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Saliha, un regard voilé sur la «filière tchétchène»

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  • Saliha, un regard voilé sur la «filière tchétchène»

    Voilée de la tête aux pieds, un sac de cuir en bandoulière, les mains gantées de noir à la saoudienne. Saliha Lebik, 27 ans, comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour «association de malfaiteurs liée à une entreprise terroriste» à cause de son mari, Merouane Benhamed, 33 ans, pilier supposé des «filières tchétchènes». Lui, barbu, cheveux ras, lunettes et pull-over, occupe la première place du box des détenus et monopolise la parole. Elle, discrète et effacée, s'assied tous les jours sur la première chaise des prévenus libres, aux côtés d'une autre Algérienne en hijab, Hafsa Benchellali, mère de Menad, autre activiste en vue dans ce procès. Jamais en France, on n'a encore jugé de femmes au sein d'un réseau d'islamistes. Parce qu'elles n'ont pas voix au chapitre.

    Née à Chlef en Algérie, Saliha Lebik a été «achetée» au bled par le père de Benhamed qui a versé au sien «une dot de 600 euros». «C'est un mariage traditionnel arrangé, elle n'avait pas vingt ans, ne connaissait pas son futur mari, on lui avait promis l'Arabie Saoudite, elle s'est retrouvée dans un squat à la Courneuve et puis en prison et puis ici au tribunal», dit son avocate, Me Dominique Beyreuther Minkov (1), blonde et rebelle, pestant contre ce destin qu'elle trouve «injuste» et qu'elle appelle «la jurisprudence bague au doigt». Pour l'accusation qui tient Merouane Benhamed pour un «terroriste présumé», son épouse «connaissait nécessairement» ses projets d'attentats. «Jamais, jure Saliha Lebik à la barre, la voix douce mais ferme, mon éducation ne me permet pas de poser des questions.» Il lui est impossible de reconnaître les comparses de son homme dans le box puisque «je dois marcher derrière mon mari et baisser les yeux». Lui discute avec ses codétenus, ne l'écoute pas, ne la regarde pas. Elle, gracieuse, menton rond et fossettes, dit ignorer sa qualité «d'émir» au sein du Groupe islamique armé (GIA) en Algérie et sa clandestinité en 1997.

    Mari officiel
    . Alors qu'il était recherché, Merouane Benhamed * qui l'avait juste épousée religieusement * lui donne un mari officiel, en Algérie en mars 1999 : il la «marie au civil» avec son propre frère Kamel. «Pour protéger ma famille», se défend l'ex-fugitif. Saliha Lebik se retrouve ainsi avec un «mari officiel», tandis que le sien risque la peine de mort dans son pays. Merouane Benhamed s'enfuit en Europe cette année-là avec son frère Kamel, mais sans Saliha. «Pourquoi avez-vous laissé votre femme là-bas en Algérie ?», s'indigne la procureure Anne Kostomaroff. «C'est pas une question ça, je suis son mari», rétorque Benhamed d'un ton dominateur.

    Saliha le rejoint en France en juillet 2001 et atterrit à la cité des 4 000 à la Courneuve (Seine-Saint-Denis). Ils habitent un logement emprunté à un autre Algérien. Saliha ne comprend pas tout ce qui s'y passe. Certes, elle voit son mari bricoler des appareils et apprend de sa bouche qu'il «se passionne pour l'électronique». Elle le croyait «dans le commerce de l'or». Il voyage souvent au Maroc, en Espagne, en Turquie et en Géorgie. Elle y voit des déplacements professionnels pour chercher les pépites. La Direction de la surveillance du territoire (DST) les interprète comme des jihads. Pour le contre-terrorisme, Merouane Benhamed a suivi un stage de «fabrication d'engins explosifs et d'électronique pour monter des systèmes de déclenchement à distance» dans les camps d'Al-Qaeda dans les gorges du Pankissi (Géorgie) puis «un entraînement militaire avec tirs à la kalachnikov» en vue d'aller combattre les Russes en Tchétchénie, mais il n'a pas pu franchir la frontière. Le juge Jean-Louis Bruguière reproche à Saliha Lebik d'avoir accompagné son époux dans le Caucase. Elle soutient le contraire : «Je n'ai pas fait le voyage de Géorgie en Autriche, mon mari a d'ailleurs été retrouvé avec la petite photo d'une femme qui n'est pas moi.»

    Tuberculose. Dans l'appartement dit «conspiratif» de la Courneuve, 10, rue Honoré-de-Balzac, des cartons de composants électroniques ont été découverts en bas de l'armoire de la chambre, mais Saliha jure qu'elle n'y a «jamais touché». Elle n'a pas fait attention aux deux circuits intégrés raccordés à des piles de 9 volts planqués dans le bac à lessive de la machine à laver. Atteinte de tuberculose, Saliha était «tellement malade» qu'elle avait déjà assez à faire pour allaiter son nourrisson. Elle avait accouché le 20 juin 2002 d'un bébé qu'ils ont appelé Sarah, «le prénom de toutes les religions». Elle se débrouillait souvent seule, incapable alors de s'exprimer en français ou de prendre le métro. Elle reprochait à son mari ses absences : «Tu dois t'occuper plus de ta fille et de ta famille». «Quand il recevait des visites, je n'avais pas le droit de sortir de ma chambre.» Attrapée elle aussi par la DST, placée quatre jours en garde à vue, Saliha Lebik a été emprisonnée un an, libérée pour Noël 2003, placée sous contrôle judiciaire à la cité Bethléem de Souzy-la-Briche (Essonne) avec sa fillette.

    Assise au premier rang du public avec une nounou, Sarah, habillée en rose, coiffée de deux couettes, attend sagement sa mère et fait bonjour de la main à son père qui ne la voit pas. Lors d'une suspension d'audience, lundi, Me Isabelle Coutant-Peyre, l'avocate de Benhamed, a pris la fillette dans ses bras et demandé la permission de la laisser embrasser son père. Refus de la présidente : «Je souhaite qu'on éloigne cette enfant de ces débats.» Merouane Benhamed a insisté, en vain : «Elle a 4 ans, elle ne me connaît pas.» Saliha non plus ne connaît pas son mari.

    (1) Mes Coutant-Peyre et Beyreuther-Minkov ont déposé hier une requête en récusation de la présidente Jacqueline Rebeyrotte. Pour les deux avocates, sa désignation n'est pas compatible avec le fait qu'elle a déjà présidé et jugé en décembre 2004 «le dossier dit du groupe de Francfort» dont «la connexité avec celui des filières tchétchènes est indiscutable», ce qui pose «le problème de son impartialité» et de son «opinion préconçue sur la culpabilité» de Merouane Benhamed et de sa femme.

    Par Liberation
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