de : Professeur Chems Eddine Chitour
lundi 10 janvier 2011 (08h01)
«Si on pouvait recouvrer l’intransigeance de la jeunesse, ce dont on s’indignerait le plus c’est de ce qu’on est devenu.»
André Gide (Extrait "de Les Faux-Monnayeurs")
L’Algérie a connu pendant quelques jours une situation de chaos. Un vent d’émeutes a soufflé sur l’Algérie depuis mardi soir, faisant plonger le pays dans une panique telle que beaucoup n’hésitent pas à comparer cet embrasement au soulèvement d’Octobre 88. (...) La contestation a gagné plusieurs wilayas du pays. C’est que, pour les jeunes sortis, un peu partout, la cherté des produits de première nécessité n’était que la goutte qui a fait déborder le vase. Prévisibles, ces émeutes ont été précédées, il y a quelques jours, par celles des mal-logés, mais aussi de nombreuses émeutes qui se sont déclarées, un peu partout, là où ça n’allait pas bien. En fait, l’émeute est devenue le seul mode d’expression de la société, face à la démission de l’État qui, malgré les sommes colossales injectées dans le volet social, n’arrive pas à redonner espoir aux millions de désespérés. Même les islamistes, jusque-là prompts à exploiter la moindre expression de mécontentement, ont eu pour leur compte, à l’image de Ali Benhadj, parti offrir ses «bons services» aux émeutiers de Bab El-Oued. Il a failli être lynché par les jeunes, qui lui ont crié que les années 90, c’était fini! Il n’a dû son salut qu’à l’intervention des forces de sécurité.(...)(1)
Résultat des émeutes : nous devons déplorer trois morts et 300 blessés, et des dégâts importants aux biens publics et privés. Les partis politiques ont dénoncé les jeunes et leur mode d’expression. Ils renvoient dos à dos le pouvoir et les émeutiers ou encore demandent à ouvrir des canaux de discussion, mais aucun ne fait une analyse du fond du problème. Dans cette affaire de produits de première nécessité, l’Etat a été défaillant. Chacun sait qu’il y a la spéculation, mais pourquoi dans les économies libérales le consommateur n’est pas pris en otage et que les marges bénéficiaires sont transparentes? Je me souviens il y a une vingtaine d’années, les prix étaient administrés, c’était dit-on le socialisme de la mamelle, l’Algérien gaspillait avec frénésie les produits alimentaires qui étaient bradés (le sucre à 2 DA le kilogramme, la bouteille de Safia à 15 DA.) Après 88, changement de cap, on passe à l’économie de marché à la mondialisation-laminoir, au néolibéralisme sauvage» sans avoir mis en place les instruments de régulation visant à «moraliser» la jungle de l’informel où même le petit détaillant y trouve son compte, pas de factures, pas de chèques, pas d’impôts. Le consommateur en bout de chaîne, jouant le rôle de variable d’ajustement, se trouve démuni face aux requins, et l’Etat n’intervient pas selon les canons néolibéraux, du moins d’Etat.
Comme l’écrit le philosophe Dany Robert Dufour, «la gouvernance -tant encensée chez nous de notre point de vue-, c’est le libre affrontement des intérêts privés sans instance régulatrice. Quand on joue à ce jeu, c’est toujours les intérêts les plus forts qui remportent la mise. C’est pourquoi, on a tort de se représenter la gouvernance comme un approfondissement démocratique. La régulation se fait au profit des plus puissants». En clair, c’est la liberté du renard dans le poulailler. Les recettes du Nord ne s’appliquent pas au Sud sans une profonde analyse de la finalité. Il y a pour le pouvoir urgence à revoir tout ça et à éviter le mimétisme ravageur. La mondialisation dimensionnée à la taille des puissants ne laisse pas de place aux faibles. Il serait de la plus haute importance de revoir fondamentalement l’application de cette doxa néolibérale chez nous. Ne peut-on pas élargir la liste des produits avec une moralisation des prix d’une liste de produits de première nécessité élargie? avec un minimum et un maximum négociés en fonction des cours mondiaux, le consommateur aurait à payer un prix fixe. On l’aura compris ; dans un circuit limpide, ceux qui seraient tentés par manipuler les prix seraient repérés et rendraient compte.
Mais est-ce seulement cela qui a fait réagir les jeunes?
