Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Benjamin Stora explique l'histoire des juifs d'Algérie

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Benjamin Stora explique l'histoire des juifs d'Algérie

    Entretien avec Benjamin Stora pour mieux comprendre l'histoire des juifs d'Algérie.



    Le rapport à Israël a modifié le rapport à la France


    Partons du décret Crémieux.....Comme vous le dites dans votre livre, Les Trois Exils, il a joué et il joue encore un rôle essentiel dans l’identité des juifs venus d’Algérie….

    Un rôle important certes. Mais il ne faut pas oublier que les Algériens ont été colonisés beaucoup plus tôt que les Tunisiens et les Marocains. La différence est déjà là. En Algérie, la francisation commence en 1830. Elle est beaucoup plus profonde qu’au Maroc et en Tunisie où la présence française s’impose seulement en 1881 pour la Tunisie et 1912 pour le Maroc.
    Le décret Crémieux, qui est adopté en 1870, vient quarante ans après la conquête de l’Algérie. Quarante ans, c’est plus qu’une génération.

    Mais pourquoi donc est-il adopté tout de suite en 1870, dès la formation du gouvernement provisoire de la République après le désastre de Sedan et la chute du Second Empire ?

    Oh ! C’est une bataille ancienne. Cela faisait très longtemps que Crémieux oeuvrait pour la naturalisation française des juifs d’Algérie. Juif, franc-maçon, enfant des Lumières, cette naturalisation lui paraissait aller de soi. Dès 1840, les juifs de France font campagne pour qu’on étende aux juifs d’Algérie leur propre statut. Et en Algérie, certains cercles juifs d’Alger principalement, voulaient entrer dans la Cité française. Ces derniers se sont heurtés à l’opposition de familles arabes notabilisées ; eux aussi désiraient acquérir ce statut.

    Sans doute. Mais pourquoi cette précipitation ? Le gouvernement est à peine formé, il réside encore à Tours, et hop ! Crémieux fait passer son décret.

    Cela n’a pas été analysé.
    Encore une fois, beaucoup de juifs avaient impulsé une bataille pour la naturalisation. Mais les autorités françaises se préoccupaient à l’époque surtout des minorités chrétiennes qui vivaient en terre d’islam. Il n’y avait pas de « politique juive internationale », le décret Crémieux est toujours resté une affaire très franco-française.

    La communauté juive française avait la volonté d’émanciper les juifs d’Algérie, et elle avait l’oreille de Napoléon III. D’un autre côté, Ismaël Urbain, grand conseiller de l’Empereur pour l’islam, plaidait pour la formation d’un Royaume arabe.

    On ne peut pas dire qu’il y ait eu un débat sur la naturalisation des juifs d’Algérie. Il y a eu des pressions, et ces pressions venaient de certains responsables de la communauté juive.

    Il faut se rendre compte que de 1830 à 1870, la question coloniale est entre les mains d’un petit groupe d’hommes et que l’Algérie est sous le contrôle de l’armée française. L’armée en Algérie, c’est le cœur et l’origine de ce que l’on a appelé l’Armée d’Afrique.

    Les officiers français sont les maîtres absolus de ce territoire pour le meilleur et pour le pire. Le pire est bien connu. Le meilleur, ce sont ces militaires érudits qui parlent l’arabe, dessinent des cartes, fouillent, ressuscitent le passé.

    Or une partie de cette armée est antisémite, comme le sont « culturellement » à l’époque plusieurs écrivains ou hommes politiques. Je pourrais citer des déclarations incroyables de militaires sur les juifs. L’armée est donc tout à fait opposée à la naturalisation des juifs d’Algérie.

    Maintenant que nous en parlons, j’en viens à penser que le décret Crémieux a pu passer, peut être, à cause de la déroute de l’armée en 1870. L’armée, qui a perdu de son prestige, n’est plus en mesure de s’opposer aux pressions en faveur de la naturalisation.

    Une fenêtre d’opportunité qui pouvait se refermer ?

    Oui, c’est cela, et Crémieux en profite pour passer son décret. En effet, il avait peu de temps devant lui.

    A partir de 1871, on entre dans une nouvelle phase en Algérie. Les civils et les colons prennent le pouvoir. Ils développent un leitmotiv qui sera indéfiniment répété : le décret Crémieux déplait aux Arabes, il faut l’abolir. L’abrogation du « décret infâme » sera une des grandes revendications des milieux réactionnaires. Par contre, la gauche républicaine soutient le décret. Et c’est pour cela que les juifs d’Algérie étaient à gauche. Profondément à gauche.

    Il faudrait apporter des nuances en fonction des villes.

    A Constantine, par exemple, se trouve la plus grande communauté juive. Et il y a beaucoup moins de juifs assimilés.

    Après 1918, il est question d’étendre le décret Crémieux aux indigènes. Mais ce ne sera jamais fait. Derrière le « péril juif » se dessine le « péril démographique arabe ».

    Certes la population « européenne » a augmenté avec l’afflux après 1870 d’Alsaciens, d’Espagnols, d’Italiens, de Maltais poussés par la faim, la misère, le chômage. Ils sont faits français par le décret de 1889. Mais ils restent minoritaires. L’extension du décret Crémieux à tous les indigènes ruinerait complètement l’ « équilibre » qui s’est institué.

    On peut dire que le rapport des juifs d’Algérie à la France est un rapport passionné, presque d’amour. Pour la majorité d’entre eux, l’abrogation du décret par le régime de Vichy, ce n’est pas la France. Dans les synagogues on prie pour le Président de la République, pour la Nation, pour la France, avec une foi intacte.

