Incertitudes politiques après la fuite de Ben Ali
| 15.01.11 | 15h16
Le pouvoir est à prendre à Tunis. Le sera-t-il par ceux qui, civils ou militaires, furent les collaborateurs plus ou moins zélés de l'ancien président Ben Ali ? Par des "démocrates", opposants de toujours au régime ? Ou par des islamistes du parti Ennahda ?
Au lendemain de la fuite précipitée, sous la pression de la rue, de l'ancien chef de l'Etat et d'une partie de sa famille vers l'Arabie saoudite, tout est fait à Tunis pour préserver un semblant de légalité.
Mettant en avant l'article 59 de la Constitution, le premier ministre, Mohammed Ghannouchi, a annoncé, vendredi soir 14 janvier, qu'il assumait "provisoirement (...) la charge de président par intérim". Dans une brève allocution, il s'est engagé à "respecter la Constitution et à mettre en oeuvre toutes les réformes (...) annoncées en collaboration avec les partis politiques et les composantes de la société civiles".
Premier ministre depuis onze ans, Mohammed Ghannouchi, 69 ans, n'était pas un intime de Ben Ali. Haut fonctionnaire de formation, plus économiste que politique, peu connu des Tunisiens, il n'a pas été impliqué dans la répression. Les affaires touchant à la sécurité se traitaient en dehors de lui. Mais il a laissé faire et a accepté la mainmise sur la vie politique du parti présidentiel, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) dont il était membre du bureau politique depuis 2002.
Lorsqu'il a lu sa brève déclaration à la télévision, M. Ghannouchi était entouré de deux autres caciques du RCD : le président de la chambre des députés, Fouad Mebazaa, 78 ans, lui aussi membre du bureau politique du RCD. Et Abdallah Kallal, 68 ans, président de la Chambre des conseillers - l'équivalent du Sénat français. Ce dernier est, depuis des années, dans le collimateur des organisations de défense des droits de l'homme qui l'accusent d'avoir torturé des opposants lorsqu'il était ministre de l'intérieur dans les années 1990.
Au lendemain d'une révolte populaire qui a fait des dizaines de morts, les Tunisiens accepteront-ils d'être dirigés, même provisoirement, par des hommes issus du "benalisme" ? Ce n'est pas acquis. Mais quelle est l'alternative ?
L'un des problèmes auquel est confronté le pays tient à la faiblesse de l'opposition laïque. Les personnalités qui l'incarnent manquent de troupes. Vingt-trois ans de régime Ben Ali ont fait du champ politique un désert. A telle enseigne que, ces dernières années, les voix les plus fortes de l'opposition émanaient de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, la plus ancienne du monde arabe, de journalistes dissidents ou du monde judiciaire.
Le courant islamique profitera-t-il du vide ? C'est la principale inconnue. Lorsque Ben Ali s'est emparé du pouvoir, en novembre 1987, les "barbus" du Mouvement de la tendance islamique (MTI) de Rached Ghannouchi (sans lien de famille avec le premier ministre) constituaient une force politique importante et structurée.
Passée une courte période d'état de grâce entre Ben Ali et Ghannouchi les relations vont se dégrader. Le chef du MTI, qui sera condamné à mort pour "complot", est contraint de s'exiler en Grande-Bretagne tandis que ses sympathisants font l'objet d'une répression féroce qui divise d'ailleurs les "démocrates" : faut-il défendre ou pas les ennemis de la liberté ?
Depuis, la situation a évolué. Le MTI (devenu Ennahda) était toujours interdit en Tunisie mais le pouvoir avait maintenu des contacts avec les islamo-conservateurs. Certains avaient été autorisés à rentrer en Tunisie. Et une banque et une radio islamiques avaient fait leur apparition dans le pays, sous le contrôle de la famille du président déchu.
Ben Ali renversé, Rached Ghannouchi s'est engagé, lors d'une interview diffusée vendredi par France 24, à "travailler avec les mouvements politiques et la société civile pour bâtir un Etat de droit". Mais sera-t-il en mesure de le faire en position de force ?
