Marc Botenga
7 janvier 2011
Les négociations sur le programme nucléaire Iranien doivent reprendre bientôt et, une fois encore, l’Union Européenne est appelée à intervenir comme médiateur. Ce n’est pas un moindre défi. Avec l’Iran qui insiste pour débattre des capacités nucléaires d’Israël tandis que les Etats-Unis préparent un texte plus restrictif sur les échanges d’uranium, un accord semble plus éloigné que jamais. Néanmoins, l’UE, un négociateur majeur depuis 2002, qui est à la fois un allié de choix des US et un des plus importants partenaires commerciaux de l’Iran, semble être l’acteur le mieux placé pour parvenir à un accord équilibré. Mais l’Union Européenne souhaite-t-elle encore jouer ce rôle ?
De la médiation à la confrontation
Jusqu’en 2004, la médiation de l’UE a connu un certain succès. L’Iran avait accepté de prendre en compte les préoccupations occidentales au sujet de ses intentions nucléaires, suspendu temporairement et volontairement l’enrichissement d’uranium, et s’était soumis à des inspections plus contraignantes. En échange, l’UE avait reconnu que la suspension des activités nucléaires n’était pas une obligation légale selon les termes du traité de non-prolifération ( NPT ) mais une démarche volontaire visant à établir la confiance dans les intentions de l’Iran à s’engager dans le développement de technologies nucléaires pacifiques. Ni les Nations Unies, ni l’Agence Internationale de l’Energie Atomique n’avaient trouvé de preuves d’un programme nucléaire militaire et la voie semblait trouvée pour un accord global. Néanmoins, de façon abrupte et surprenante, l’UE interrompit son action médiatrice pour s’accorder avec le président US de l’époque, George W. BUSH, sur une nouvelle stratégie commune vis à vis de l’Iran.
Le projet cadre proposé par l’UE en 2005 en vue d’un accord à long terme demandait formellement à l’Iran de s’engager au delà des exigences du NPT et de renoncer à toute activité de recyclage des matières fissiles. S’écartant des bases légales des négociations, au mépris des règles du NPT, on excluait ainsi -ex ante- toute contre proposition iranienne potentiellement constructive. Au fil du temps, les compensations offertes à l’Iran pour renoncer à ses ambitions nucléaires furent progressivement réduites. Le projet cadre 2005 promettait encore à l’Iran un soutien pour sa candidature à l’OMC et lui facilitait l’accès à des technologies avancées ainsi qu’aux pièces de rechange d’aviation civile. Il garantissait aussi un accroissement des échanges commerciaux, reconnaissait un rôle de Téhéran en Iraq et en Afghanistan et évoquait un possible accord de sécurité régional.
Dans la proposition globale 2006 5+1 par contre, les garanties de sécurité disparaissent. En échange de l’acceptation de conditions d’inspection rigoureuses et de la suspension de l’enrichissement d’uranium, le projet 5+1 offrait à peine plus qu’une « conférence pour la promotion du dialogue et de la coopération » (1). Les promesses de coopération économique se résumaient vaguement à « l’amélioration de l’accès de l’Iran à l’économie internationale, », « le lever potentiel des restrictions, » et « l’accès possible aux productions, équipements et technologies agricoles européennes et US. » (2).