Octobre 1988- janvier 2011. Près de 23 ans, soit globalement la population qui est soit à l’Ecole, soit à la vie active, soit à l’université. Ceux qui ont plus de 23 ans étaient enfants en 1988. Personne à ma connaissance n’a analysé les dynamiques souterraines qui sous-tendent le monde des jeunes, leurs mal-vie leur façon de s’organiser pour garder la tête hors de l’eau, leur désespoir dont le phénomène harraga n’est qu’une des multiples facettes. C’est un fait, les jeunes sont en pleine errance! Nous avons tous nos parts de responsabilité. Quand des jeunes brûlent des écoles ou des CEM d’où ils ont été, vraisemblablement, exclus, c’est un message! vous m’avez exclus, je me venge à ma façon avec mes «frères de condition» pour que l’Ecole ou le CEM ne serve pas aux autres! C’est dire si le système éducatif dans son ensemble est interpellé! J’en veux à tous ceux qui n’ont pas su anticiper, d’abord au ministère du Commerce qui a été dépassé par les événements comme conséquence, l’explosion du désespoir a fait le reste. Dans cette dramatique affaire, chacun a sa part de responsabilité. C’est d’abord, le ministère de la Jeunesse qui est devenu le ministère de l’Equipe de football. Certes, des réalisations mais là, comme ailleurs, les constructions, les réalisations confiées à des étrangers avec l’argent de la rente. Quand on voit la télévision déverser des flots d’informations superficielles, on est saisis d’une crise d’urticaire. On comprend que les jeunes cherchent ailleurs, des voies de salut. J’en veux à l’information qui fait que «l’Unique» n’est pas regardée parce que pas crédible et qu’on y entend toujours un seul son de cloche par manque de débats réels, à croire que la société civile n’a pas son mot à dire sur la marche du pays et notamment sur les grands dossiers qui engagent l’avenir de ces jeunes. Même le ministère de la Solidarité, qui proposait des CDD, a participé à la clochardisation de la jeunesse.
J’en veux à la culture qui a réussi à abrutir la jeunesse en lui proposant une sous-culture de l’abrutissement où il est invité à «se divertir», alors qu’il faut lui proposer de l’éducation, du travail, bref, de la sueur au lieu de soporifiques coûteux et sans lendemain. On croit à tort que le football et la Star Ac voire les émissions de danse et chants de stars payés avec l’argent du contribuable, pouvaient amener une sérénité permanente. Cruelle erreur : c’est une drogue dure car l’addiction se paie en émeutes de mal-vie.
Où est la solution? Si on peut déplorer le désordre, on peut comprendre par exemple que tout a été fait pour provoquer ces émeutes, Ce n’est pas seulement la vie chère et les stratégies pour créer une pénurie c’est aussi l’absence de perspective. Dans une contribution en novembre 2009, après la victoire de l’Equipe nationale à Khartoum, j’avais attiré l’attention contre l’instrumentalisation des espérances des jeunes. « Le symbole d’un pays n’est pas uniquement dans une Equipe nationale de foot, mais ses institutions nationales. Il est aussi dans ses formateurs qui, au quotidien, entretiennent la flamme vacillante de la science. S’il faut une équipe de football pour rassembler les gens et faire qu’ils se parlent, qu’ils se respectent, y a vraiment un problème de fond à régler. (...) Que l’on ne s’y trompe pas! Les Jeunes ne doivent pas être manipulés. On dit souvent que ce sont des grenades dégoupillées. Il faut leur proposer une perspective d’avenir autrement que par la charité et le saupoudrage à géométrie variable. Ceci étant dit et au risque de me répéter, ce que nous avons vu nous a rappelé la ferveur de l’Indépendance, l’ambiance la joie de vivre et de communier ensemble sans faux-fuyants. Les jeunes, qui en 4 X4, qui en voiture, qui en bus ou en camionnette, chacun selon ses moyens, voulaient être de la fête. Le ministère de la Jeunesse ne devrait pas être celui uniquement de l’Equipe nationale. La jeunesse est notre richesse commune. Elle doit être la préoccupation de tous les départements ministériels, à commencer par l’éducation qui devrait revoir fondamentalement sa vision de l’éducation, la formation professionnelle mais aussi l’enseignement supérieur qui doit sortir des sentiers battus du mimétisme ravageur d’un Occident, qu’on se le dise, ne veut que son bonheur... »(2)
lundi 10 janvier 2011 (08h01)
«Si on pouvait recouvrer l’intransigeance de la jeunesse, ce dont on s’indignerait le plus c’est de ce qu’on est devenu.»
