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En Russie, qui a peur du grand Auchan à prix doux ?

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  • En Russie, qui a peur du grand Auchan à prix doux ?

    Le groupe français fait face à d'étranges incidents, aux airs de coup monté.
    par Lorraine MILLOT
    Libération : jeudi 06 avril 2006

    L'un dit avoir reçu un panneau publicitaire sur la tête, un deuxième affirme que sa fillette s'est pris un escabeau, d'autres prétendent avoir acheté de la vodka frelatée, des produits périmés ou recelant des OGM... Les formidables débuts d'Auchan en Russie ont aussi leurs revers, qui illustrent bien les particularités du business dans ce pays. Depuis 2002, le groupe de Croix (son siège est au sud de Roubaix) a ouvert, en un temps record, sept hypermarchés dans la région de Moscou, qui proposent des prix tellement attractifs qu'ils ne désemplissent pas.

    A 9 heures le samedi matin, l'Auchan de Khimki (au nord de Moscou) est déjà tellement pris d'assaut qu'il n'y a plus ni chariot libre, ni possibilité raisonnable de se mouvoir dans ses rayons, pourtant larges comme des avenues. Mais ce succès suscite des aigreurs : une Association des victimes d'Auchan est en cours de constitution, annonçait la semaine dernière un curieux article, publié dans un supplément commercial du quotidien russe Izvestia. «La chaîne d'hypermarchés Auchan en Russie s'avère enfreindre toute une série d'actes législatifs», y affirmait le journal, énumérant une longue liste d'infractions et les articles des lois transgressées.

    «Chauffer les salades». «Ces gens d'Auchan sont venus de l'étranger et se conduisent comme des mufles, assène Dmitri Sevrioukov, père de la fillette qui a reçu l'escabeau et fondateur de l'Association des victimes d'Auchan. Nous ne sommes encore que six membres fondateurs, avoue-t-il, mais, au vu des lettres reçues, nous devrions être bientôt treize ou quatorze.» Andreï Martynov, qui dit avoir enduré 23 jours d'hôpital pour traumatisme crânien et contusion vertébrale suite à la chute d'un panneau publicitaire dans un magasin Auchan, est plus virulent : «L'attitude de cette compagnie étrangère sur le territoire de la Fédération de Russie est odieuse. Ils ne pensent qu'à leur profit et considèrent les citoyens russes comme des sujets de troisième catégorie.» Un tribunal de la région de Moscou vient d'accorder à cette victime 108 000 roubles de dommages et intérêts (3 225 euros), soit près de sept mois de salaire moyen à Moscou, mais ce client traumatisé réclamait cinq fois plus et ne s'apaise pas : «En France, 15 000 ou 16 000 euros n'est pas une grosse somme. Cela s'obtient sans même avoir besoin d'un procès.»

    Sachant qu'il est courant en Russie d'acheter aussi bien un article de journal qu'un verdict de tribunal, cette affaire sent le coup monté, soit par un concurrent, soit par une administration ou même des victimes réelles qui voudraient profiter des formidables cash flows générés par le groupe français.

    «Je ne sais pas qui est derrière tout ça», assure Patrick Longuet, directeur général d'Auchan en Russie, qui pour l'occasion a tout de même rompu avec ses voeux de silence et accepté de rencontrer Libération. Extrêmement secret, le groupe Auchan déclinait jusqu'à présent toute interview sur son développement dans le pays. Curieusement, toutes les «victimes» n'ont pas pu présenter de témoins de leurs accidents et se sont rendues à l'hôpital par leurs propres moyens, observe-t-on à la direction d'Auchan, où l'on semble privilégier l'hypothèse d'un intérêt financier de quelques personnes.

    Ces déboires ne semblent pas pour autant dissuader Auchan de poursuivre sa conquête de la Russie. Trois nouveaux hypers doivent être ouverts cette année autour de Moscou et, pour la première fois aussi, quatre autres en régions : deux à Saint-Pétersbourg, un à Nijni-Novgorod et un autre à Iekaterinbourg. Pour 2007, Patrick Longuet laisse envisager «deux ou trois autres magasins à Moscou» et la conquête d'une ou deux autres régions.

    «Les gens d'Auchan sont de grands professionnels», disait de ses partenaires l'ex-patron d'Ikea en Russie, Lennart Dahlgren, qui s'est associé avec Auchan pour développer plusieurs centres commerciaux et se montrait très admiratif de la façon dont les Français ont en quelques années imposé «les prix les plus bas de tout Moscou». Malgré ces succès et ses magasins bondés, Patrick Longuet souligne plutôt les difficultés rencontrées en Russie : «Nous avons aussi des dossiers d'ouverture de magasins qui traînent depuis trois ou quatre ans sans avancer. Les démarches administratives prennent beaucoup, beaucoup de temps, et la logistique n'est pas simple dans un pays aussi grand, avec un tel climat. L'hiver, il faut des camions frigorifiques pour réchauffer les salades !»

    Le pouvoir d'achat des Russes reste modeste, souligne Patrick Longuet : «Le prix moyen d'un article en Russie est encore trois fois moins cher qu'en France, et le ticket de caisse moyen environ moitié inférieur à celui d'un Français. En Russie, nous vendons nos produits par plus petits conditionnements : des yaourts à l'unité plutôt que par packs de quatre ou huit, de plus petits morceaux de viande...»

    Rentabilisation. Pour arriver au même chiffre d'affaires qu'en France, ce sont trois fois plus de produits qu'il faut placer en rayons, plus de temps passé par le client pour remplir son chariot et trois fois plus de produits qui doivent biper en caisses. Du coup, la rentabilisation des investissements russes devrait encore prendre «quatre ou cinq ans», estime Patrick Longuet, qui a peut-être tendance à peindre le tableau en noir pour ne pas réveiller ses concurrents. Carrefour et Wal-Mart, que l'on dit depuis longtemps intéressés par le marché russe, n'ont toujours pas osé dépasser le stade des voyages d'étude : à ce jour, hormis Real (Allemagne) et Ramstore (Turquie), les principaux concurrents d'Auchan en Russie sont surtout des chaînes russes comme Piaterotchka, Septième Continent, Magnit ou Mosmart... qui ont elles-mêmes beaucoup appris de leurs homologues étrangers et se développent aujourd'hui à grande allure.
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