Etat des lieux d'un mandat présidentiel
Par Chems Eddine Chitour
Professeur A Polytechnique
On sait que le programme quinquennal 2004-2009 complémentaire de soutien à la croissance, doté de 60 milliards de dollars, vise, selon les orientations du Président, à l’amélioration des conditions de vie, le développement des infrastructures de base, le soutien au développement économique, la modernisation du service public et le développement des nouvelles technologies de communication.
Ce programme, qui s’appuie sur les moyens dégagés grâce à l’aisance financière du pays, a été lancé, rappelons-le, par le président de la République pour poursuivre le Programme de soutien à la relance économique mis en oeuvre de 1999 à 2004.
L’opinion publique a surtout retenu de ce programme quinquennal deux objectifs: livraison d’un million de nouveaux logements et création de 2.000.000 de postes d’emploi. C’est-à-dire 400.000 emplois par an. Une première constatation: ce chiffre est impossible à réaliser dans les conditions actuelles de sa réalisation. Comment peut-on créer de l’emploi avec une technologie de passage sans sédimentation ? A titre d’exemple, Les rares emplois visibles sont ceux générés par les show-rooms des voitures importées pour 2 milliards de dollars, sans aucune création de richesse. Les emplois créés par les dollars de la rente algérienne l’ont été pour les travailleurs en Chine, au Japon, en Corée, en France, en Turquie...
Il n’y a que le FMI à être satisfait. Ce dernier a estimé «encourageantes l’évolution et les perspectives économiques» de l’Algérie durant l’année 2005... On dit que l’inflation reste relativement faible et que le taux de chômage est autour de 15%. Il est très possible que l’on compte comme emplois permanents des emplois précaires. Dans tous les cas, il faut s’interroger sur les gisements d’emploi. Mise à part la fonction publique et encore - on sait comment les postes sont chichement disputés dans le système éducatif, préférant autoriser des heures supplémentaires au lieu de créer des postes stables -, ce gouvernement précarise encore plus l’enseignement supérieur du fait que l’enseignant, qui est au bas de l’échelle des salaires, passe son temps à faire la chasse aux heures supplémentaires. Allez parler à ce gouvernement de la détérioration de l’acte pédagogique...
Le bilan du gouvernement, ce sont aussi les relations économiques internationales (accord d’association avec l’Union européenne, processus d’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce, Union africaine), autant de relations qui connaissent une panne de l’action. A ce niveau, il y a un point à faire en particulier pour l’accord d’association avec l’UE - le Président est lui-même intervenu pour pointer du doigt les dérives de cet accord - et le processus d’adhésion à l’OMC, pour rassurer les travailleurs et les patrons, inquiets quant à l’avenir en raison des retombées négatives de la mondialisation sur l’économie nationale.
Le pays s’apprête à entrer dans la troisième année du second quinquennat du président de la République. C’est globalement un bilan à mi-parcours. Il faut rappeler, pour planter le décor, que depuis 1999, l’Algérie a engrangé près de 150 milliards de dollars. Rappelons aussi que de 1965 à 1978, sous la période du Président Boumediène, l’Algérie avait hérité d’une manne de 22 milliards de dollars. Toutes proportions gardées, et même en tenant compte de l’inflation, il faut bien convenir que le tissu industriel, notamment sidérurgique (complexe sidérurgique), le complexe agro-industriel (mécanique) et surtout le raffinage actuel (5 raffineries pour 22 millions de tonnes de pétrole) et les différents complexes pétrochimiques datent de cette période. C’était l’époque, et sans verser dans la nostalgie, où chaque dollar reçu était investi pour permettre à l’Algérie de rejoindre le peloton des pays développés. Depuis 1979, nous n’avons pratiquement rien édifié de pérenne, nous avons mangé la rente.
Le deuxième mandat est caractérisé par l’ambition d’injecter 60 milliards pour le développement des infrastructures portuaires, aéroportuaires, les routes, les barrages, le développement des hauts-plateaux et aussi du Sud. C’est bien. Mais là comme ailleurs, il n’y a pas de plan directeur et cette ambition est orpheline du fait que la société ne participe pas. Les jeunes par millions et les diplômés par centaines de milliers ne se sentent pas concernés par le fonctionnement d’un gouvernement plus isolé que jamais dans sa tour d’ivoire, voire sa morgue, pendant que l’Algérie d’en bas voit passer avec amertume le train du progrès. En toute objectivité, il n’y aura pas de transfert de technologie pour 60 milliards de dollars plus tard... Nous aurons peut-être une autoroute, des logements, un aéroport, mais nous serons toujours à l’origine des actes concernant la sédimentation du savoir et du savoir-faire. Quand on pense que pour à peine 8 milliards de dollars, la Chine a imposé à la France un transfert de technologie concomitamment à l’achat des Airbus... Est-ce là le développement durable qui permettrait de ne pas hypothéquer l’avenir des générations futures ? Qu’avons-nous à présenter à cette jeunesse quand la rente ne sera plus là ? A bien des égards, il y a une panne d’imagination pour un gouvernement qui gère le pays porté par une inertie et d’une façon linéaire.