Jean-Pierre Tuquoi
| 15.01.11 | 15h16
Le pouvoir est à prendre à Tunis. Le sera-t-il par ceux qui, civils ou militaires, furent les collaborateurs plus ou moins zélés de l'ancien président Ben Ali ? Par des "démocrates", opposants de toujours au régime ? Ou par des islamistes du parti Ennahda ?
Au lendemain de la fuite précipitée, sous la pression de la rue, de l'ancien chef de l'Etat et d'une partie de sa famille vers l'Arabie saoudite, tout est fait à Tunis pour préserver un semblant de légalité.
Mettant en avant l'article 59 de la Constitution, le premier ministre, Mohammed Ghannouchi, a annoncé, vendredi soir 14 janvier, qu'il assumait "provisoirement (...) la charge de président par intérim". Dans une brève allocution, il s'est engagé à "respecter la Constitution et à mettre en oeuvre toutes les réformes (...) annoncées en collaboration avec les partis politiques et les composantes de la société civiles".
Premier ministre depuis onze ans, Mohammed Ghannouchi, 69 ans, n'était pas un intime de Ben Ali. Haut fonctionnaire de formation, plus économiste que politique, peu connu des Tunisiens, il n'a pas été impliqué dans la répression. Les affaires touchant à la sécurité se traitaient en dehors de lui. Mais il a laissé faire et a accepté la mainmise sur la vie politique du parti présidentiel, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) dont il était membre du bureau politique depuis 2002.
Lorsqu'il a lu sa brève déclaration à la télévision, M. Ghannouchi était entouré de deux autres caciques du RCD : le président de la chambre des députés, Fouad Mebazaa, 78 ans, lui aussi membre du bureau politique du RCD. Et Abdallah Kallal, 68 ans, président de la Chambre des conseillers - l'équivalent du Sénat français. Ce dernier est, depuis des années, dans le collimateur des organisations de défense des droits de l'homme qui l'accusent d'avoir torturé des opposants lorsqu'il était ministre de l'intérieur dans les années 1990.
Au lendemain d'une révolte populaire qui a fait des dizaines de morts, les Tunisiens accepteront-ils d'être dirigés, même provisoirement, par des hommes issus du "benalisme" ? Ce n'est pas acquis. Mais quelle est l'alternative ?
L'un des problèmes auquel est confronté le pays tient à la faiblesse de l'opposition laïque. Les personnalités qui l'incarnent manquent de troupes. Vingt-trois ans de régime Ben Ali ont fait du champ politique un désert. A telle enseigne que, ces dernières années, les voix les plus fortes de l'opposition émanaient de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, la plus ancienne du monde arabe, de journalistes dissidents ou du monde judiciaire.
Le courant islamique profitera-t-il du vide ? C'est la principale inconnue. Lorsque Ben Ali s'est emparé du pouvoir, en novembre 1987, les "barbus" du Mouvement de la tendance islamique (MTI) de Rached Ghannouchi (sans lien de famille avec le premier ministre) constituaient une force politique importante et structurée.
Passée une courte période d'état de grâce entre Ben Ali et Ghannouchi les relations vont se dégrader. Le chef du MTI, qui sera condamné à mort pour "complot", est contraint de s'exiler en Grande-Bretagne tandis que ses sympathisants font l'objet d'une répression féroce qui divise d'ailleurs les "démocrates" : faut-il défendre ou pas les ennemis de la liberté ?
Depuis, la situation a évolué. Le MTI (devenu Ennahda) était toujours interdit en Tunisie mais le pouvoir avait maintenu des contacts avec les islamo-conservateurs. Certains avaient été autorisés à rentrer en Tunisie. Et une banque et une radio islamiques avaient fait leur apparition dans le pays, sous le contrôle de la famille du président déchu.
Ben Ali renversé, Rached Ghannouchi s'est engagé, lors d'une interview diffusée vendredi par France 24, à "travailler avec les mouvements politiques et la société civile pour bâtir un Etat de droit". Mais sera-t-il en mesure de le faire en position de force ?
Jean-Pierre Tuquoi
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