Angélique Mounier-Kuhn
(AFP)
Le 9 janvier prochain, les Sud-Soudanais choisiront presque sûrement de s’émanciper de la tutelle de Khartoum. L’avènement de ce 54e Etat sur le continent sera jalonné d’inconnues, qui pourraient conduire à une nouvelle guerre, redoutent les observateurs. Revue des questions encore ouvertes, à trois semaines du scrutin
LES LIENS
Abyei, l’enclave de toutes les tensions
Infographie. Abyei, la pomme de discorde
Archives. Aux origines de la crise soudanaise, en 1955
Depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993, il était acquis que l’Afrique comptait 53 pays. Sauf incident ou report de dernière minute, le continent accueillera prochainement un 54e membre. Le 9 janvier 2011, les électeurs des dix Etats de la partie sud du Soudan doivent se prononcer pour ou contre l’indépendance de leur territoire.
De l’avis unanime des observateurs, les sudistes, pétris de rancœurs historiques à l’égard du nord et encouragés par les responsables du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), les ex-rebelles au pouvoir dans la région semi-autonome, opteront massivement pour l’autonomie, une décision historique à l’échelle du continent et une véritable épreuve du feu pour l’Union africaine (UA). «Nous savons que nous nous dirigeons vers un tremblement de terre. Mais après, quelles en seront les répliques? C’est bien la question que toute l’Afrique se pose», résume un spécialiste.
Depuis que le Soudan s’est affranchi de la tutelle anglo-égyptienne en 1956, le nord musulman et le sud chrétien et animiste ont constamment guerroyé, à l’exception d’une trêve d’une dizaine d’années. Le principe du référendum d’autodétermination qui devait se tenir au plus tard en janvier 2011 a été arrêté par l’Accord global de paix (CPA, pour Comprehensive Peace Agreement), signé en 2005 au Kenya sous le parrainage de la communauté internationale pour mettre un terme à une seconde interminable guerre civile (1983-2005) qui décima 2 millions de personnes. La Mission des Nations unies au Soudan (10 500 hommes actuellement) a été créée pour assurer la mise en œuvre de cet accord. «A l’époque, le CPA était le meilleur accord de paix jamais négocié jusque-là en Afrique. Mais aujourd’hui, il y a plus de risques que d’espoirs», alerte le Néerlandais Jan Pronk, envoyé spécial de l’ONU au Soudan de 2004 à 2006.
Car, en réalité, le scrutin du 9 janvier prochain, ouvrira la voie non pas à un nouveau pays, mais à deux. En divorçant de Khartoum, Juba – la capitale du Sud – amputera l’actuel Soudan d’un tiers de sa surface, d’un quart de sa quarantaine de millions d’habitants et d’une proportion substantielle de ses recettes pétrolières. La République du Soudan de demain n’aura plus rien à voir avec celle d’hier. Quant à l’édification du nouvel Etat du Sud, elle reposera sur un processus jalonné d’inconnues et de périls qui accapareront toutes les parties prenantes au dossier durant une période intérimaire d’un semestre, avant peut-être une reconnaissance officielle lors de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2011. Relevé de toutes les questions encore ouvertes, à trois semaines du référendum.
Le scrutin aura-t-il lieu
à la date prévue?
L’enregistrement des électeurs a été bouclé le 8 décembre, mais la liste définitive ne sera officialisée que quelques jours avant le référendum. Près de 3 millions de Sud-Soudanais vivant au sud du pays, mais aussi au nord et à l’étranger, se sont inscrits et sont manifestement impatients d’aller au vote. «Ils veulent se prononcer sur leur avenir. Compte tenu de leur histoire, tout retard engendrerait chez eux un sentiment de duperie, de trahison», avec le risque de dérapages violents, souligne Peter Pham, vice-président du National Committee on American Foreign Policy, un institut de réflexion new-yorkais. «C’est une question de principe, le respect du CPA dont plusieurs pays observateurs sont garants (Etats-Unis, Norvège, Royaume-Uni…) est essentiel», ajoute Damien Helly, chercheur à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne. «Tout le monde tient à cette date. Mais il ne faut pas exclure qu’un report soit annoncé à la toute dernière minute pour des raisons techniques, nuance un observateur occidental. Dans ce cas, il faudrait qu’il le soit avec l’assentiment du Sud, et qu’une nouvelle date soit fixée à brève échéance.»
Le CPA prévoyait qu’un second référendum se tienne lui aussi le 9 janvier, portant sur le rattachement de la région pétrolifère d’Abyei, la zone frontalière la plus convoitée, à l’une ou l’autre partie du pays. Les négociations qui devaient mener à ce scrutin ont achoppé, et il a été reporté sine die (lire ci-dessous).
Quelles questions faut-il régler avant l’émergence du nouvel Etat?
La sécession probable du Sud pose d’innombrables questions concrètes, dont aucune n’est à ce jour résolue. Comment s’appellera le Sud-Soudan indépendant? Quel sera son drapeau? Plus important, choisira-t-il de battre sa propre monnaie et honorera-t-il les engagements internationaux contractés par le Nord? Une autre interrogation concerne le partage de la dette nationale, qui atteint 34 milliards de dollars sur lesquels Khartoum est en bonne part en défaut. Le Sud, qui accuse le Nord d’avoir emprunté pour mener la guerre et de l’avoir maintenu dans un état de sous-développement, laisse entendre qu’il n’assumera aucun remboursement.
