Posté par Rédaction LQA le jan 15th, 2011
Par Ahmed ROUADJIA
En qualifiant l’explosion de colère des jeunes en octobre 1988 de « chahut de gamins » suivie subséquemment d’un massacre innommable de plusieurs centaines d’entre eux, l’ex-président de l’Amicale des Algériens en Europe, Ali Ammar, fut immédiatement gratifié d’un poste de ministre de l’information avant d’être nommé ambassadeur d’Algérie en Afrique. En caractérisant une partie des jeunes émeutiers de janvier 2011 de « criminels », M. Daho Ould Kablia, Ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, ne fait en fait que reproduire et confirmer la tendance invariante de l’idéologie du régime politique à considérer toute manifestation revendicative, pacifique ou violente, comme un acte attentatoire contre l’Etat, la nation ou le peuple .La réponse qu’il a toujours jugée comme juste ou appropriée à de telles manifestations, c’est la manière « musclée » dont le pénal n’ en est que l’expression achevée. Les hommes de ce régime dont beaucoup ont pourtant été des nationalistes chevronnés, anti- colonialistes, comme Ould Kablia lui-même, n’ont pas pu ou voulu se départir de leurs vieilles certitudes, et qui sont l’envers négatif de la souplesse de l’esprit, de la nuance, de l’aptitude à s’adapter à l’air du temps, aux circonstances et à l’évolution du monde actuel qu’ils regardent encore et toujours avec les lorgnettes des années cinquante. Frappés d’un autisme incurable, ce régime et les hommes qui le perpétuent, se considèrent comme les détenteurs d’une vérité absolue et immuable ; ils ont toujours raison envers et contre tous. Ils n’admettent ni contradiction ni raison concurrente, ou très difficilement. Tous ceux qui s’écartent, même d’un iota, de l’idéologie rigide qui structurent leur pensée, représentations du monde et actes politiques, sont considérés ou bien comme des « déviants », ou bien comme des anti- nationaux en puissance.
Les émeutiers passés au crible par M . Daho Ould Kablia
Fort d’une idéologie rigide et figée, héritée du nationalisme d’antan, populiste et révolutionnaire, nos dirigeants prisent plus l’autoritarisme que la raison politique que fonde l’esprit d’écoute et de délibération. D’où leur tendance fâcheuse à vouloir traiter les problèmes politiques et sociaux qui surgissent à la surface en termes de « force » ou de coercition. D’où le recours, parfois abusif, au pénal comme mode de gestion des crises et des conflits sociaux. La manière avec laquelle M. Daho Ould Kablia, a commenté les émeutes récentes, résume de manière fidèle la pensée dominante de tous ses pairs qui participent à la reproduction indéfinie de ce régime depuis 1962. Dans une interview qu’il a accordée au journal de 20heures de l’ENTV en date du 8 janvier, M. Ould Kablia minimise d’abord les émeutes avant de criminaliser les actes de ces jeunes désespérés. Se faisant le défenseur de l’Algérie et du nationalisme algérien, il accuse d’une part ces jeunes révoltés de donner au pays une image négative à l’extérieur, et, d’autre part, les télévisions étrangères qui auraient tendance à grossir de manière démesurée les émeutes…ces violences donneraient l’occasion aux « ennemis de l’Algérie » de s’en réjouir, selon le ministre de l’Intérieur, d’amplifier une situation qui « ne correspond absolument pas à la réalité ». La réalité, selon lui, c’est que les télévisions étrangères mentent en prétendant que le peuple algérien vit dans « al miséria » ( la misère) et qu’il ne mange pas à sa faim (« maouche Yakoul »), ce qui relèverait d’une volonté délibérée de falsifier l’image de l’Algérie, d’après le ministre.
Ce mektoub qui fait une victime…
Dans un langage fait d’un mélange cocasse d’arabe dialectal et d’un français aussi démodé qu’ approximatif, le ministre de l’Intérieur tente de minimiser la gravité des évènements tout en se contredisant. Tantôt, il déclare que les évènements ont été amplifiés, tantôt il reconnaît leur gravité, qui, en dépit de tout, n’ont fait, dit-il, que trois victimes, dont l’une a été retrouvée carbonisée dans l’hôtel incendié à Tidjellabine et elle ne l’a été en fait que par « son mektoub » ( !). Le mektoub seul aura donc retranché très tôt à la vie ce jeune que fut Taïeb Ghaimi, 19 ans ! Quant à l’autre victime dont il n’a pas cité le nom, mais qui serait le jeune Azzeddine Labza d’Ain Hadjel, qui avait vingt ans, elle était retrouvée « allongée parterre on ne sait comment, tuée probablement par ses compagnons … ». Seule la troisième victime (Abdelfatah Akriche ?) reconnaît le ministre, a été effectivement tuée suite à une « bévue » de la police…
La criminalisation des revendications sociales et politiques.
