« Si Ahmed, habille-toi et sors, le Conseil vient de te déposer »
Le 19 juin 1965 à 1h30, on frappe à plusieurs reprises avec force, mais sans violence à la porte d?entrée de son appartement. Ben Bella se lève, enfile sa robe de chambre et se dirige vers la porte pour ouvrir. ll interroge : « Qui est là ? » - « Zbiri », répond le chef d?état-major. En toute confiance, il ouvre la porte et voit entrer, tour à tour, le colonel Zbiri(5), suivi du colonel Abbas(6) et des commandants Bensalem(7) de l?état- major, Saïd Abid(8), chef de la première région militaire, Abdelkader Moulay(9) dit Chabou, secrétaire de la Défense nationale, et Draïa(10), futur directeur général de la Sûreté nationale. Ben Bella croit à quelque événement grave. Il n?a pas le temps d?exprimer sa surprise. Le colonel Tahar Zbiri, gêné, lui dit d?une voix mal assurée : « Si Ahmed, un Conseil de la révolution vient de te déposer. Tu as quelques minutes pour t?habiller et nous suivre ; toute résistance est inutile. » Par cette phrase, le président Ben Bella comprend qu?il est trahi. Digne et calme, il ne répond mot. Le seul geste d?intimidation à noter fut un coup de feu tiré en l?air par un officier nerveux. En silence, accompagné des six officiers, il descend à pied les quatre étages. On le fait attendre dans une pièce au rez-de-chaussée, avant de le faire monter dans une « traction avant », qui prend la direction du ministère de la Défense nationale. Vers 2h, une autre voiture va le conduire dans un lieu secret, dépendant de la première région militaire, commandée par Saïd Abid. M. de Broglie, en visite officielle, devait être reçu à Alger, le 19 juin, par le président Ben Bella. Il est reçu au siège de la Défense nationale par le colonel Boumediène. M. de Broglie : « Où se trouve le président ? » Son interlocuteur lui répond par un sourire sardonique : « Sous mes pieds ! » Image très significative, inspirée par l?orgueil du pouvoir. Le caractère présomptueux et à la fois vexatoire a dû certainement indisposer le diplomate français. Le « putsch » s?est opéré sans coup férir. Il a été suivi de plusieurs arrestations, parmi les amis et les collaborateurs les plus proches de Ben Bella, en raison de leur soutien sans défaillance. Le lendemain matin n?est pas comme les autres. Ce samedi 19 juin (1965), les chars commandés par Slimane Hoffman, pointant leur canon vers les principaux axes de la ville, ne semblent pas inquiéter la population. La rumeur se propage, les chars et les troupes sont en place pour tourner le film La Bataille d?Alger, le peuple est troublé et commence petit à petit à comprendre. Il n?est pas révolté. Devant la Grande-Poste, en plein centre-ville, des attroupements d?enfants et de curieux entourent les chars. Apeuré, le conducteur du char fait tourner son engin, faisant ainsi reculer les badauds. L?atmosphère est à l?insouciance, personne ne songe, sauf peut-être le conducteur du char, qu?il suffirait d?une bouteille d?essence ou d?un coktail Molotov, lancé par une main experte, pour faire éclater ce monstre. Pour le moment, les agents de police chargés de la circulation canalisent la foule et pressent les gens de poursuivre leur chemin. Dimanche 20 juin. Des gamins, écoliers ou lycéens, tous adolescents et quelques jeunes travailleurs manifestent en ville, en acclamant le nom de Ben Bella et en huant celui de Boumediène, sous l??il quasi indifférent des adultes. Tous ces manifestants se dispersent en désordre, fuyant les motopompes de la police qui les arrosent d?eau colorée. Un dimanche 20 juin très calme Les manifestants, dont le nombre ne dépasse pas le millier, continuent de provoquer le désordre jusqu?au moment où les matraques remplacent les pompes à eau, mettant un terme à cette explosion de colère. Le public condamne le coup d?Etat, mais on craint une résistance du peuple qui tournerait à l?