Le Président a beau admonester et tirer la sonnette d’alarme sur le fait que le pays est plus que jamais dépendant des hydrocarbures, nous n’exportons que pour 800 millions de dollars hors hydrocarbure. Et là encore, il faut comprendre que nous exportons du minerai, des phosphates, des métaux non ferreux, des dattes et du vin. En clair, nous exportons les fruits de la terre du sol et du sous-sol ! Où est la création de richesse ? Quand on pense que l’Inde exporte l’équivalent de 10 milliards de dollars en logiciels, une production immatérielle ! Voilà donc une utopie généreuse qui est celle de développer le pays hors hydrocarbure réduite à néant.
Le pays n’a jamais eu autant de ressources matérielles et pourtant la société algérienne semble s’installer dans les temps morts. Si on devait objectivement tirer un bilan de l’action du président de la République, la seule action qui soit porteuse d’espérance est la Réconciliation nationale. Quelles que soient les manoeuvres des uns et des autres pour instrumentaliser cette action majeure, il faut espérer, d’une part, que le pays a définitivement tourné la page de la fitna - bien que le projet de société consensuel peine à se déployer - , d’autre part, que nous ne rentrons pas dans une autre ère de légitimité qui aurait jailli du malheur des Algériennes et des Algériens pendant la décennie rouge.
On l’aura compris, l’une des inerties structurelles du pays est le fonds de commerce engendré par la révolution à travers les «descendants des ayants des droits» qui se sont autoproclamés «famille révolutionnaire», au point que le budget du ministère des Moudjahidine est une fois et demi supérieur à celui de l’Enseignement supérieur ! Il faut bien un jour que ce gouvernement nous explique ses clés de décodage !
A cette étape du mandat, le Président devra plus que jamais s’appuyer sur sa jeunesse, ses élites, seules sources pérennes. Nous devons savoir pourquoi ce gouvernement ne fait pas grand-chose pour retenir nos diplômés. Il est vrai que ce n’est pas avec un CDD petit boulot, géré par les affaires sociales, que l’on retiendra un bac +5, +6, +7 à quelques centaines de kilomètres de l’Europe. A titre d’exemple, en réformant la loi sur le droit d’asile, le gouvernement français affirme qu’il veut «en finir avec l’immigration subie et opter pour l’immigration choisie». Le texte propose aussi le titre de séjour «compétences et talents». D’une durée de validité de 3 ans, il sera attribué aux personnes «qui contribuent au rayonnement de la France».
Par ailleurs, pourquoi les enseignants ont-ils mentalement démissionné ? Il faut bien convenir que ce n’est pas avec des méthodes coercitives que l’on peut dialoguer avec l’université qui, qu’on le veuille ou non, est incontournable. Il faut qu’elle prenne sa part dans le développement. Ce n’est pas en revenant aux réflexes des années 70, permettant de créer des instituts hors MES, que l’on réglera les problèmes de la formation du pays. Ce qui sera sûr, c’est que l’on s’acheminera vers une société à deux vitesses.
Pourtant, 25.000 diplômés sortent chaque année dans les disciplines scientifiques. C’est 25.000 projets et inventions potentiels avec des appels d’offres pour des réalisations, en commençant par le b.a.-ba, notamment par la fabrication des équipements pédagogiques. D’ailleurs, la venue d’Ignacio Lulla, président du Brésil, - qui, comme la Chine et l’Inde, a une grande expérience dans la fabrication des équipements pédagogiques - aurait pu être mise à profit pour créer des start-up pour les milliers de cadres qui chôment.
Notre rente est factice. Il vaut mieux garder nos ressources dans le sous-sol et les commercialiser avec parcimonie. La Loi de 1991, qui court toujours, amène des dizaines de milliards de dollars, et selon toutes les analyses, le prix du brut ne fera qu’augmenter dans l’avenir. Calibrons nos besoins financiers sur notre développement et allons d’une façon résolue vers les autres énergies renouvelables, et pourquoi pas le nucléaire.
En définitive, la jeunesse, qui représente 75% de la population, a besoin d’un signal fort. Elle a besoin d’être accompagnée. A ce titre, l’expérience des Etats-Unis après la crise de 1929 concernant l’Armée de Développement national est un sujet à méditer.
On l’aura compris: une mise à plat de toutes les initiatives dans un cadre de concertation de toutes les parties, notamment l’université, devrait enfin pouvoir donner un second souffle à l’action du gouvernement et tenir les orientations maintes fois réitérées par le Président.