Les trois victimes, les 800 blessés et les 1100 arrêtés durant ces quatre jours d’émeutes seraient des hors-la-loi, et le ministre de l’Intérieur le pense haut et fort puisqu’il qualifie sans nuances tous ces révoltés de « criminels », de trafiquants de drogue, de voleurs et de contrebandiers, etc. Qu’elles soient violentes ou pacifiques, les revendications sociales qui ne cadrent pas avec la vision étriquée et autoritaire du régime sont réputées illégitimes et n’appellent pas un traitement politique, mais une réponse pénale. Ce n’est pas seulement l’état d’urgence instauré depuis près de 20 ans qui justifient et expliquent de telles mesures scélérates, et donc anticonstitutionnelles. Ce sont les schèmes de pensée qui structurent la représentation archaïque et régalienne des hommes du pouvoir qui expliquent le culte absolu qu’ils vouent à la force saisie comme moyen approprié et quasi exclusif de « la bonne » gestion des affaires publiques. Cette vision unilatérale se fait évidemment au détriment du droit et de la réflexion politique qui se trouvent être au cœur des préoccupations essentielles des Etats modernes . Prisonniers d’une conception qui accorde la part belle à l’autoritarisme qui fait l’économie systématique de la réflexion et de l’intelligence politique, ces hommes du pouvoir n’ont retenu de la science juridique, et donc du droit saisi dans ses divers contenus, que sa dimension pénale. De là s’explique le dévoiement de notre droit réduit à son seul contenu répressif ou presque. Le langage tout comme les actes politiques de nos dirigeants s’en ressentent de manière profonde. Le travail à la chaîne que mènent au quotidien nos cours pénales en est le témoignage éclatant de la criminalisation des actes et des revendications, violents ou pacifiques, des citoyens lésés ou privés de repères sociaux, culturels ou politiques.
Par Ahmed ROUADJIA
En qualifiant l’explosion de colère des jeunes en octobre 1988 de « chahut de gamins » suivie subséquemment d’un massacre innommable de plusieurs centaines d’entre eux, l’ex-président de l’Amicale des Algériens en Europe, Ali Ammar, fut immédiatement gratifié d’un poste de ministre de l’information avant d’être nommé ambassadeur d’Algérie en Afrique. En caractérisant une partie des jeunes émeutiers de janvier 2011 de « criminels », M. Daho Ould Kablia, Ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, ne fait en fait que reproduire et confirmer la tendance invariante de l’idéologie du régime politique à considérer toute manifestation revendicative, pacifique ou violente, comme un acte attentatoire contre l’Etat, la nation ou le peuple .La réponse qu’il a toujours jugée comme juste ou appropriée à de telles manifestations, c’est la manière « musclée » dont le pénal n’ en est que l’expression achevée. Les hommes de ce régime dont beaucoup ont pourtant été des nationalistes chevronnés, anti- colonialistes, comme Ould Kablia lui-même, n’ont pas pu ou voulu se départir de leurs vieilles certitudes, et qui sont l’envers négatif de la souplesse de l’esprit, de la nuance, de l’aptitude à s’adapter à l’air du temps, aux circonstances et à l’évolution du monde actuel qu’ils regardent encore et toujours avec les lorgnettes des années cinquante. Frappés d’un autisme incurable, ce régime et les hommes qui le perpétuent, se considèrent comme les détenteurs d’une vérité absolue et immuable ; ils ont toujours raison envers et contre tous. Ils n’admettent ni contradiction ni raison concurrente, ou très difficilement. Tous ceux qui s’écartent, même d’un iota, de l’idéologie rigide qui structurent leur pensée, représentations du monde et actes politiques, sont considérés ou bien comme des « déviants », ou bien comme des anti- nationaux en puissance.
