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Les sondages en Algérie, un vrai scandale

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  • Les sondages en Algérie, un vrai scandale

    H. Abdelkrim : Alors, M. Abassa, comment réagissez-vous à ce dernier sondage sur les médias algériens réalisé par la société IMMAR qui se décline comme entreprise française ?

    M. Abassa : Je n’ai pas pour habitude de commenter ou de juger la qualité professionnelle des travaux de mes concurrents ; pour des raisons éthiques, je me l’interdis. Et bien que je connaisse individuellement chacun des intervenants et actionnaires de l’entreprise que vous citez, parce que tous ont travaillé et sévi chez moi, à l’Institut Abassa, je m’interdis de livrer ici des informations privées qui devraient normalement leur interdire d’exercer en Algérie ou ailleurs le métier de sondagiste ; qu’ils démentent ! Si un seul de ces personnages devait me démentir sur ce point par un seul petit mot pour dire non, alors je me sentirais affranchi pour produire des preuves précises, concrètes et vérifiables pour démontrer ce que j’affirme. D’une manière générale et sans citer personne en particulier, on peut seulement dire à ce stade que des escrocs ne peuvent pas produire des sondages fiables ni ici, ni ailleurs. A l’autre bout de la chaîne, il n’y a que des escrocs qui soutiennent et financent d’autres escrocs. Le moment opportun j’en parlerai, quitte à blesser des amis.

    M. Abassa, ce que vous dites est très grave, pouvez-vous être plus explicite ?

    Non, je ne serai pas plus explicite sur les raisons morales qui devraient disqualifier certains personnages de toute pratique des sondages. Et, tant qu’à faire, il faudra peut-être les demander à leurs anciens employeurs. A ce stade et pour le moment et aussi pour des raisons subjectives, je ne peux être plus explicite. Je le serai quand un seul d’entre eux aura le courage de dire non ou peut-être à ce que j’affirme ; là, je serai explicite et précis ; le pénal ne sera pas loin pour certains. Pour le moment, je me tais.
    Mais d’une manière générale et pour répondre globalement à votre question, je vais vous restituer le contexte algérien qui permet et favorise ces escroqueries dont sont victimes l’Algérie et la profession. Savez-vous qu’en Algérie n’importe quel individu, de quelque pays qu’il soit, quels que soient sa formation, son niveau ou sa moralité, quel que soit son métier, peut s’établir en Algérie et faire des sondages. Savez-vous que des trabendistes notoires, marchands de friperie, de savonnettes, vendeurs de journaux, de rasoirs et de parfums frelatés ont créé des boîtes de sondage en Algérie. Certains se déclarent ici boîte multinationale alors qu’ils sont RMIstes ou au chômage dans leur pays d’origine. Comment peut-on être au RMI en France et milliardaire en Algérie ? Pouvez-vous m’expliquer cela ?

    Quelle est votre explication à ces phénomènes ?