Par Chems Eddine Chitour
Professeur A Polytechnique
On sait que le programme quinquennal 2004-2009 complémentaire de soutien à la croissance, doté de 60 milliards de dollars, vise, selon les orientations du Président, à l’amélioration des conditions de vie, le développement des infrastructures de base, le soutien au développement économique, la modernisation du service public et le développement des nouvelles technologies de communication.
Ce programme, qui s’appuie sur les moyens dégagés grâce à l’aisance financière du pays, a été lancé, rappelons-le, par le président de la République pour poursuivre le Programme de soutien à la relance économique mis en oeuvre de 1999 à 2004.
L’opinion publique a surtout retenu de ce programme quinquennal deux objectifs: livraison d’un million de nouveaux logements et création de 2.000.000 de postes d’emploi. C’est-à-dire 400.000 emplois par an. Une première constatation: ce chiffre est impossible à réaliser dans les conditions actuelles de sa réalisation. Comment peut-on créer de l’emploi avec une technologie de passage sans sédimentation ? A titre d’exemple, Les rares emplois visibles sont ceux générés par les show-rooms des voitures importées pour 2 milliards de dollars, sans aucune création de richesse. Les emplois créés par les dollars de la rente algérienne l’ont été pour les travailleurs en Chine, au Japon, en Corée, en France, en Turquie...
Il n’y a que le FMI à être satisfait. Ce dernier a estimé «encourageantes l’évolution et les perspectives économiques» de l’Algérie durant l’année 2005... On dit que l’inflation reste relativement faible et que le taux de chômage est autour de 15%. Il est très possible que l’on compte comme emplois permanents des emplois précaires. Dans tous les cas, il faut s’interroger sur les gisements d’emploi. Mise à part la fonction publique et encore - on sait comment les postes sont chichement disputés dans le système éducatif, préférant autoriser des heures supplémentaires au lieu de créer des postes stables -, ce gouvernement précarise encore plus l’enseignement supérieur du fait que l’enseignant, qui est au bas de l’échelle des salaires, passe son temps à faire la chasse aux heures supplémentaires. Allez parler à ce gouvernement de la détérioration de l’acte pédagogique...
Le bilan du gouvernement, ce sont aussi les relations économiques internationales (accord d’association avec l’Union européenne, processus d’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce, Union africaine), autant de relations qui connaissent une panne de l’action. A ce niveau, il y a un point à faire en particulier pour l’accord d’association avec l’UE - le Président est lui-même intervenu pour pointer du doigt les dérives de cet accord - et le processus d’adhésion à l’OMC, pour rassurer les travailleurs et les patrons, inquiets quant à l’avenir en raison des retombées négatives de la mondialisation sur l’économie nationale.
Le pays s’apprête à entrer dans la troisième année du second quinquennat du président de la République. C’est globalement un bilan à mi-parcours. Il faut rappeler, pour planter le décor, que depuis 1999, l’Algérie a engrangé près de 150 milliards de dollars. Rappelons aussi que de 1965 à 1978, sous la période du Président Boumediène, l’Algérie avait hérité d’une manne de 22 milliards de dollars. Toutes proportions gardées, et même en tenant compte de l’inflation, il faut bien convenir que le tissu industriel, notamment sidérurgique (complexe sidérurgique), le complexe agro-industriel (mécanique) et surtout le raffinage actuel (5 raffineries pour 22 millions de tonnes de pétrole) et les différents complexes pétrochimiques datent de cette période. C’était l’époque, et sans verser dans la nostalgie, où chaque dollar reçu était investi pour permettre à l’Algérie de rejoindre le peloton des pays développés. Depuis 1979, nous n’avons pratiquement rien édifié de pérenne, nous avons mangé la rente.
Le deuxième mandat est caractérisé par l’ambition d’injecter 60 milliards pour le développement des infrastructures portuaires, aéroportuaires, les routes, les barrages, le développement des hauts-plateaux et aussi du Sud. C’est bien. Mais là comme ailleurs, il n’y a pas de plan directeur et cette ambition est orpheline du fait que la société ne participe pas. Les jeunes par millions et les diplômés par centaines de milliers ne se sentent pas concernés par le fonctionnement d’un gouvernement plus isolé que jamais dans sa tour d’ivoire, voire sa morgue, pendant que l’Algérie d’en bas voit passer avec amertume le train du progrès. En toute objectivité, il n’y aura pas de transfert de technologie pour 60 milliards de dollars plus tard... Nous aurons peut-être une autoroute, des logements, un aéroport, mais nous serons toujours à l’origine des actes concernant la sédimentation du savoir et du savoir-faire. Quand on pense que pour à peine 8 milliards de dollars, la Chine a imposé à la France un transfert de technologie concomitamment à l’achat des Airbus... Est-ce là le développement durable qui permettrait de ne pas hypothéquer l’avenir des générations futures ? Qu’avons-nous à présenter à cette jeunesse quand la rente ne sera plus là ? A bien des égards, il y a une panne d’imagination pour un gouvernement qui gère le pays porté par une inertie et d’une façon linéaire.