André Gide (Extrait "de Les Faux-Monnayeurs")
L’Algérie a connu pendant quelques jours une situation de chaos. Un vent d’émeutes a soufflé sur l’Algérie depuis mardi soir, faisant plonger le pays dans une panique telle que beaucoup n’hésitent pas à comparer cet embrasement au soulèvement d’Octobre 88. (...) La contestation a gagné plusieurs wilayas du pays. C’est que, pour les jeunes sortis, un peu partout, la cherté des produits de première nécessité n’était que la goutte qui a fait déborder le vase. Prévisibles, ces émeutes ont été précédées, il y a quelques jours, par celles des mal-logés, mais aussi de nombreuses émeutes qui se sont déclarées, un peu partout, là où ça n’allait pas bien. En fait, l’émeute est devenue le seul mode d’expression de la société, face à la démission de l’État qui, malgré les sommes colossales injectées dans le volet social, n’arrive pas à redonner espoir aux millions de désespérés. Même les islamistes, jusque-là prompts à exploiter la moindre expression de mécontentement, ont eu pour leur compte, à l’image de Ali Benhadj, parti offrir ses «bons services» aux émeutiers de Bab El-Oued. Il a failli être lynché par les jeunes, qui lui ont crié que les années 90, c’était fini! Il n’a dû son salut qu’à l’intervention des forces de sécurité.(...)(1)
Résultat des émeutes : nous devons déplorer trois morts et 300 blessés, et des dégâts importants aux biens publics et privés. Les partis politiques ont dénoncé les jeunes et leur mode d’expression. Ils renvoient dos à dos le pouvoir et les émeutiers ou encore demandent à ouvrir des canaux de discussion, mais aucun ne fait une analyse du fond du problème. Dans cette affaire de produits de première nécessité, l’Etat a été défaillant. Chacun sait qu’il y a la spéculation, mais pourquoi dans les économies libérales le consommateur n’est pas pris en otage et que les marges bénéficiaires sont transparentes? Je me souviens il y a une vingtaine d’années, les prix étaient administrés, c’était dit-on le socialisme de la mamelle, l’Algérien gaspillait avec frénésie les produits alimentaires qui étaient bradés (le sucre à 2 DA le kilogramme, la bouteille de Safia à 15 DA.) Après 88, changement de cap, on passe à l’économie de marché à la mondialisation-laminoir, au néolibéralisme sauvage» sans avoir mis en place les instruments de régulation visant à «moraliser» la jungle de l’informel où même le petit détaillant y trouve son compte, pas de factures, pas de chèques, pas d’impôts. Le consommateur en bout de chaîne, jouant le rôle de variable d’ajustement, se trouve démuni face aux requins, et l’Etat n’intervient pas selon les canons néolibéraux, du moins d’Etat.
Comme l’écrit le philosophe Dany Robert Dufour, «la gouvernance -tant encensée chez nous de notre point de vue-, c’est le libre affrontement des intérêts privés sans instance régulatrice. Quand on joue à ce jeu, c’est toujours les intérêts les plus forts qui remportent la mise. C’est pourquoi, on a tort de se représenter la gouvernance comme un approfondissement démocratique. La régulation se fait au profit des plus puissants». En clair, c’est la liberté du renard dans le poulailler. Les recettes du Nord ne s’appliquent pas au Sud sans une profonde analyse de la finalité. Il y a pour le pouvoir urgence à revoir tout ça et à éviter le mimétisme ravageur. La mondialisation dimensionnée à la taille des puissants ne laisse pas de place aux faibles. Il serait de la plus haute importance de revoir fondamentalement l’application de cette doxa néolibérale chez nous. Ne peut-on pas élargir la liste des produits avec une moralisation des prix d’une liste de produits de première nécessité élargie? avec un minimum et un maximum négociés en fonction des cours mondiaux, le consommateur aurait à payer un prix fixe. On l’aura compris ; dans un circuit limpide, ceux qui seraient tentés par manipuler les prix seraient repérés et rendraient compte.
Mais est-ce seulement cela qui a fait réagir les jeunes?