épreuve sanglante. La Fédération d?Alger est alors la seule structurée et susceptible de mobiliser les masses populaires. Faute d?un encadrement véritable, elle n?envisage pas la possibilité de le faire. Après le congrès, elle a été amputée de certains de ses cadres et contrainte de s?abstenir. Cette opposition larvée n?a pu se mettre en mouvement parce qu?il lui manquait le moteur, celui dont la seule présence suffirait à faire déferler les foules, à donner l?élan nécessaire pour résister aux putshistes et peut-être les battre. Le seul personnage qui puisse remuer les foules et qui soit susceptible de soulever les masses populaires est absent de la scène. Son nom est Ahmed Ben Bella. Un petit groupe décidé à rencontrer le colonel Boumediène et à tout mettre en ?uvre pour obtenir des garanties sur le sort de Ben Bella, de ses ministres et de ses amis arrêtés se constitue. La délégation est composée de : Lebdjaoui Mohamed(11), Zoubir Bouadjadj, Mohamed Merzougui de la Fédération d?Alger ; Mohamed Oumeziane, secrétaire général de l?UGTA ; Madjid Benasser, responsable de la jeunsse FLN ; Houari Mouffok, président de l?Union nationale des étudiants. La plupart sont membres du comité central. Reçus par le colonel au siège de la Défense, les six membres de la délégation écoutent les explications de Boumediène. D?une voix calme et mesurée, il affirme qu?il ne s?agit pas d?un changement d?orientation politique, mais de l?exclusion d?un homme déviationniste ! Le colonel fait état d?un projet dirigé contre le ministre de la Défense nationale et ses principaux lieutenants. Toujours selon ses dires, le « limogeage » envisagé par Ben Bella contre Bouteflika constitue les prémices d?une opération plus importante et le prélude à l?élimination de l?équipe militaire. En termes violents, il dénonce la dictature de Ben Bella. Le colonel révèle qu?il n?avait le choix qu?entre deux attitudes : soit se retirer, soit s?insurger. Il rappelle qu?il avait refusé de siéger au sein de la commission chargée de préparer le congrès. Il expose ses conflits avec Mohamed Khider, avec Ahmed Ben Bella au sujet d?Ahmed Medeghri et de Abdelaziz Bouteflika.
...
Le 19 juin 1965 à 1h30, on frappe à plusieurs reprises avec force, mais sans violence à la porte d?entrée de son appartement. Ben Bella se lève, enfile sa robe de chambre et se dirige vers la porte pour ouvrir. ll interroge : « Qui est là ? » - « Zbiri », répond le chef d?état-major. En toute confiance, il ouvre la porte et voit entrer, tour à tour, le colonel Zbiri(5), suivi du colonel Abbas(6) et des commandants Bensalem(7) de l?état- major, Saïd Abid(8), chef de la première région militaire, Abdelkader Moulay(9) dit Chabou, secrétaire de la Défense nationale, et Draïa(10), futur directeur général de la Sûreté nationale. Ben Bella croit à quelque événement grave. Il n?a pas le temps d?exprimer sa surprise. Le colonel Tahar Zbiri, gêné, lui dit d?une voix mal assurée : « Si Ahmed, un Conseil de la révolution vient de te déposer. Tu as quelques minutes pour t?habiller et nous suivre ; toute résistance est inutile. » Par cette phrase, le président Ben Bella comprend qu?il est trahi. Digne et calme, il ne répond mot. Le seul geste d?intimidation à noter fut un coup de feu tiré en l?air par un officier nerveux. En silence, accompagné des six officiers, il descend à pied les quatre étages. On le fait attendre dans une pièce au rez-de-chaussée, avant de le faire monter dans une « traction avant », qui prend la direction du ministère de la Défense nationale. Vers 2h, une autre voiture va le conduire dans un lieu secret, dépendant de la première région militaire, commandée par Saïd Abid. M. de Broglie, en visite officielle, devait être reçu à Alger, le 19 juin, par le président Ben Bella. Il est reçu au siège de la Défense nationale par le colonel Boumediène. M. de Broglie : « Où se trouve le président ? » Son interlocuteur lui répond par un sourire sardonique : « Sous mes pieds ! » Image très significative, inspirée par l?orgueil du pouvoir. Le caractère présomptueux et à la fois vexatoire a dû certainement indisposer le diplomate français. Le « putsch » s?est opéré sans coup férir. Il a été suivi de plusieurs arrestations, parmi les amis et les collaborateurs les plus proches de Ben Bella, en raison de leur soutien sans défaillance. Le lendemain matin n?est pas comme les autres. Ce samedi 19 juin (1965), les chars commandés par Slimane Hoffman, pointant leur canon vers les principaux axes de la ville, ne semblent pas inquiéter la population. La rumeur se propage, les chars et les troupes sont en place pour tourner le film La Bataille d?Alger, le peuple est troublé et commence petit à petit à comprendre. Il n?est pas révolté. Devant la Grande-Poste, en plein centre-ville, des attroupements d?enfants et de curieux entourent les chars. Apeuré, le conducteur du char fait tourner son engin, faisant ainsi reculer les badauds. L?atmosphère est à l?insouciance, personne ne songe, sauf peut-être le conducteur du char, qu?il suffirait d?une bouteille d?essence ou d?un coktail Molotov, lancé par une main experte, pour faire éclater ce monstre. Pour le moment, les agents de police chargés de la circulation canalisent la foule et pressent les gens de poursuivre leur chemin. Dimanche 20 juin. Des gamins, écoliers ou lycéens, tous adolescents et quelques jeunes travailleurs manifestent en ville, en acclamant le nom de Ben Bella et en huant celui de Boumediène, sous l??il quasi indifférent des adultes. Tous ces manifestants se dispersent en désordre, fuyant les motopompes de la police qui les arrosent d?eau colorée. Un dimanche 20 juin très calme Les manifestants, dont le nombre ne dépasse pas le millier, continuent de provoquer le désordre jusqu?au moment où les matraques remplacent les pompes à eau, mettant un terme à cette explosion de colère. Le public condamne le coup d?Etat, mais on craint une résistance du peuple qui tournerait à l?épreuve sanglante. La Fédération d?Alger est alors la seule structurée et susceptible de mobiliser les masses populaires. Faute d?un encadrement véritable, elle n?envisage pas la possibilité de le faire. Après le congrès, elle a été amputée de certains de ses cadres et contrainte de s?abstenir. Cette opposition larvée n?a pu se mettre en mouvement parce qu?il lui manquait le moteur, celui dont la seule présence suffirait à faire déferler les foules, à donner l?élan nécessaire pour résister aux putshistes et peut-être les battre. Le seul personnage qui puisse remuer les foules et qui soit susceptible de soulever les masses populaires est absent de la scène. Son nom est Ahmed Ben Bella. Un petit groupe décidé à rencontrer le colonel Boumediène et à tout mettre en ?uvre pour obtenir des garanties sur le sort de Ben Bella, de ses ministres et de ses amis arrêtés se constitue. La délégation est composée de : Lebdjaoui Mohamed(11), Zoubir Bouadjadj, Mohamed Merzougui de la Fédération d?Alger ; Mohamed Oumeziane, secrétaire général de l?UGTA ; Madjid Benasser, responsable de la jeunsse FLN ; Houari Mouffok, président de l?Union nationale des étudiants. La plupart sont membres du comité central. Reçus par le colonel au siège de la Défense, les six membres de la délégation écoutent les explications de Boumediène. D?une voix calme et mesurée, il affirme qu?il ne s?agit pas d?un changement d?orientation politique, mais de l?exclusion d?un homme déviationniste ! Le colonel fait état d?un projet dirigé contre le ministre de la Défense nationale et ses principaux lieutenants. Toujours selon ses dires, le « limogeage » envisagé par Ben Bella contre Bouteflika constitue les prémices d?une opération plus importante et le prélude à l?élimination de l?équipe militaire. En termes violents, il dénonce la dictature de Ben Bella. Le colonel révèle qu?il n?avait le choix qu?entre deux attitudes : soit se retirer, soit s?insurger. Il rappelle qu?il avait refusé de siéger au sein de la commission chargée de préparer le congrès. Il expose ses conflits avec Mohamed Khider, avec Ahmed Ben Bella au sujet d?Ahmed Medeghri et de Abdelaziz Bouteflika.
...
Commentaire