    Allons au fond des choses. Savez-vous que tous les donneurs d’ordre de commandes publicitaires et d’études pour les multinationales installées en Algérie sont étrangers ; aucun Algérien n’est associé ou consulté pour la prise de décision. Ces grands décideurs des multinationales sont généralement et invariablement tunisiens, marocains, libanais, égyptiens, français, jamais ou rarement des Algériens. Tout naturellement donc, ces mêmes donneurs d’ordre étrangers en Algérie font appel à des boîtes de leurs pays respectifs, lesquelles généralement n’ont aucune qualification ou références professionnelles reconnues. Leurs coûts sont 15 à 20 fois supérieurs à ceux pratiqués par les entreprises algériennes et sont généralement transférables en devises. Parfois, des sommes colossales en dinars sont recyclées en devises dans le marché parallèle. Des étrangers sévissent en maîtres dans ce secteur. Ils ont de temps à autre besoin de réaliser des études médias et autres pour leurs clients annonceurs et parfois pour eux-mêmes. Ils agissent par le biais de sociétés-écrans de droit algérien alors que les vrais donneurs d’ordre sont à Casa, Tunis, Beyrouth, Le Caire, Paris, etc.
    Ces boîtes-là agissent en territoire conquis et méprisé. Aucune autorité de contrôle ni de régulation ne leur demande des comptes ; elles agissent impunément à leur guise. Pour preuve, récemment (mai 2005), une société tunisienne fraîchement et pompeusement installée en Algérie et dont on ne citera pas le nom ici a crédité l’ENTV de 40% de pénétration (alors qu’elle est à 97%) et la RTMaroc de 42% (alors qu’elle est à 7%) en Algérie. L’ENTV n’a pas déposé de plainte pour escroquerie et l’étude a été vendue en dollars à 17 multinationales implantées en Algérie ; c’est le lobby tunisien. Cette boîte sévit toujours en Algérie.
    Qui va l’arrêter ou lui demander des comptes ou contrôler son travail ? Personne, c’est le règne absolu de la chippa dans laquelle tout le monde ou presque trempe et mange. Je n’ai pas d’autre explication que celle-là. Je me sens profondément humilié quand je vois débarquer chez moi des équipes de sondeurs égyptiens, tunisiens, français, etc. Personne ne leur demande des comptes. L’Algérie est le seul pays au monde à ne disposer d’aucune réglementation, ni loi, ni code, ni autorité pour contrôler ces activités d’études et de sondage qui se réalisent à la sauvette par des étrangers dont la plupart ne disposent même pas de permis de travail.

  • #2
    M. Abassa, est-ce si grave que cela ?

    Laissez-moi vous dire que c’est plus grave encore. Pour l’anecdote, je voulais envoyer six enquêtrices en Tunisie pour enquêter sur l’audience des programmes de l’ENTV en Tunisie. Pour cette mission, j’ai sollicité et obtenu l’aide de Mme la ministre de la Communication d’Algérie, d’un général en poste, de l’ambassadeur de Tunisie en Algérie, du ministre tunisien de l’Information, de l’ambassadeur et du consul général d’Algérie en Tunisie, du groupe partenaire tunisien Tahar Lamouri et d’une brochette d’amis tunisiens. En vain. J’ai envoyé quand même mon équipe à Tunis. A leur première sortie, nos enquêtrices ont été stoppées, arrêtées, humiliées et reconduites à leur hôtel. J’en étais révolté ; mais il me fallait tout de même admettre à tort ou à raison que, derrière cet arbitraire, il y avait un Etat tunisien, une autorité tunisienne bien présente. J’ai été contraint de recourir à une boîte tunisienne pour faire ce travail dans des conditions très éloignées des normes professionnelles habituelles.

    En Algérie, c’est l’anarchie totale, n’importe qui peut faire n’importe quoi sans qu’aucune autorité morale, professionnelle, scientifique, policière ou autre demande des comptes. Ainsi, on peut être vendeur de journaux ou de friperie ou de parfums frelatés à l’étranger et décider de créer en Algérie une boîte de sondage ; rien ne l’interdit. C’est pourquoi nous avons actuellement un foisonnement inconsidéré, hors de tout contrôle, de sociétés étrangères de communication qui pillent l’Algérie avec, naturellement, la complicité intéressée, c’est-à-dire payée, des responsables locaux. Pour des raisons personnelles et subjectives, je m’interdis de détailler cet aspect des choses. Un jour, il faudra bien que j’évoque dans le détail les milliards que KK, une autre boîte tunisienne, vole à l’Algérie ; cette entreprise, spécialement nulle dans son pays, semble régner en leader en Algérie grâce au combustible le plus courant et le plus consommé en Algérie : la corruption. Elle souille tout ce qu’elle touche en Algérie ; et il n’y a personne pour arrêter cela. Alors, messieurs les étrangers continueront tranquillement leur commerce parfois grâce à la complicité payée de partenaires locaux. Alors, bon appétit, messieurs, mangez-nous, mangez l’Algérie. Et la grande presse dans tout cela ? Elle ne dit rien, pourquoi ? Mais qui osera dire à un gros annonceur qui vous inonde de publicité de fermer sa braguette ? Personne. C’est la grande bouffe.

