samedi 15 janvier 2011
Après avoir fui les exactions du Front islamique du salut, en Algérie, Rayhana a dû faire face à des intégristes français.
Daniel Fouray
Il y a un an, Rayhana a été agressée, aspergée d'essence en plein Paris. Devant le théâtre où se jouait sa pièce, À mon âge, je me cache encore pour fumer. « Les illuminés de Dieu », qui voulaient faire taire cette féministe née à Alger, ont raté leur coup. À 46 ans, elle continue de l'ouvrir. Sur scène, dans un livre et bientôt au cinéma.
Non, elle n'a pas « une tête de fait divers ». C'était son angoisse, une fois remise, qu'on la confine à un rôle de victime. Ses cheveux aspergés d'essence, mais encore mouillés de la douche, n'ont pas pris feu, ce soir de janvier 2010, alors qu'elle se rendait au théâtre des Métallos, dans le XIe arrondissement. « Ma pièce affichait complet avant ça », tient-elle à rappeler.
Rayhana, flamboyante rousse, ne sait toujours pas qui sont « ces deux illuminés de Dieu, plus religieux que les musulmans ». L'enquête piétine. Elle a donc remis les pieds sur scène. À 50 m de la mosquée Omar, « une des plus dures de Paris », à l'opposé de l'esprit d'Hassen Chalghoumi, l'imam de Drancy, qui a dénoncé l'agression...
La pièce ? Parlons-en. On y voit neuf femmes en libre conversation, au hammam. Les corps sont nus, pudiquement couverts de serviettes. On aperçoit un sein ou deux. Les confidences sont plus hardies. Elles disent la souffrance d'être humiliée, violentée, par un homme, un mari, un frère... « C'est fort et universel, ça parle à tout le monde », estime Rebecca Finet, pure Ch'ti de Lille qui joue Nadia, la plus révoltée de la bande. Les dialogues ont tapé dans l'oreille du couple Costa-Gavras, qui produira l'adaptation au cinéma.
Sans le savoir, les agresseurs de Rayhana se sont attaqués à une forte tête, la fille de Mansour, combattant FLN né dans les Aurès, ulcéré par les humiliations des occupants français. Lorsqu'il a fallu choisir son camp, il a rejoint les rebelles. « Mon père était grand et beau », décrit Rayhana, en sortant une photo...
Connie De Grooth, une infirmière hollandaise, militante de la cause algérienne et aristocrate en froid avec son pays, a craqué. Elle a sauvé l'oeil de son guerrier, puis l'a aimé. Rayhana est le fruit de cette nuit d'étreintes, mais a été élevée par la femme de Mansour. « Tous trois étaient amis, d'accord pour se taire. Je l'ai appris à 17 ans. J'ai compris plein de choses ensuite... »
1964. Rayhana naît dans une Algérie indépendante et pétrie d'idéaux communistes, qui éduque filles et garçons gratuitement. Certains professeurs débarquent directement de l'URSS. Elle lit Lénine et Marx, devient athée. À l'école, on la surnomme « Globo », un chewing-gum local, en raison de ses lèvres épaisses. Elle fait le clown, pour séduire autrement. Comédienne née. Sa place est au théâtre, propice aux rencontres, à la distance vis-à-vis du pouvoir.
« J'ai des périodes de Nostalgérie »
Mais bientôt, fini la belle vie d'artiste en Kabylie, les prix d'interprétation. L'islamisme grimpe sur la misère. Les barbes poussent et les voiles sortent. Les balles fauchent les intellectuels, des amis de Rayhana : Azzedine Medjoubi, le directeur du Théâtre national d'Alger, en 1995 ; Saïd Mekbel, journaliste fondateur du Matin, l'année précédente. C'est chez sa veuve, « une Normande », qu'elle se réfugie en France...
La France, enfin ! Pas si simple. Les p'tits boulots, les castings où elle n'est jamais « assez Françoise » (entendez blanche, française) ont failli la décourager. Sauf que la « bâtarde » de Bal el Oued, qui parle « une ratatouille de langues, un tiers berbère, un tiers arabe, un tiers français », a un projet : un huis clos de femmes, un hommage à ces battantes algériennes.
Le metteur en scène Fabian Chappuis a intitulé la pièce À mon âge, je me cache encore pour fumer. Les Gauloises blondes sont le péché de Rayhana. Avec un p'tit verre de vin. Et le saucisson, que ses parents algériens ont découvert dans son frigo, lors d'un séjour parisien. « Ils n'ont rien dit. »
Sa liberté, elle l'a gagnée. En se mariant, en divorçant, en fuyant les exactions du FIS en Algérie. Et voilà qu'en plus des tourments de l'exil ¯ « J'ai des périodes de 'Nostalgérie' » ¯, elle doit gérer d'autres « fous de Dieu, des anti-homos, des filles qui revendiquent le voile. Toutes des inconscientes. Elles oublient celles qui le portent par obligation. »
Elle, c'est jeans et cheveux au vent. Merci Bernard, son amoureux, son second mari, skipper-éducateur. « Un Alsacien de souche ». Avec son nom, Obermeyer, on l'a prise pour une juive, ça l'a fait rire. Aujourd'hui, Rayhana vit dans un village des Pyrénées-Orientales, quand elle n'est pas en tournée. Mais elle a cessé d'y donner des cours de théâtre, de jouer les Pères Noël l'hiver. « On est deux Arabes là-bas, le boulanger et moi. Quand Le Pen est arrivé en tête des votes, dans la commune, on l'a pris pour nous... »
Christelle GUIBERT.Photo : Daniel FOURAY.
