que le contexte de l’époque se prêtait aux idées révolutionnaires. Au début de l’année 1973, les dissidents, membres du mouvement radical Tanzim de Mahmoud Bennouna, avaient pris le maquis dans les montagnes du Moyen et Haut-Atlas. S’en est suivi ce qui est communément connu comme «les événements de Moulay Bouazza». «Des groupes armés réapparaissent dans les massifs montagneux du Moyen et Haut-Atlas, suivis en cela par des jeunes étudiants appartenant à l’UNEM, parmi lesquels se trouvent Mustapha El Ouali et Mohamed Abdelaziz qui, on peut le penser pour cette époque, ne concevaient leur lutte armée initiale autrement qu’au sein de l’ensemble marocain», écrit Laurent Pointier dans Sahara occidental. Une controverse devant les Nations Unies (édit. Karthala, 2004). Le Polisario dans cette histoire est un des nombreux mouvements qui s’agitent au Maroc avec l’idée de prendre les armes pour lutter contre l’occupant espagnol plutôt que de voir l’Etat négocier de manière diplomatique, donc lente, sachant que le démantèlement de l’aile sud de l’Armée de libération nationale (ALN-Sud), au lendemain de l’Indépendance, avait créé un sourd ressentiment contre l’Etat du Maroc moderne.
Quels que soient les désaccords, l’objectif final de la lutte était cependant l’Espagne. Depuis la répression, dans le sang par les autorités espagnoles, le 17 juin 1970, d’une manifestation menée par le leader du Mouvement de libération de Saguia El Hamra et Oued Dahab (MLS), Brahim Bassiri, d’origine sahraouie mais dont la famille était installée dans la région de Béni-Mellal, les jeunes étudiants Sahraouis de l’Université de Rabat avaient commencé à prendre conscience de la nécessité de mener des actions pour la libération de cette région de l’occupation espagnole. Et comme ils n’avaient pas les moyens de le faire seuls, le plus logique était de demander de l’aide aux partis nationalistes. «Ils ont été voir les dirigeants de l’UNFP, du PPS, de l’Istiqlal et de l’UMT», témoigne Mohamed Bensaid Aït Idder (voir témoignage en page suivante). L’homme les connaît bien puisqu’il a côtoyé leurs pères dans les rangs de l’ALN-Sud et a été à l’origine de la scolarisation d’un grand nombre d’entre eux dans les écoles Mohammed V, ouvertes par les nationalistes à Casablanca. Les partis de gauche et accessoirement l’UMT, étaient, eux-mêmes, persécutés à cette époque et ne pouvaient venir en aide aux étudiants sahraouis. «Allal El Fassi, leader de l’Istiqlal, les a reçus. Il était hautain, à la limite méprisable. Il leur a dit d’aller défricher le terrain, mener des actions que le parti allait revendiquer une fois réalisées. L’Istiqlal voulait récolter les bénéfices sans engager aucun capital», explique un ancien membre du Polisario.
«Ils ne pouvaient rien espérer des partis», affirme M. Bensaid. Depuis la dissolution de l’Armée de libération du Sud, à la fin des années 50, et l’introduction par le Maroc de la question du Sahara, devant la 4e Commission de l’ONU (Commission chargée de la décolonisation), l’Etat a accaparé la gestion du dossier. Les partis étaient définitivement mis à l’écart, témoigne cet ancien leader du mouvement 23 Mars et, plus tard, de l’OADP. Les jeunes sahraouis ont donc tenté leur chance auprès du gouvernement, auquel ils ont adressé un mémorandum. Sans résultat.
Le grand virage vers l’extrême gauche révolutionnaire
Déçus, ils se sont retournés vers les mouvements d’extrême gauche. «La première fois où j’ai brièvement croisé El Ouali Mustapha Sayed, c’était chez un ami étudiant du nom de Berrada, du Centre de formation des journalistes. Je n’ai fait que l’entrevoir. C’était un gars longiligne, plutôt maigre et de taille assez grande. Brun, portant une barbiche légère, aux traits typiquement sahraouis. De loin, il paraissait sérieux, voire taciturne», témoigne Abdelaziz Tribek, ancien militant d’Ilal Amam et auteur d’un livre Ilal Amam, autopsie d’un calvaire (édit. Saad Warzazi, 2009). «Je me souviens de lui, justement, en raison de la réflexion que m’avait faite un Berrada déçu et courroucé : "Ce gars-là, on l’aide par sympathie, et parce qu’il appartient à une région à problèmes, mais il nous le rend mal"», témoigne Tribek. «J’ai eu à l’œil El Ouali, chaque fois qu’on se croisait... Pour moi, c’était un gars pas réglo du tout. Je l’ai revu très peu de fois, par la suite, notamment à l’occasion d’assemblées générales de l’UNEM tenues à l’échelle de l’ensemble de l’Université, où il parlait un arabe classique aux intonations sahraouies, et de choses (…) qui n’avaient pas de rapport avec les affaires étudiantes courantes.
El Ouali n’a pas été attiré, selon toute vraisemblance, par la nébuleuse gauchiste (on ne trouve sa trace nulle part). Mais, a-t-il eu une influence sur l’adoption par Ilal Amam d’un slogan creux et déplacé par rapport aux réalités géopolitiques de l’époque, droit du peuple sahraoui à l’autodétermination (une motion du XVe Congrès de l’UNEM, tenu en août 1972, y faisait allusion), ou du discours paru dans un article de Souffles (dans son étape politique) faisant du Sahara une “Nouvelle Palestine” ?» , s’interroge Abdelaziz Tribek. En tout cas, le combat de l’époque portait contre l’occupation espagnole et le «droit à l’autodétermination» en question n’avait pas le sens indépendantiste qui est le sien aujourd’hui..
El Ouali, Kaddhafi, chacun ses calculs
El Ouali et ses amis ont fini par comprendre qu’ils ne pouvaient espérer aucun soutien des partis ou du gouvernement. Ils ont donc décidé de prendre leur destin en main. Leur première action, les événements de juin 1972 à Tan-Tan, leur a appris que ce n’était pas non plus chose aisée. Entre-temps, El Ouali Mustapha Sayed qui était le seul du groupe à bénéficier d’un programme de coopération signé par le Maroc et les Pays-Bas, en vertu duquel les étudiants marocains pouvaient travailler dans ce pays pendant leurs vacances, pouvait voyager librement à l’étranger. Outre ses allées et venues entre le Maroc, la Belgique, la Hollande et la France, il a pu effectuer un voyage en Libye qui a constitué un tournant. Il a été présenté par Fquih Basri, alors en exil, au colonel Mouamar Kaddhafi. De cette rencontre, décisive, est née une collaboration étroite, et extrêmement profitable pour le futur Polisario, entre les deux hommes. Chacun avait en fait ses petits calculs. Pour El Ouali, la Libye qui surfe sur la vague du panarabisme ambiant peut l’aider à lutter contre l’occupant espagnol. Pour Kaddhafi, qui avait pris le pouvoir en septembre 1969 en renversant le Roi Idriss 1er, le ressentiment d’El Ouali envers un Maroc qui ne se pressait pas trop pour libérer le Sahara du joug espagnol peut être exploité contre le régime de Hassan II que le dirigeant libyen ne portait pas dans son cœur. Le Souverain marocain, en effet, désapprouvait le putsch mené par Kaddhafi et le montrait de manière ostentatoire à ce capitaine auto-proclamé colonel qui avait à peine la trentaine.
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