(AFP)
Le 9 janvier prochain, les Sud-Soudanais choisiront presque sûrement de s’émanciper de la tutelle de Khartoum. L’avènement de ce 54e Etat sur le continent sera jalonné d’inconnues, qui pourraient conduire à une nouvelle guerre, redoutent les observateurs. Revue des questions encore ouvertes, à trois semaines du scrutin
LES LIENS
Abyei, l’enclave de toutes les tensions
Infographie. Abyei, la pomme de discorde
Archives. Aux origines de la crise soudanaise, en 1955
Depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993, il était acquis que l’Afrique comptait 53 pays. Sauf incident ou report de dernière minute, le continent accueillera prochainement un 54e membre. Le 9 janvier 2011, les électeurs des dix Etats de la partie sud du Soudan doivent se prononcer pour ou contre l’indépendance de leur territoire.
De l’avis unanime des observateurs, les sudistes, pétris de rancœurs historiques à l’égard du nord et encouragés par les responsables du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), les ex-rebelles au pouvoir dans la région semi-autonome, opteront massivement pour l’autonomie, une décision historique à l’échelle du continent et une véritable épreuve du feu pour l’Union africaine (UA). «Nous savons que nous nous dirigeons vers un tremblement de terre. Mais après, quelles en seront les répliques? C’est bien la question que toute l’Afrique se pose», résume un spécialiste.
Depuis que le Soudan s’est affranchi de la tutelle anglo-égyptienne en 1956, le nord musulman et le sud chrétien et animiste ont constamment guerroyé, à l’exception d’une trêve d’une dizaine d’années. Le principe du référendum d’autodétermination qui devait se tenir au plus tard en janvier 2011 a été arrêté par l’Accord global de paix (CPA, pour Comprehensive Peace Agreement), signé en 2005 au Kenya sous le parrainage de la communauté internationale pour mettre un terme à une seconde interminable guerre civile (1983-2005) qui décima 2 millions de personnes. La Mission des Nations unies au Soudan (10 500 hommes actuellement) a été créée pour assurer la mise en œuvre de cet accord. «A l’époque, le CPA était le meilleur accord de paix jamais négocié jusque-là en Afrique. Mais aujourd’hui, il y a plus de risques que d’espoirs», alerte le Néerlandais Jan Pronk, envoyé spécial de l’ONU au Soudan de 2004 à 2006.
Car, en réalité, le scrutin du 9 janvier prochain, ouvrira la voie non pas à un nouveau pays, mais à deux. En divorçant de Khartoum, Juba – la capitale du Sud – amputera l’actuel Soudan d’un tiers de sa surface, d’un quart de sa quarantaine de millions d’habitants et d’une proportion substantielle de ses recettes pétrolières. La République du Soudan de demain n’aura plus rien à voir avec celle d’hier. Quant à l’édification du nouvel Etat du Sud, elle reposera sur un processus jalonné d’inconnues et de périls qui accapareront toutes les parties prenantes au dossier durant une période intérimaire d’un semestre, avant peut-être une reconnaissance officielle lors de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2011. Relevé de toutes les questions encore ouvertes, à trois semaines du référendum.
Le scrutin aura-t-il lieu
à la date prévue?
L’enregistrement des électeurs a été bouclé le 8 décembre, mais la liste définitive ne sera officialisée que quelques jours avant le référendum. Près de 3 millions de Sud-Soudanais vivant au sud du pays, mais aussi au nord et à l’étranger, se sont inscrits et sont manifestement impatients d’aller au vote. «Ils veulent se prononcer sur leur avenir. Compte tenu de leur histoire, tout retard engendrerait chez eux un sentiment de duperie, de trahison», avec le risque de dérapages violents, souligne Peter Pham, vice-président du National Committee on American Foreign Policy, un institut de réflexion new-yorkais. «C’est une question de principe, le respect du CPA dont plusieurs pays observateurs sont garants (Etats-Unis, Norvège, Royaume-Uni…) est essentiel», ajoute Damien Helly, chercheur à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne. «Tout le monde tient à cette date. Mais il ne faut pas exclure qu’un report soit annoncé à la toute dernière minute pour des raisons techniques, nuance un observateur occidental. Dans ce cas, il faudrait qu’il le soit avec l’assentiment du Sud, et qu’une nouvelle date soit fixée à brève échéance.»
Le CPA prévoyait qu’un second référendum se tienne lui aussi le 9 janvier, portant sur le rattachement de la région pétrolifère d’Abyei, la zone frontalière la plus convoitée, à l’une ou l’autre partie du pays. Les négociations qui devaient mener à ce scrutin ont achoppé, et il a été reporté sine die (lire ci-dessous).
Quelles questions faut-il régler avant l’émergence du nouvel Etat?
La sécession probable du Sud pose d’innombrables questions concrètes, dont aucune n’est à ce jour résolue. Comment s’appellera le Sud-Soudan indépendant? Quel sera son drapeau? Plus important, choisira-t-il de battre sa propre monnaie et honorera-t-il les engagements internationaux contractés par le Nord? Une autre interrogation concerne le partage de la dette nationale, qui atteint 34 milliards de dollars sur lesquels Khartoum est en bonne part en défaut. Le Sud, qui accuse le Nord d’avoir emprunté pour mener la guerre et de l’avoir maintenu dans un état de sous-développement, laisse entendre qu’il n’assumera aucun remboursement.
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