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Tunisie: «Le compte à rebours de l'après Ben Ali a commencé»

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    Y'a-t-il une alternative au régime en place? Que penser de la position de la France? Vincent Geisser, chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAN), a répondu à vos questions sur les émeutes en Tunisie.


    Heidi. Je suis franco-algérienne et je suis scandalisée par le silence de la France face aux événements qui secouent la Tunisie et les dizaines de morts au nom de la liberté d'expression. La France est complice de ces présidents à vie, qu'en pensez-vous?

    Vincent Geisser*. Je crois qu'effectivement la politique française à l'égard de la Tunisie a toujours consister à soutenir les régimes en place. C'est un des principes fondamentaux qui orientent le Quai d'Orsay dans sa politique tunisienne, mais aussi, d'une façon générale dans sa politique à l'égard de tout Etat. De ce point de vue-là, les Etats-Unis ont une démarche plus pragmatique. Ils ménagent la chèvre et le chou, en soutenant Ben Ali, tout en développant des contacts étroits avec l'opposition et les organisations des droits de l'homme.

    Tintin au Congo. Le discours de Sarkozy à la Concorde: «Je ne vous trahirai pas, je ne vous mentirai pas, je ne vous décevrai pas (...). Je veux que partout dans le monde, les opprimés sachent qu’il y a un pays généreux, c’est la France…»

    R : La politique française est fondée sur le principe suivant: soutenir Ben Ali, c'est empêcher que la Tunisie et le Maghreb basculent dans l'islamisme radical. Or, c'est une analyse en partie fausse, car on peut penser qu'actuellement le régime tunisien contribue davantage à fabriquer de futurs terroristes qu'à lutter efficacement contre les prêcheurs de haine. En empêchant tout espace d'expression, le régime du général Ben Ali favorise à moyen terme une radicalisation des protestations qui pourrait emprunter des registres identitaires. C'est une hypothèse parmi d'autres.

    Chal. Pensez-vous que le Maroc est exposé à ce même type de soulèvement?

    R : Le Maroc connaît une situation sociale et économique sûrement plus désastreuse que celle de la Tunisie. Le nombre de diplômés chômeurs est tout aussi important. Toutefois, la différence majeure est qu'il existe une certaine liberté d'expression au Maroc, qui permet à la jeunesse de s'exprimer. Le poids l'autoritarisme n'est pas aussi fort qu'en Tunisie, même s'il convient de pas idéaliser la situation marocaine qui pourrait connaître des troubles sociaux dans les prochains mois.

    Droit-naturel. Est-ce un printemps de Prague? Un Mai 68? Autre chose?

    R : La comparaison avec l'année 68 ne me paraît pas très pertinente, car au départ les revendications de la jeunesse tunisienne touchent essentiellement les registres sociaux et professionnels. Toutefois, ces mouvements sont également porteurs d'un message politique de ras-le-bol, et d'une volonté de changement par rapport au régime autoritaire actuel. Pour de nombreux jeunes Tunisiens, issus des milieux modestes comme des milieux huppés, le régime de Ben Ali apparaît archaïque et totalement déconnecté de leurs aspirations.

    Toto. Pourquoi les annonces gouvernementales algériennes semblent avoir calmé la population, contrairement aux annonces tunisiennes?

    R : Je pense qu'en Tunisie, le syndrome de la cocotte minute est plus fort qu'en Algérie. Jusqu'à présent, le régime a surtout recouru à une gestion policière du conflit social. La décision de tirer sur la foule des manifestants n'a fait qu'aggraver la situation, et le divorce entre la jeunesse tunisienne et le régime du général Ben Ali. Quels que soient les développements futurs, il est clair que la population tunisienne en général, et la jeunesse en particulier, ne pardonnera pas à Ben Ali d'avoir tirer à balles réelles sur la foule des manifestants. De ce point de vue, il existe une certaine forme de consensus en Tunisie pour reconnaître la gestion déplorable du conflit par les autorités. Y compris parmi les membres du parti de Ben Ali dont certains localement ont rejoint les manifestations.

    Mado. Créer 300.000 emplois en Tunisie revient à créer 1.800.000 emplois en France. Qui peut penser une seule seconde que c'est réalisable. Si Ben Ali est chassé, y a t il une alternative ?

    R : Il s'agit simplement d'un effet d'annonce politique, et non véritablement d'un programme de création d'emplois. Quant aux alternatives politiques, je ne suis pas devin pour prédire si le régime de Ben Ali durera ou pas. Disons simplement que nous sommes entrés dans un nouveau cycle politique, et que le compte à rebours de l'après Ben Ali a commencé.

    Bobdemars. Les événements qui se déroulent en Tunisie me semblent légitimes du fait que le régime actuel est devenu scélosé et mafieux, pensez-vous que l'armée et la police vont lâcher ce pouvoir toxique?