La proposition de juin 2008 n’était pas meilleure. Elle suspendait même explicitement les droit de l’Iran reconnus par le NPT jusqu’à ce que la confiance internationale dans son programme nucléaire soit rétablie et cela sans prendre en compte les inquiétudes de l’Iran au sujet de l’arsenal nucléaire Israélien. Plutôt que d’œuvrer à l’élaboration d’un compromis mutuellement favorable, il semble que Bruxelles ait utilisé sa position de négociateur pour acculer Téhéran dans un coin et rendre les sanctions « inévitables. »
Dans ce scénario soigneusement orchestré d’exigences croissantes et de compensations décroissantes, l’acceptation en 2009 par l’Iran des propositions occidentales sur les échanges d’uranium prirent l’UE et en fait tout le monde occidental par surprise. Afin d’éviter tout accord, les dirigeants européens dénoncèrent violemment la demande iranienne de garanties sur le moment et la manière dont son uranium serait restitué, se joignant aux US dans une course aux sanctions. Même quand un accord sur les échanges nucléaires fut officiellement entériné par le Brésil et la Turquie, l’UE persista à ne pas considérer ce « oui » comme une réponse. Jason DITZ fait très justement observer que « à long terme, il apparaît que le seul motif d’objection à l’accord Turc soit qu’il fasse obstacle aux sanctions qui semblent avoir été une fin en soi. » (3). En fait, non contente de la résolution 1929 des Nations Unies, l’Union a approuvé en quelque sorte les sanctions les plus fortes qu’elle ait jamais appuyées contre aucun pays. (4). Ces décisions indiquent un changement majeur dans la politique étrangère de l’UE. Longtemps opposée à des mesures coercitives, l’UE est aujourd’hui devenue le plus ardent défenseur de sanctions effectives. Quels objectifs politiques sous-jacents ont conduit à ce changement de diplomatie ?
Donner un sens à cette prise de position
Quel que soit cet objectif, il doit être suffisamment important pour que l’Europe lui sacrifie ses intérêts économiques. En 2007, le ministre allemand des finances a calculé que des sanctions sévères contre l’économie iranienne pourraient coûter plus de 2 milliards d’euros (5) à l’Allemagne. La perte de parts de marché constitue un prix à payer plus lourd encore que le coût strictement financier. Laurent Maillard pour l’AFP explique comment les sanctions occidentales ont ouvert la voie aux compagnies chinoises. Entre 2006 et 2007, les échanges commerciaux UE - Iran ont diminué d’environ 7 %. (6).
Les échanges Italo-Iraniens, qui augmentaient en 2007, ont également chuté de 6% à moins de 4 milliards d’euros en 2009. Au cours de la même année, les échanges germano-iraniens ont chuté d’un autre 5.8 %. Et si le commerce de l’UE avec l’Iran a de nouveau augmenté de 10 % environ pendant la première moitié de l’année en cours, ce fut surtout suite à l’évolution des cours du prix du pétrole et des taux de change d’une part et d’un manque de souplesse dans l’application des directives politiques d’autre part. Le gouvernement italien par exemple prétendait que les grosses compagnies italiennes avaient suspendu leurs transactions et que l’augmentation concernait surtout les petites et moyennes entreprises dont les patrons n’étaient pas liés aux engagements gouvernementaux. Pendant ce temps, les concurrents chinois comme Zhenhua Oil prennent petit à petit la place des compagnies UE. De manière significative et tout à l’opposé des sanctions UE, un partenariat Russo-Chinois entre Lukoil et Zhuhai Zhenrong a repris l’approvisionnement en fuel de l’Iran quelques semaines à peine après que l’UE ait adopté ses premières sanctions unilatérales.
Les positions nucléaires iraniennes ont peu de chances de justifier la nouvelle politique. Alors que les pourparlers nucléaires étaient toujours en cours, les Etats membres de l’Union incitaient déjà leurs compagnies nationales à désinvestir (7). Les préoccupations au sujet du programme nucléaire iranien ne justifient en aucun cas ces sacrifices économiques. En dépit de toutes les manifestations hystériques qui l’entourent, il n’y a encore aucune preuve de programme nucléaire militaire. Et quand bien même il existerait, des experts de renom comme Martin Van Creveld et le général John Aabizaid, ou encore des décideurs politiques israéliens comme Ehud Barak et Tzipi Livni ont reconnu que l’arme nucléaire iranienne ne constituait pas une réelle menace pour les intérêts occidentaux (8). La supériorité nucléaire occidentale est telle que la bombe iranienne aurait tout au plus un effet dissuasif. En fait, plutôt qu’un effet déstabilisateur sur la région, l’arme nucléaire iranienne pourrait la ré-équilibrer en faisant contrepoids à l’avantage d’Israël en la matière. Tout comme la crise iraquienne des armes de destruction massive en 2003, la crise nucléaire iranienne est avant tout une crise artificiellement inventée.