    Vous insinuez donc M. Abassa qu’il n’y a pas d’Etat ou d’autorité de l’Etat pour contrôler et sanctionner ces dépassements…


    Non, je n’insinue rien, absolument rien. Au contraire, j’affirme qu’il n’existe aucun instrument institutionnel de contrôle ou de validation des travaux de sondage avant ou après leur réalisation. Cette absence d’observation et de contrôle est une erreur monumentale qui renseigne bien sur l’indigence intellectuelle et morale de ceux qui gèrent le secteur de la communication. Moi, j’ai réalisé une centaine de sondages en France pour ma propre entreprise ou pour mes partenaires mais on m’a toujours demandé QUI J’ETAIS, L’OBJET DE MON INTERROGATION, LA FINALITE DE MON TRAVAIL. Je m’y inclinais sans difficultés O.K. ; la France le fait, le Togo aussi, le Maroc et la Tunisie sont très exigeants. Que fait l’Algérie ? Rien, c’est un laisser-fairisme total ; une anarchie juteuse et criminelle.

    La solution ?

    Il n’y en a pas 36. Il devient urgent de créer les instruments institutionnels tels qu’ils existent dans tous les autres pays normaux pour agréer, observer et garantir un minimum de fiabilité professionnelle à ces travaux. Ces instruments n’existent pas. J’ai fait des propositions précises au ministère concerné. Elles dorment quelque part dans un tiroir.
    Peut-être faudra-t-il attendre la nouvelle loi sur l’information. On risque d’attendre longtemps. La nouvelle loi sur les hydrocarbures a été votée en 20 jours, celle relative à l’information et à la communication est en attente depuis 20 ans. Dans cette attente, vous aurez toujours des sondages approximatifs et dangereux, à l’instar de celui que vous m’avez cité.

    M. Abassa, soyez plus démonstratif pour nous expliquer la nullité de ce sondage…

    Sonder pour procéder à une classification hiérarchique des performances des journaux ou des supports médias en général nécessite une rigueur professionnelle et une moralité sans faille. D’abord, il faut avoir une connaissance parfaite et complète des supports observés. Avoir été marchand de journaux ne suffit pas pour en devenir juge. Pour mesurer les rendements de la presse écrite, il faut avoir un minimum de connaissance des instruments et critères de mesure des titres.
    La notion de part de marché d’un titre n’est pas opératoire. Elle ne signifie rien du tout.

    Un sondage normal et professionnel tel que nous le réalisons habituellement mesure un titre en termes de rayonnement, c’est-à-dire le nombre de personnes ayant lu effectivement le titre, pendant combien de temps ? de surface ? Il y a des journaux qui sont lus pendant quelques minutes, d’autres pendant des heures. Il y a des titres qui entrent à la maison, d’autres qui finissent à la poubelle. Le tirage déclaré ou les ventes ne sont pas du tout suffisants pour mesurer son rayonnement et encore moins pour lui attribuer une part de marché.

    La part de marché est signifiante seulement quand il s’agit de publicité.
    A titre d’exemple, pour certains titres de la PQN, le nombre de lecteurs est parfois 3, 4, 5 fois supérieur par rapport aux numéros déclarés achetés. C’est ce qu’on appelle le taux de rotation d’un titre, c’est-à-dire le nombre de personnes ayant lu un même journal. Ces situations concernent les journaux qui entrent à la maison et/ou qui tournent dans les lieux de travail.

    Exemple : nous prenons les performances de trois titres francophones en 2003 : El Watan, le Quotidien d’Oran et votre titre la Tribune. Je vous cite leur performance dans le désordre Journal X
    Taux de rotation en moyenne cumulée : 4,3
    Taux de rotation au foyer : 4
    Taux de rotation sur les lieux de travail : 5
    Surfaces lues (base 24 pages) 60% ; le taux moyen de la PQN française est de 32%
    Lectorat effectif (rayonnement) : 452 000 personnes de 16 ans et plus, dont hommes, femmes, sexe, âges, profession, revenus, etc., etc.
    Ce sont là les premiers rudiments que nous inculquons à nos jeunes stagiaires dont certains d’entre eux ont mal retenu leurs leçons durant leur passage à l’Institut Abassa. Ils sévissent aujourd’hui. En France, par exemple, deux institutions privées (CESP et l’OJD), le CSA aussi, veillent à ce que ces manipulations n’aient jamais lieu.