    R : Il faut distinguer la position de l'armée de celle de la police. En Tunisie, contrairement aux autres pays arabes, l'armée ne joue qu'un rôle marginal. En revanche, la police est liée aux différents clans du régime. Elle ne constitue plus un corps homogène, et il n'est pas impossible que certains secteurs liés au ministère de l'Intérieur jouent la carte du changement, et favorisent à moyen terme une alternance politique.

    Kouskous. Quels sont les choix qui resteront au président Ben Ali si la situation ne se calme pas?

    R : Je crains, malheureusement, que le président Ben Ali renforce encore la gestion sécuritaire du conflit. Il faut se rappeler qu'avant de devenir président de la République, Ben Ali était un technicien de la sécurité et du renseignement. C'est une sorte de Poutine maghrébin, et qui s'est toujours montré réticent aux solutions pacifiques. Si la crise s'aggrave, si les mouvements sociaux se multiplient, il est fort à parier que la répression s'intensifie simultanément, jusqu'à aboutir au chaos.

    Votre pseudo. Que pensez-vous du silence de la France, l'Europe est-elle complice?

    R : Le silence de la France, même s'il peut paraître choquant, s'inscrit dans la logique diplomatique du président Sarkozy: soutenir les régimes, et non les «peuples». Toutefois, faut-il rappeler que la Tunisie est indépendante, et que la France n'est pas responsable de la politique répressive actuelle. On peut simplement regretter que la présidence française ne traite pas le cas tunisien, comme le cas ivoirien, c'est-à-dire en faisant prévaloir les principes du droit sur la raison d'Etat ou plus précisément sur la raison d'un dictateur.

    Droit-naturel. Pourquoi le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) est-il toujours membre de l'international socialiste?

    R : Il existe une politique au sein de l'internationale socialiste, et cela fait longtemps que de nombreux socialistes européens souhaitent exclure définitivement le RCD. Toutefois, vu le rôle mineur de l'internationale socialiste, le fait que le RCD soit membre ou pas, est une question morale, mais qui a peu de chance d'influer sur l'avenir du régime. Le seul moment où le RCD fut véritablement inquiété a été sous le Premier ministre Jospin qui a été finalement le seul à émettre des critiques très fortes à l'égard du régime autoritaire de Ben Ali. Mais il existe aussi de nombreux socialistes, en France et en Europe, qui pensent encore que Ben Ali est le meilleur rempart contre l'islamisme radical.

    Hedi. Après des années de soumissions, le réveil de l'UGTT n'est il pas l'un des signaux les plus forts?

    R : En effet, bien que syndicat unique, l'UGTT, a toujours joué un rôle capital dans les mouvements sociaux. Si sa direction nationale a souvent été proche du pouvoir, ses unions régionales, et ses cadres locaux, ont souvent soutenu et accompagné les protestations. Cela a créé un effet de feed back obligeant la direction de l'UGTT à rejoindre les mouvements sociaux. C'est le scénario qui semble se produire actuellement, et il n'est pas impossible que l'UGTT joue un rôle de premier plan dans les semaines à venir.

    FreeTunisia. Les Etats-Unis peuvent-ils avoir une vision différente de celle de l'EU en ce qui concerne la prochaine étape en Tunisie?

    R : Oui, les Etats-Unis ont une vision différente de celle de l'Europe. Non pas qu'ils soient forcément animés de considérations morales, mais la Maison Blanche a parfaitement conscience aujourd'hui que le régime de Ben Ali est fini. Les Américains cherchent le deuxième, ou le troisième homme, susceptible de lui succéder. Les Etats-Unis ne seraient pas forcément opposé à une «révolution orange» à la tunisienne. C'est précisément à partir de ce scénario que le Département d'Etat travaille.

    Hedi. Quelles sont les membres de l'opposition qui ressortent le plus? Chebbi? Marzouki?

    R : D'une manière générale, l'opposition indépendante est relativement coupée des mouvements sociaux. Toutefois, il est vrai qu'un certain nombre de figures, par leur prise de positions critiques, retrouvent une certaine aura auprès de la populatoin tunisienne. Nejib Chebbi, et Moncef Marzouki sont en effet les plus connus et respectés. On peut citer également d'autres figures, comme la journaliste Sihem Bensedrine, et l'avocate Nadhia Nassraoui qui jouissent d'une vraie popularité dans le pays. Toutefois, il convient de ne pas surestimer le rôle de l'opposition dans ces mouvements sociaux qui sont d'abord des mouvements de diplômés, peu insérer dans les organisations politiques et syndicales.

    *Dictateurs en sursis, une voie démocratique pour le monde arabe, entretien avec Vincent Geisser, les éditions de l'Atelier.

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