7 janvier 2011
Les négociations sur le programme nucléaire Iranien doivent reprendre bientôt et, une fois encore, l’Union Européenne est appelée à intervenir comme médiateur. Ce n’est pas un moindre défi. Avec l’Iran qui insiste pour débattre des capacités nucléaires d’Israël tandis que les Etats-Unis préparent un texte plus restrictif sur les échanges d’uranium, un accord semble plus éloigné que jamais. Néanmoins, l’UE, un négociateur majeur depuis 2002, qui est à la fois un allié de choix des US et un des plus importants partenaires commerciaux de l’Iran, semble être l’acteur le mieux placé pour parvenir à un accord équilibré. Mais l’Union Européenne souhaite-t-elle encore jouer ce rôle ?
De la médiation à la confrontation
Jusqu’en 2004, la médiation de l’UE a connu un certain succès. L’Iran avait accepté de prendre en compte les préoccupations occidentales au sujet de ses intentions nucléaires, suspendu temporairement et volontairement l’enrichissement d’uranium, et s’était soumis à des inspections plus contraignantes. En échange, l’UE avait reconnu que la suspension des activités nucléaires n’était pas une obligation légale selon les termes du traité de non-prolifération ( NPT ) mais une démarche volontaire visant à établir la confiance dans les intentions de l’Iran à s’engager dans le développement de technologies nucléaires pacifiques. Ni les Nations Unies, ni l’Agence Internationale de l’Energie Atomique n’avaient trouvé de preuves d’un programme nucléaire militaire et la voie semblait trouvée pour un accord global. Néanmoins, de façon abrupte et surprenante, l’UE interrompit son action médiatrice pour s’accorder avec le président US de l’époque, George W. BUSH, sur une nouvelle stratégie commune vis à vis de l’Iran.
Le projet cadre proposé par l’UE en 2005 en vue d’un accord à long terme demandait formellement à l’Iran de s’engager au delà des exigences du NPT et de renoncer à toute activité de recyclage des matières fissiles. S’écartant des bases légales des négociations, au mépris des règles du NPT, on excluait ainsi -ex ante- toute contre proposition iranienne potentiellement constructive. Au fil du temps, les compensations offertes à l’Iran pour renoncer à ses ambitions nucléaires furent progressivement réduites. Le projet cadre 2005 promettait encore à l’Iran un soutien pour sa candidature à l’OMC et lui facilitait l’accès à des technologies avancées ainsi qu’aux pièces de rechange d’aviation civile. Il garantissait aussi un accroissement des échanges commerciaux, reconnaissait un rôle de Téhéran en Iraq et en Afghanistan et évoquait un possible accord de sécurité régional.
Dans la proposition globale 2006 5+1 par contre, les garanties de sécurité disparaissent. En échange de l’acceptation de conditions d’inspection rigoureuses et de la suspension de l’enrichissement d’uranium, le projet 5+1 offrait à peine plus qu’une « conférence pour la promotion du dialogue et de la coopération » (1). Les promesses de coopération économique se résumaient vaguement à « l’amélioration de l’accès de l’Iran à l’économie internationale, », « le lever potentiel des restrictions, » et « l’accès possible aux productions, équipements et technologies agricoles européennes et US. » (2).