    Mais votre Institut a publié, lui aussi, des résultats de sondage sur les médias…


    Non jamais. Nous nous l’interdisons parce que ce serait amoral.
    Il appartient aux seuls souscripteurs acheteurs de nos études de médiatiser ou pas leurs résultats. Il est arrivé que certains titres publient les résultats qui leur sont favorables et cachent leurs faiblesses. Je les comprends. Cela nous a souvent valu des animosités et des griefs de la part de certains titres traditionnellement clients chez nous. Je les comprends aussi. J’ai toujours refusé de livrer les résultats d’un titre à son concurrent même si les résultats demandés concernent un titre qui n’est pas notre client. Cela pour la presse écrite. Pour l’audiovisuel, radio et télévision, soit 17 enquêtes et 65 télévisions et 41 radios, aucun résultat n’a été diffusé par nous. Ce sont les propriétaires des résultats qui l’ont fait. Nous n’intervenons que pour compléter, préciser ou démentir, ce qui nous arrive rarement.
    Mais en attendant d’organiser et de moraliser la profession, beaucoup de charlatans et d’aventuriers RMIstes séviront encore longtemps en Algérie.

    ===

    M. Abassa a été le pionnier dans le domaine des sondages et des enquêtes sociales pour avoir créé en 1989 le premier institut de sondage privé algérien ; l’Institut Abassa. Côté études, après une licence et une maîtrise obtenues à l’université d’Alger, il apprendra son métier de sondeur et d’expert en communication professionnelle dans de prestigieuses universités européennes, dont la Sorbonne Paris IV, CELSA, CRESEC Grenoble et l’Institut des hautes études de l’information et de la communication Lille II.


    Par la Tribune

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    • #3
      c'est scandaleux, rien à dire.

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      • #4
        Et, Ce n'est qu'une petite fenêtre tte minuscule entrouverte sur l'ensemble de « l’administration » !!!!

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        • #5
          sondages !?!

          j'ai lu et relu, un vrai scnadale mais...ce ne serait pas par hasard une autre forme de corruption bien mieux organisée que les ''petits'' délis bancaires et compagnies , nous ne sommes pas si bêtes ... non pas à ce point, allons !!! ça cache bien plus grave qu'un simple travail de sondage ... hum! ça me laisse perplexe, oui vraiment!
          Rien n'est plus dangereux que l'ignorance en action, disait Goethe.

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          • #6
            si j'ai bien compris à côté de la corruption le premier accusé est l'absence d'état.
            on rentre trop vite dans une économie libérale et on est sans expérience.
            ça deviendra vite la jungle si l'état ne redresse pas la barre ,et j'ai bien peur que cet exemple ne soit qu'une goutte d'eau.

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            • #7
              J'avoue que cet article m'avait laissé complètement abassourdi parce qu'incroyable. Même en prenant un peu de distance et en minimisant l'article le constat est accablant.

              Pour autant, connaissant les carences :" L’Algérie est le seul pays au monde à ne disposer d’aucune réglementation, ni loi, ni code, ni autorité pour contrôler ces activités d’études et de sondage qui se réalisent à la sauvette par des étrangers dont la plupart ne disposent même pas de permis de travail."

              Pourquoi alors rien n'est fait au niveau de l'Etat. Comment peux t'on laisser des sociétés étrangères s'enrichir et alimenter le circuit de l'informel au détriment des sociétés algériennes donc de l'économie du pays sans rien faire alors que l'inverse est impossible à faire parce que les autres Etats savent se protéger. C'est cette inertie que je ne m'explique pas.

              Non, par contre Ferrailleur je ne pense pas que l'Algérie est trop vite rentré dans le libéralisme. Elle n'y est pas encore tout à fait d'ailleurs et là fait son apprentissage .