Après avoir fui les exactions du Front islamique du salut, en Algérie, Rayhana a dû faire face à des intégristes français.
Daniel Fouray
Il y a un an, Rayhana a été agressée, aspergée d'essence en plein Paris. Devant le théâtre où se jouait sa pièce, À mon âge, je me cache encore pour fumer. « Les illuminés de Dieu », qui voulaient faire taire cette féministe née à Alger, ont raté leur coup. À 46 ans, elle continue de l'ouvrir. Sur scène, dans un livre et bientôt au cinéma.
Non, elle n'a pas « une tête de fait divers ». C'était son angoisse, une fois remise, qu'on la confine à un rôle de victime. Ses cheveux aspergés d'essence, mais encore mouillés de la douche, n'ont pas pris feu, ce soir de janvier 2010, alors qu'elle se rendait au théâtre des Métallos, dans le XIe arrondissement. « Ma pièce affichait complet avant ça », tient-elle à rappeler.
Rayhana, flamboyante rousse, ne sait toujours pas qui sont « ces deux illuminés de Dieu, plus religieux que les musulmans ». L'enquête piétine. Elle a donc remis les pieds sur scène. À 50 m de la mosquée Omar, « une des plus dures de Paris », à l'opposé de l'esprit d'Hassen Chalghoumi, l'imam de Drancy, qui a dénoncé l'agression...
La pièce ? Parlons-en. On y voit neuf femmes en libre conversation, au hammam. Les corps sont nus, pudiquement couverts de serviettes. On aperçoit un sein ou deux. Les confidences sont plus hardies. Elles disent la souffrance d'être humiliée, violentée, par un homme, un mari, un frère... « C'est fort et universel, ça parle à tout le monde », estime Rebecca Finet, pure Ch'ti de Lille qui joue Nadia, la plus révoltée de la bande. Les dialogues ont tapé dans l'oreille du couple Costa-Gavras, qui produira l'adaptation au cinéma.
Sans le savoir, les agresseurs de Rayhana se sont attaqués à une forte tête, la fille de Mansour, combattant FLN né dans les Aurès, ulcéré par les humiliations des occupants français. Lorsqu'il a fallu choisir son camp, il a rejoint les rebelles. « Mon père était grand et beau », décrit Rayhana, en sortant une photo...
Connie De Grooth, une infirmière hollandaise, militante de la cause algérienne et aristocrate en froid avec son pays, a craqué. Elle a sauvé l'oeil de son guerrier, puis l'a aimé. Rayhana est le fruit de cette nuit d'étreintes, mais a été élevée par la femme de Mansour. « Tous trois étaient amis, d'accord pour se taire. Je l'ai appris à 17 ans. J'ai compris plein de choses ensuite... »
1964. Rayhana naît dans une Algérie indépendante et pétrie d'idéaux communistes, qui éduque filles et garçons gratuitement. Certains professeurs débarquent directement de l'URSS. Elle lit Lénine et Marx, devient athée. À l'école, on la surnomme « Globo », un chewing-gum local, en raison de ses lèvres épaisses. Elle fait le clown, pour séduire autrement. Comédienne née. Sa place est au théâtre, propice aux rencontres, à la distance vis-à-vis du pouvoir.
« J'ai des périodes de Nostalgérie »
Mais bientôt, fini la belle vie d'artiste en Kabylie, les prix d'interprétation. L'islamisme grimpe sur la misère. Les barbes poussent et les voiles sortent. Les balles fauchent les intellectuels, des amis de Rayhana : Azzedine Medjoubi, le directeur du Théâtre national d'Alger, en 1995 ; Saïd Mekbel, journaliste fondateur du Matin, l'année précédente. C'est chez sa veuve, « une Normande », qu'elle se réfugie en France...
La France, enfin ! Pas si simple. Les p'tits boulots, les castings où elle n'est jamais « assez Françoise » (entendez blanche, française) ont failli la décourager. Sauf que la « bâtarde » de Bal el Oued, qui parle « une ratatouille de langues, un tiers berbère, un tiers arabe, un tiers français », a un projet : un huis clos de femmes, un hommage à ces battantes algériennes.
Le metteur en scène Fabian Chappuis a intitulé la pièce À mon âge, je me cache encore pour fumer. Les Gauloises blondes sont le péché de Rayhana. Avec un p'tit verre de vin. Et le saucisson, que ses parents algériens ont découvert dans son frigo, lors d'un séjour parisien. « Ils n'ont rien dit. »
Sa liberté, elle l'a gagnée. En se mariant, en divorçant, en fuyant les exactions du FIS en Algérie. Et voilà qu'en plus des tourments de l'exil ¯ « J'ai des périodes de 'Nostalgérie' » ¯, elle doit gérer d'autres « fous de Dieu, des anti-homos, des filles qui revendiquent le voile. Toutes des inconscientes. Elles oublient celles qui le portent par obligation. »
Elle, c'est jeans et cheveux au vent. Merci Bernard, son amoureux, son second mari, skipper-éducateur. « Un Alsacien de souche ». Avec son nom, Obermeyer, on l'a prise pour une juive, ça l'a fait rire. Aujourd'hui, Rayhana vit dans un village des Pyrénées-Orientales, quand elle n'est pas en tournée. Mais elle a cessé d'y donner des cours de théâtre, de jouer les Pères Noël l'hiver. « On est deux Arabes là-bas, le boulanger et moi. Quand Le Pen est arrivé en tête des votes, dans la commune, on l'a pris pour nous... »
Christelle GUIBERT.Photo : Daniel FOURAY.
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