La proposition de juin 2008 n’était pas meilleure. Elle suspendait même explicitement les droit de l’Iran reconnus par le NPT jusqu’à ce que la confiance internationale dans son programme nucléaire soit rétablie et cela sans prendre en compte les inquiétudes de l’Iran au sujet de l’arsenal nucléaire Israélien. Plutôt que d’œuvrer à l’élaboration d’un compromis mutuellement favorable, il semble que Bruxelles ait utilisé sa position de négociateur pour acculer Téhéran dans un coin et rendre les sanctions « inévitables. »
Dans ce scénario soigneusement orchestré d’exigences croissantes et de compensations décroissantes, l’acceptation en 2009 par l’Iran des propositions occidentales sur les échanges d’uranium prirent l’UE et en fait tout le monde occidental par surprise. Afin d’éviter tout accord, les dirigeants européens dénoncèrent violemment la demande iranienne de garanties sur le moment et la manière dont son uranium serait restitué, se joignant aux US dans une course aux sanctions. Même quand un accord sur les échanges nucléaires fut officiellement entériné par le Brésil et la Turquie, l’UE persista à ne pas considérer ce « oui » comme une réponse. Jason DITZ fait très justement observer que « à long terme, il apparaît que le seul motif d’objection à l’accord Turc soit qu’il fasse obstacle aux sanctions qui semblent avoir été une fin en soi. » (3). En fait, non contente de la résolution 1929 des Nations Unies, l’Union a approuvé en quelque sorte les sanctions les plus fortes qu’elle ait jamais appuyées contre aucun pays. (4). Ces décisions indiquent un changement majeur dans la politique étrangère de l’UE. Longtemps opposée à des mesures coercitives, l’UE est aujourd’hui devenue le plus ardent défenseur de sanctions effectives. Quels objectifs politiques sous-jacents ont conduit à ce changement de diplomatie ?
Donner un sens à cette prise de position
Quel que soit cet objectif, il doit être suffisamment important pour que l’Europe lui sacrifie ses intérêts économiques. En 2007, le ministre allemand des finances a calculé que des sanctions sévères contre l’économie iranienne pourraient coûter plus de 2 milliards d’euros (5) à l’Allemagne. La perte de parts de marché constitue un prix à payer plus lourd encore que le coût strictement financier. Laurent Maillard pour l’AFP explique comment les sanctions occidentales ont ouvert la voie aux compagnies chinoises. Entre 2006 et 2007, les échanges commerciaux UE - Iran ont diminué d’environ 7 %. (6).
Les échanges Italo-Iraniens, qui augmentaient en 2007, ont également chuté de 6% à moins de 4 milliards d’euros en 2009. Au cours de la même année, les échanges germano-iraniens ont chuté d’un autre 5.8 %. Et si le commerce de l’UE avec l’Iran a de nouveau augmenté de 10 % environ pendant la première moitié de l’année en cours, ce fut surtout suite à l’évolution des cours du prix du pétrole et des taux de change d’une part et d’un manque de souplesse dans l’application des directives politiques d’autre part. Le gouvernement italien par exemple prétendait que les grosses compagnies italiennes avaient suspendu leurs transactions et que l’augmentation concernait surtout les petites et moyennes entreprises dont les patrons n’étaient pas liés aux engagements gouvernementaux. Pendant ce temps, les concurrents chinois comme Zhenhua Oil prennent petit à petit la place des compagnies UE. De manière significative et tout à l’opposé des sanctions UE, un partenariat Russo-Chinois entre Lukoil et Zhuhai Zhenrong a repris l’approvisionnement en fuel de l’Iran quelques semaines à peine après que l’UE ait adopté ses premières sanctions unilatérales.
Les positions nucléaires iraniennes ont peu de chances de justifier la nouvelle politique. Alors que les pourparlers nucléaires étaient toujours en cours, les Etats membres de l’Union incitaient déjà leurs compagnies nationales à désinvestir (7). Les préoccupations au sujet du programme nucléaire iranien ne justifient en aucun cas ces sacrifices économiques. En dépit de toutes les manifestations hystériques qui l’entourent, il n’y a encore aucune preuve de programme nucléaire militaire. Et quand bien même il existerait, des experts de renom comme Martin Van Creveld et le général John Aabizaid, ou encore des décideurs politiques israéliens comme Ehud Barak et Tzipi Livni ont reconnu que l’arme nucléaire iranienne ne constituait pas une réelle menace pour les intérêts occidentaux (8). La supériorité nucléaire occidentale est telle que la bombe iranienne aurait tout au plus un effet dissuasif. En fait, plutôt qu’un effet déstabilisateur sur la région, l’arme nucléaire iranienne pourrait la ré-équilibrer en faisant contrepoids à l’avantage d’Israël en la matière. Tout comme la crise iraquienne des armes de destruction massive en 2003, la crise nucléaire iranienne est avant tout une crise artificiellement inventée.
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