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              • #8
                Il faut dire que le sondage est un grand enjeux economique.

                les annonceurs en Algérie se basent sur le nombre de quotidiens vendus pour placer leur pubs dans un journal.

                Conséquence, ils se fient au instituts de sondages. Du coup , certains ont flairé le fillon pour s'acapparer un marché un créneau qui a un impact énorme.

                C'est vrai que l'institut ABASSA est le plus ancien en Algérie. Il n'empeche que l'apparition d'autres instituts de sondages est bon signe. Malgré , le manque de professionalisme, ca viendera avec le temps.

                CSA, IPSOS, BVA et les autres instituts de sondages ne se sont pas construites en un jour.

                L'état par contre à interet à reglementer la profession, pour empecher toute dérive.

                Stanislas
                Dernière modification par Stanislas, 08 avril 2006, 17h33.
                “If you think education is expensive, try ignorance”
                Derek Bok

                Commentaire


                • #9
                  Il n'empeche que l'apparition d'autres instituts de sondages est bon signe.
                  Oui si ils compétents et honnêtes et là c'est loin d'être le cas. Je cite : Savez-vous qu’en Algérie n’importe quel individu, de quelque pays qu’il soit, quels que soient sa formation, son niveau ou sa moralité, quel que soit son métier, peut s’établir en Algérie et faire des sondages. Savez-vous que des trabendistes notoires, marchands de friperie, de savonnettes, vendeurs de journaux, de rasoirs et de parfums frelatés ont créé des boîtes de sondage en Algérie. Certains se déclarent ici boîte multinationale alors qu’ils sont RMIstes ou au chômage dans leur pays d’origine. Comment peut-on être au RMI en France et milliardaire en Algérie ?

                  Commentaire


                  • #10
                    Tout à fait morjane.

                    C'est le cas , de tout pays emergent qui decouvre, les nouvelles techniques de l'audiovisuel.

                    L'état n'a pas eu le temps de se pencher sur le sujet, d'ou le vide juridique.

                    Mais, en fait il n' ya que les profesionnels qui vont rester, car ne s'improvise pas institut de sondage qui veut !

                    Il faut une intervention de l'état et laisser le marché du sondage se décanter.

                    Même si M ABASSA, que je respecte est un des pionniers sur le marché. Il ne faut pas aussi, qu'il considére que le sondage est une chasse gardée.

                    Merci pour le sujet cousine.

                    Voici un excellent sujet du Quotidien d'Oran sur les institus de sondages et leurs rôles au cours de la campagne présidentielle en Algérie en 2004.



                    ************************************************** ******
                    Des sondages d’opinion top secret

                    Le Quotidien d'Oran, 25 mars 2004

                    Quel est le candidat qui a fait la plus belle progression dans les intentions de vote depuis trois semaines ? La plupart des états-majors de campagne le savent, certains directeurs de journaux le savent, les officines le savent. Pas le grand public.

                    Aucun sondage d’opinion sur les intentions de vote n’a été publié depuis plusieurs mois. Cette absence d’indicateurs sur les penchants dans l’opinion publique s’est fait ressentir en particulier ces dernières semaines alors que les noms des candidats officiellement engagés aux élections présidentielles sont connus. Pourquoi donc ? Pour Mohamed Abassa de l’institut du même nom, la réponse est toute nette: «Il y a des directeurs de journaux qui ont abandonné leurs rôles de vecteurs de l’information. Si les résultats d’un sondage ne leur conviennent pas politiquement, ils les cachent à leurs lecteurs».

                    Est-ce à dire - compte tenu de l’hostilité des gros tirages de la presse quotidienne au président Bouteflika - que les résultats de ces sondages lui ont été favorables jusque-là. Un journal arabophone El Bilad a donné le président sortant élu au premier tour avec 80% des voix. Petit problème, il s’est référé pour cela à un sondage de l’institut Abassa qui a démenti aussitôt et qui a porté l’affaire en justice.