    En 1962, ils sont allés en France. Pas question d’aller en Israël pour la majorité. La patrie c’est la France. La France de gauche. Celle de Guy Mollet, de François Mitterrand, qui établit et défend l’Algérie française, fraternelle, citoyenne.

    A ce moment là, ils ont le sentiment qu’il n’y a pas de nation algérienne. Ils passent à côté de l’existence d’un courant nationaliste algérien. En 1954-1955, quand commencent les « événements », les juifs français sont assimilés depuis cinq générations. A leurs yeux, le nationalisme algérien est une régression, un retour en arrière.

    Les dirigeants du FLN en 1956 auront beau faire appel aux juifs, Un très petit nombre rejoindra le FLN, essentiellement dans la mouvance communiste. La plupart des juifs d’Algérie étaient dans le courant SFIO, ou du parti radical.

    Les juifs d’Algérie ne s’appellent pas juifs algériens. Ce sont des « juifs d’Algérie », qui s’opposent sur ce plan aux juifs marocains, aux juifs tunisiens. Quand ils arrivent en France en 1962, les juifs marocains et tunisiens n’ont pas de passeport français, au contraire des juifs d’Algérie.

    Cela date, d’abord, de la déclaration de de Gaulle, en 1967, à propos du peuple « sûr de lui et dominateur », puis cela s’est amplifié avec la première intifada de 1987. Tout d’un coup, les juifs ont eu le sentiment que la politique française était devenue « pro-palestinienne ».

    La gauche française avait été pro-israélienne du temps de Guy Mollet. Pour les juifs de gauche, il y avait donc une cohérence entre leur amour pour la France et leurs sentiments pour Israël. Du jour où la gauche française s’est alignée sur la politique arabe de la France, le lien s’est rompu, et les juifs se sont, en partie, séparés de la gauche.

    Ce divorce des juifs d’Algérie est très important. Car dans la « communauté » juive française, les juifs d’Algérie sont les plus nombreux, une majorité des juifs marocains et tunisiens ayant émigré en Israël.

    Il y a néanmoins une certaine invisibilité en France des juifs d’Algérie, qui sont des sortes « d’ashkénazes du monde arabe ». Pendant de nombreuses années, on ne savait pas que BHL, Attali, Derrida, venaient d’Algérie. Quant à moi, je m’identifie comme un intellectuel venant du monde arabe, j’ai gardé un lien fort avec l’Orient. Peut-être parce que je viens de Constantine, où, comme je l’ai dit, l’emprise communautaire était plus forte. Enrico Macias est lui aussi constantinois.

    Pourrait-on parler de contamination communautaire à partir des juifs marocains et tunisiens ?

    C’est possible. Les juifs marocains et tunisiens ont apporté avec eux un savoir-faire culturel, religieux, un lien à l’Orient que les juifs d’Algérie n’ont pas assumé pendant longtemps.

    Les juifs marocains et tunisiens ont été, aussi, beaucoup plus dynamiques. Ils arrivaient tels des exilés, des immigrés, et avaient beaucoup plus d’appétits en tant que vrais étrangers que les juifs d’Algérie rapatriés s’appuyant sur les aides de l’Etat, sûrs quand ils étaient fonctionnaires de retrouver un emploi, un logement dans les HLM, un statut, etc…

    Les juifs d’Algérie ont appris le français dans les écoles de la République, les juifs tunisiens et marocains, dans celles de l’Alliance israélite. En Algérie, les écoles de l’Alliance faisaient en fait office d’écoles talmudiques. Nuance !

    Ces nuances sont en train de s’atténuer. Et puis aussi la découverte des relations de Mitterrand avec Bousquet…cela a été un véritable choc. La France de gauche, la France tout court a déçu. D’où un attachement inconditionnel à Israël, contre la montée de l’islamisme.

    Pour résumer, les juifs ont perdu leur tradition diasporique.

    N’est-ce pas là un des objectifs du sionisme ?

    Certes. Mais ce n’est pas pour cela qu’on va résider en Israël. Si on n’y va pas physiquement, on le fait dans sa tête. Ce n’est pas propre à la France. Dans toutes les communautés juives, on retrouve ce phénomène. Je parle de la masse.

    S’ajoutent les sentiments anti-juifs que l’on décèle chez certains musulmans.

    C’est une situation dangereuse, difficile, compliquée. Il est indispensable de garder des liens, des passerelles.
    Le modèle français est en crise, comme tous les modèles. Mais si l’on compare avec ce qui se passe en Espagne, en Belgique, en Hollande, aux Etats-Unis, c’est le modèle français qui résiste le mieux.


    Propos recueillis par Philippe Simonnot et relus par Benjamin Stora
    Dernière modification par Yakouren, 26 décembre 2010, 02h16.

  • #2
    Benjamin Stora

    Né le 2 décembre 1950 à Constantine en Algérie, Benjamin Stora est Professeur des universités. Il enseigne l’histoire de la colonisation française aux XIXe et XXe siècles, les guerres de décolonisations, et l’histoire de l’immigration maghrébine en Europe, à l’INALCO (Langues Orientales, Paris).
    En 2006, Benjamin Stora publie Les Trois exils. Juifs d’Algérie, nommé pour le Prix Renaudot Essais. En 2007, il co-dirige avec Emile Temime un ouvrage sur l’histoire des immigrations en France, Immigrances, et publie un essai sur la France et son passé colonial, La guerre des mémoires (Ed de l’Aube).

    Commentaire


    • #3
      De toute facon, le modele francais est en crise et la France n'est plus attractive. Les minorites ont tendance a s'identifier a des communautes plutot qu'a la communaute nationale.

      Commentaire

      Chargement...
      X