Octobre 1988- janvier 2011. Près de 23 ans, soit globalement la population qui est soit à l’Ecole, soit à la vie active, soit à l’université. Ceux qui ont plus de 23 ans étaient enfants en 1988. Personne à ma connaissance n’a analysé les dynamiques souterraines qui sous-tendent le monde des jeunes, leurs mal-vie leur façon de s’organiser pour garder la tête hors de l’eau, leur désespoir dont le phénomène harraga n’est qu’une des multiples facettes. C’est un fait, les jeunes sont en pleine errance! Nous avons tous nos parts de responsabilité. Quand des jeunes brûlent des écoles ou des CEM d’où ils ont été, vraisemblablement, exclus, c’est un message! vous m’avez exclus, je me venge à ma façon avec mes «frères de condition» pour que l’Ecole ou le CEM ne serve pas aux autres! C’est dire si le système éducatif dans son ensemble est interpellé! J’en veux à tous ceux qui n’ont pas su anticiper, d’abord au ministère du Commerce qui a été dépassé par les événements comme conséquence, l’explosion du désespoir a fait le reste. Dans cette dramatique affaire, chacun a sa part de responsabilité. C’est d’abord, le ministère de la Jeunesse qui est devenu le ministère de l’Equipe de football. Certes, des réalisations mais là, comme ailleurs, les constructions, les réalisations confiées à des étrangers avec l’argent de la rente. Quand on voit la télévision déverser des flots d’informations superficielles, on est saisis d’une crise d’urticaire. On comprend que les jeunes cherchent ailleurs, des voies de salut. J’en veux à l’information qui fait que «l’Unique» n’est pas regardée parce que pas crédible et qu’on y entend toujours un seul son de cloche par manque de débats réels, à croire que la société civile n’a pas son mot à dire sur la marche du pays et notamment sur les grands dossiers qui engagent l’avenir de ces jeunes. Même le ministère de la Solidarité, qui proposait des CDD, a participé à la clochardisation de la jeunesse.
J’en veux à la culture qui a réussi à abrutir la jeunesse en lui proposant une sous-culture de l’abrutissement où il est invité à «se divertir», alors qu’il faut lui proposer de l’éducation, du travail, bref, de la sueur au lieu de soporifiques coûteux et sans lendemain. On croit à tort que le football et la Star Ac voire les émissions de danse et chants de stars payés avec l’argent du contribuable, pouvaient amener une sérénité permanente. Cruelle erreur : c’est une drogue dure car l’addiction se paie en émeutes de mal-vie.
Où est la solution? Si on peut déplorer le désordre, on peut comprendre par exemple que tout a été fait pour provoquer ces émeutes, Ce n’est pas seulement la vie chère et les stratégies pour créer une pénurie c’est aussi l’absence de perspective. Dans une contribution en novembre 2009, après la victoire de l’Equipe nationale à Khartoum, j’avais attiré l’attention contre l’instrumentalisation des espérances des jeunes. « Le symbole d’un pays n’est pas uniquement dans une Equipe nationale de foot, mais ses institutions nationales. Il est aussi dans ses formateurs qui, au quotidien, entretiennent la flamme vacillante de la science. S’il faut une équipe de football pour rassembler les gens et faire qu’ils se parlent, qu’ils se respectent, y a vraiment un problème de fond à régler. (...) Que l’on ne s’y trompe pas! Les Jeunes ne doivent pas être manipulés. On dit souvent que ce sont des grenades dégoupillées. Il faut leur proposer une perspective d’avenir autrement que par la charité et le saupoudrage à géométrie variable. Ceci étant dit et au risque de me répéter, ce que nous avons vu nous a rappelé la ferveur de l’Indépendance, l’ambiance la joie de vivre et de communier ensemble sans faux-fuyants. Les jeunes, qui en 4 X4, qui en voiture, qui en bus ou en camionnette, chacun selon ses moyens, voulaient être de la fête. Le ministère de la Jeunesse ne devrait pas être celui uniquement de l’Equipe nationale. La jeunesse est notre richesse commune. Elle doit être la préoccupation de tous les départements ministériels, à commencer par l’éducation qui devrait revoir fondamentalement sa vision de l’éducation, la formation professionnelle mais aussi l’enseignement supérieur qui doit sortir des sentiers battus du mimétisme ravageur d’un Occident, qu’on se le dise, ne veut que son bonheur... »(2)
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