Le Président a beau admonester et tirer la sonnette d’alarme sur le fait que le pays est plus que jamais dépendant des hydrocarbures, nous n’exportons que pour 800 millions de dollars hors hydrocarbure. Et là encore, il faut comprendre que nous exportons du minerai, des phosphates, des métaux non ferreux, des dattes et du vin. En clair, nous exportons les fruits de la terre du sol et du sous-sol ! Où est la création de richesse ? Quand on pense que l’Inde exporte l’équivalent de 10 milliards de dollars en logiciels, une production immatérielle ! Voilà donc une utopie généreuse qui est celle de développer le pays hors hydrocarbure réduite à néant.
Le pays n’a jamais eu autant de ressources matérielles et pourtant la société algérienne semble s’installer dans les temps morts. Si on devait objectivement tirer un bilan de l’action du président de la République, la seule action qui soit porteuse d’espérance est la Réconciliation nationale. Quelles que soient les manoeuvres des uns et des autres pour instrumentaliser cette action majeure, il faut espérer, d’une part, que le pays a définitivement tourné la page de la fitna - bien que le projet de société consensuel peine à se déployer - , d’autre part, que nous ne rentrons pas dans une autre ère de légitimité qui aurait jailli du malheur des Algériennes et des Algériens pendant la décennie rouge.
On l’aura compris, l’une des inerties structurelles du pays est le fonds de commerce engendré par la révolution à travers les «descendants des ayants des droits» qui se sont autoproclamés «famille révolutionnaire», au point que le budget du ministère des Moudjahidine est une fois et demi supérieur à celui de l’Enseignement supérieur ! Il faut bien un jour que ce gouvernement nous explique ses clés de décodage !
A cette étape du mandat, le Président devra plus que jamais s’appuyer sur sa jeunesse, ses élites, seules sources pérennes. Nous devons savoir pourquoi ce gouvernement ne fait pas grand-chose pour retenir nos diplômés. Il est vrai que ce n’est pas avec un CDD petit boulot, géré par les affaires sociales, que l’on retiendra un bac +5, +6, +7 à quelques centaines de kilomètres de l’Europe. A titre d’exemple, en réformant la loi sur le droit d’asile, le gouvernement français affirme qu’il veut «en finir avec l’immigration subie et opter pour l’immigration choisie». Le texte propose aussi le titre de séjour «compétences et talents». D’une durée de validité de 3 ans, il sera attribué aux personnes «qui contribuent au rayonnement de la France».
Par ailleurs, pourquoi les enseignants ont-ils mentalement démissionné ? Il faut bien convenir que ce n’est pas avec des méthodes coercitives que l’on peut dialoguer avec l’université qui, qu’on le veuille ou non, est incontournable. Il faut qu’elle prenne sa part dans le développement. Ce n’est pas en revenant aux réflexes des années 70, permettant de créer des instituts hors MES, que l’on réglera les problèmes de la formation du pays. Ce qui sera sûr, c’est que l’on s’acheminera vers une société à deux vitesses.
Pourtant, 25.000 diplômés sortent chaque année dans les disciplines scientifiques. C’est 25.000 projets et inventions potentiels avec des appels d’offres pour des réalisations, en commençant par le b.a.-ba, notamment par la fabrication des équipements pédagogiques. D’ailleurs, la venue d’Ignacio Lulla, président du Brésil, - qui, comme la Chine et l’Inde, a une grande expérience dans la fabrication des équipements pédagogiques - aurait pu être mise à profit pour créer des start-up pour les milliers de cadres qui chôment.
Notre rente est factice. Il vaut mieux garder nos ressources dans le sous-sol et les commercialiser avec parcimonie. La Loi de 1991, qui court toujours, amène des dizaines de milliards de dollars, et selon toutes les analyses, le prix du brut ne fera qu’augmenter dans l’avenir. Calibrons nos besoins financiers sur notre développement et allons d’une façon résolue vers les autres énergies renouvelables, et pourquoi pas le nucléaire.
En définitive, la jeunesse, qui représente 75% de la population, a besoin d’un signal fort. Elle a besoin d’être accompagnée. A ce titre, l’expérience des Etats-Unis après la crise de 1929 concernant l’Armée de Développement national est un sujet à méditer.
On l’aura compris: une mise à plat de toutes les initiatives dans un cadre de concertation de toutes les parties, notamment l’université, devrait enfin pouvoir donner un second souffle à l’action du gouvernement et tenir les orientations maintes fois réitérées par le Président.
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