Les émeutiers passés au crible par M . Daho Ould Kablia
Fort d’une idéologie rigide et figée, héritée du nationalisme d’antan, populiste et révolutionnaire, nos dirigeants prisent plus l’autoritarisme que la raison politique que fonde l’esprit d’écoute et de délibération. D’où leur tendance fâcheuse à vouloir traiter les problèmes politiques et sociaux qui surgissent à la surface en termes de « force » ou de coercition. D’où le recours, parfois abusif, au pénal comme mode de gestion des crises et des conflits sociaux. La manière avec laquelle M. Daho Ould Kablia, a commenté les émeutes récentes, résume de manière fidèle la pensée dominante de tous ses pairs qui participent à la reproduction indéfinie de ce régime depuis 1962. Dans une interview qu’il a accordée au journal de 20heures de l’ENTV en date du 8 janvier, M. Ould Kablia minimise d’abord les émeutes avant de criminaliser les actes de ces jeunes désespérés. Se faisant le défenseur de l’Algérie et du nationalisme algérien, il accuse d’une part ces jeunes révoltés de donner au pays une image négative à l’extérieur, et, d’autre part, les télévisions étrangères qui auraient tendance à grossir de manière démesurée les émeutes…ces violences donneraient l’occasion aux « ennemis de l’Algérie » de s’en réjouir, selon le ministre de l’Intérieur, d’amplifier une situation qui « ne correspond absolument pas à la réalité ». La réalité, selon lui, c’est que les télévisions étrangères mentent en prétendant que le peuple algérien vit dans « al miséria » ( la misère) et qu’il ne mange pas à sa faim (« maouche Yakoul »), ce qui relèverait d’une volonté délibérée de falsifier l’image de l’Algérie, d’après le ministre.
Ce mektoub qui fait une victime…
Dans un langage fait d’un mélange cocasse d’arabe dialectal et d’un français aussi démodé qu’ approximatif, le ministre de l’Intérieur tente de minimiser la gravité des évènements tout en se contredisant. Tantôt, il déclare que les évènements ont été amplifiés, tantôt il reconnaît leur gravité, qui, en dépit de tout, n’ont fait, dit-il, que trois victimes, dont l’une a été retrouvée carbonisée dans l’hôtel incendié à Tidjellabine et elle ne l’a été en fait que par « son mektoub » ( !). Le mektoub seul aura donc retranché très tôt à la vie ce jeune que fut Taïeb Ghaimi, 19 ans ! Quant à l’autre victime dont il n’a pas cité le nom, mais qui serait le jeune Azzeddine Labza d’Ain Hadjel, qui avait vingt ans, elle était retrouvée « allongée parterre on ne sait comment, tuée probablement par ses compagnons … ». Seule la troisième victime (Abdelfatah Akriche ?) reconnaît le ministre, a été effectivement tuée suite à une « bévue » de la police…
La criminalisation des revendications sociales et politiques.
Les trois victimes, les 800 blessés et les 1100 arrêtés durant ces quatre jours d’émeutes seraient des hors-la-loi, et le ministre de l’Intérieur le pense haut et fort puisqu’il qualifie sans nuances tous ces révoltés de « criminels », de trafiquants de drogue, de voleurs et de contrebandiers, etc. Qu’elles soient violentes ou pacifiques, les revendications sociales qui ne cadrent pas avec la vision étriquée et autoritaire du régime sont réputées illégitimes et n’appellent pas un traitement politique, mais une réponse pénale. Ce n’est pas seulement l’état d’urgence instauré depuis près de 20 ans qui justifient et expliquent de telles mesures scélérates, et donc anticonstitutionnelles. Ce sont les schèmes de pensée qui structurent la représentation archaïque et régalienne des hommes du pouvoir qui expliquent le culte absolu qu’ils vouent à la force saisie comme moyen approprié et quasi exclusif de « la bonne » gestion des affaires publiques. Cette vision unilatérale se fait évidemment au détriment du droit et de la réflexion politique qui se trouvent être au cœur des préoccupations essentielles des Etats modernes . Prisonniers d’une conception qui accorde la part belle à l’autoritarisme qui fait l’économie systématique de la réflexion et de l’intelligence politique, ces hommes du pouvoir n’ont retenu de la science juridique, et donc du droit saisi dans ses divers contenus, que sa dimension pénale. De là s’explique le dévoiement de notre droit réduit à son seul contenu répressif ou presque. Le langage tout comme les actes politiques de nos dirigeants s’en ressentent de manière profonde. Le travail à la chaîne que mènent au quotidien nos cours pénales en est le témoignage éclatant de la criminalisation des actes et des revendications, violents ou pacifiques, des citoyens lésés ou privés de repères sociaux, culturels ou politiques.
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