                    Si les sondages sur les intentions de vote des Algériens sont si favorables au candidat qui a occupé seul le petit écran depuis de longs mois, pourquoi alors ses partisans dans la presse écrite n’en commandent-ils pas de leur côté, afin de montrer que les choses évoluent à son avantage et de légitimer a priori son éventuelle victoire ? Pour le spécialiste de sondages Ahmed Halfaoui de IPSOFIM, «la presse pro-Bouteflika manque de ressources financières pour acheter des sondages. J’ai suggéré à un pool de petits tirages de se constituer pour financer une enquête.

                    Sans succès». El Hadi Mekboul, directeur du CENEAP, gros pourvoyeur public d’enquête de terrain, déplore lui tout simplement «le manque de culture du sondage d’opinion en Algérie».

                    Le fait est que la campagne avance sans repères pour le grand public. Les derniers résultats sur les intentions de vote circulent sous le manteau et personne ne veut s’aviser à les reprendre de peur de subir les foudres de «la source client» qui les a commandés et payés, ou alors de peur d’être pris à partie par les candidats qui verraient affichées de très faibles intentions de vote. «J’ai eu des 2% d’intentions de vote pour certains candidats, raconte Mohamed Abassa, j’ai choisi de mettre gracieusement mes résultats à la disposition des candidats sans les rendre publics». Sauf si un média veut bien les acheter et les publier. Mais intervient une réserve: «Les sondages d’opinion les plus sérieux se négocient à plus de trois millions de dinars. C’est trop cher pour des résultats qui sont le plus souvent sources de contestation», explique Abdou Benabbou, directeur du Quotidien d’Oran. Ce à quoi réplique Ahmed Halfaoui que son enquête a été proposée à seulement 80 millions de centimes «mais aucun journal n’a donné de suite favorable».

                    Le coût d’un sondage national est-il vraiment un handicap financier ? Les «exclusivités» peuvent coûter quelque peu cher en effet pour un client unique, «un sondage national qui engage plus de 50 enquêteurs pour un échantillon de 1.500 personnes se négocie entre 1,5 million et 2 millions de dinars», précise El Hadi Mekboul. Il arrive souvent que les instituts privés proposent les résultats de leurs sondages après qu’ils eurent été partiellement amortis par l’achat d’organismes institutionnels ou privés, voire qu’ils les mettent gracieusement à leur disposition comme l’a fait l’institut Abassa. Comme quoi l’absence de publication de sondages «n’est pas en premier ressort un problème d’argent». Il reste la question de la fiabilité. Un sujet sur lequel est intarissable Mohamed Abassa. Il explique comment le processus du questionnement évite soigneusement la moindre suggestion de réponse au sondé. Il se fait fort aussi de mettre à jour en temps quasi réel les résultats de ses dernières enquêtes car il dispose d’un échantillon de départ de 4.500 personnes sur lequel il est possible d’affiner une multitude de variables notamment socioprofessionnelles, d’âges et de répartition territoriale.

                    Pour Samir Blidi, consultant au CENEAP, «il existe un discours négatif qui frappe les sondages dès qu’il s’agit de politique. Comme si c’était un territoire où se perdait la raison. Et on nous sort le syndrome de la grand-mère illettrée qui ne sait même pas qu’il y a des élections. A peine si on ne disait pas que les Algériens n’ont pas d’opinion. Pourtant, nous tournons toute l’année avec des enquêtes de terrain dont certaines sont des enquêtes d’opinion. En réalité, l’outil pour les sondages d’opinion existe. C’est la demande qui n’est pas structurée». Ou alors la demande est confidentielle. Le CENEAP a reçu une commande de sondage d’une institution publique.

                    Comme pour les autres enquêtes, le grand public sera tenu à l’écart de ce que lui-même pense. L’absence de publication de sondages sur les intentions de vote et les autres enjeux de l’échéance des présidentielles montre bien que «le politique demeure encore le domaine du secret en Algérie».

                    Dernière illustration en date, un candidat qui peut aussi être une candidate, aurait gagné 12 points d’intentions de vote depuis le début de la campagne, selon la plus récente mise à jour. Son nom ? Il faut payer pour avoir le droit de l’écrire.
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