Il vit et évolue dans l’ombre. C’est peut-être sa nature. Mais, en Algérie, pays entièrement verrouillé depuis plus de dix ans, il fait la pluie et le beau temps.
Le Département de renseignement et de sécurité (DRS), ex-sécurité militaire, est cité souvent par l’opposition comme «la principale source» du pouvoir dans le pays. Pour ne pas dire le pouvoir lui-même. Le général major Mohamed Mediène dit Toufik, premier responsable du DRS, est réputé homme puissant aux prérogatives larges. Il fait les évènements, semble-t-il. Même plus. L’homme n’apparaît jamais en public. Ni la Constitution ni «l’ouverture démocratique» d’après 1989, ni, probablement, le règlement militaire ne s’y opposent. Car le DRS dépend organiquement de l’armée et, accessoirement, de la Présidence de la République. Le nom du général Toufik est cité par tout le monde, y compris dans les salons. Et grand monde ne connaît pas son image, ni peut-être sa voix. Un homme secret. Autant que son adjoint, le général Smaïn Lamari. Rares sont les éléments biographiques publics sur ces deux généraux. Après l’indépendance, le général Toufik a fait partie de la promotion dite de «tapis rouge», celle des militaires ayant fait des études au KGB, les services secrets soviétiques. L’URSS a été «la bonne école» pour plusieurs militaires algériens. Ancien directeur de la sécurité de l’armée, devenue DCSA, il prend la tête du DRS en 1990 après la dissolution de la Délégation générale de prévention et de sécurité (DGPS). Après douze ans de tourmente, il y est toujours. Smaïn Lamari dirige, lui, la Direction du contre-espionnage (DCE) qui relève du DRS. Tout aussi discret, le général a un poids certain au niveau de plusieurs appareils et structures. Les deux généraux, compte tenu du climat opaque qui entoure le DRS, sont «chargés» de mythes, vrais ou faux. Les deux hauts gradés en profitent. Eux, ils ne s’adressent jamais aux citoyens. Lorsque le DRS est «attaqué», les autres prennent le relais. Qui ? Des hommes et des femmes politiques, des rédacteurs de presse, des syndicalistes, des leaders de partis.
Le DRS — c’est la règle — n’a pas de voix. Mais ses éléments, actifs ou dormants, sont partout. Ou en donnent l’impression. Le DRS a ses règles, ses ressorts et ses «instruments» : l’action psychologique, le noyautage, la manipulation, l’information et la contre-information, le retournement d’opinions, les écoutes téléphoniques. C’est classique, diront les observateurs, au fait du «fonctionnement» conventionnel des services secrets. Mais le DRS, dans un pays qui ne sort pas de la pensée unique et de la domination des militaires dans la décision politique, joue un rôle central dans la vie nationale sans qu’il soit soumis au contrôle du Parlement et de la justice. La lutte contre le terrorisme et l’absence de libertés démocratiques dans le pays ont «accentué» quelque peu ce rôle. Le contrôle des partis, du mouvement associatif, des médias, des syndicats, des universités et du Parlement est devenu systématique. Rares sont les voix qui contestent cette situation. Une partie de l’opposition a évoqué «l’action» de la police politique. Cela n’a pas fait scandale. Aussi les choses se sont-elles presque «normalisées». Au point de faire dire à un historien que le DRS est «le seul véritable parti politique» en Algérie. Le retrait annoncé de l’ANP de la vie politique, «le retour» aux missions constitutionnelles, la professionnalisation des forces armées vont-ils imposer une reconfiguration du rôle du DRS ? Vont-ils faciliter une transparence dans le fonctionnement et l’évolution de ce département ? Rien n’est encore sûr. Car tout le monde, classe politique comprise, semble installé dans le confort du statu quo. Et du blocage.
El Watan (2003)
Le Département de renseignement et de sécurité (DRS), ex-sécurité militaire, est cité souvent par l’opposition comme «la principale source» du pouvoir dans le pays. Pour ne pas dire le pouvoir lui-même. Le général major Mohamed Mediène dit Toufik, premier responsable du DRS, est réputé homme puissant aux prérogatives larges. Il fait les évènements, semble-t-il. Même plus. L’homme n’apparaît jamais en public. Ni la Constitution ni «l’ouverture démocratique» d’après 1989, ni, probablement, le règlement militaire ne s’y opposent. Car le DRS dépend organiquement de l’armée et, accessoirement, de la Présidence de la République. Le nom du général Toufik est cité par tout le monde, y compris dans les salons. Et grand monde ne connaît pas son image, ni peut-être sa voix. Un homme secret. Autant que son adjoint, le général Smaïn Lamari. Rares sont les éléments biographiques publics sur ces deux généraux. Après l’indépendance, le général Toufik a fait partie de la promotion dite de «tapis rouge», celle des militaires ayant fait des études au KGB, les services secrets soviétiques. L’URSS a été «la bonne école» pour plusieurs militaires algériens. Ancien directeur de la sécurité de l’armée, devenue DCSA, il prend la tête du DRS en 1990 après la dissolution de la Délégation générale de prévention et de sécurité (DGPS). Après douze ans de tourmente, il y est toujours. Smaïn Lamari dirige, lui, la Direction du contre-espionnage (DCE) qui relève du DRS. Tout aussi discret, le général a un poids certain au niveau de plusieurs appareils et structures. Les deux généraux, compte tenu du climat opaque qui entoure le DRS, sont «chargés» de mythes, vrais ou faux. Les deux hauts gradés en profitent. Eux, ils ne s’adressent jamais aux citoyens. Lorsque le DRS est «attaqué», les autres prennent le relais. Qui ? Des hommes et des femmes politiques, des rédacteurs de presse, des syndicalistes, des leaders de partis.
Le DRS — c’est la règle — n’a pas de voix. Mais ses éléments, actifs ou dormants, sont partout. Ou en donnent l’impression. Le DRS a ses règles, ses ressorts et ses «instruments» : l’action psychologique, le noyautage, la manipulation, l’information et la contre-information, le retournement d’opinions, les écoutes téléphoniques. C’est classique, diront les observateurs, au fait du «fonctionnement» conventionnel des services secrets. Mais le DRS, dans un pays qui ne sort pas de la pensée unique et de la domination des militaires dans la décision politique, joue un rôle central dans la vie nationale sans qu’il soit soumis au contrôle du Parlement et de la justice. La lutte contre le terrorisme et l’absence de libertés démocratiques dans le pays ont «accentué» quelque peu ce rôle. Le contrôle des partis, du mouvement associatif, des médias, des syndicats, des universités et du Parlement est devenu systématique. Rares sont les voix qui contestent cette situation. Une partie de l’opposition a évoqué «l’action» de la police politique. Cela n’a pas fait scandale. Aussi les choses se sont-elles presque «normalisées». Au point de faire dire à un historien que le DRS est «le seul véritable parti politique» en Algérie. Le retrait annoncé de l’ANP de la vie politique, «le retour» aux missions constitutionnelles, la professionnalisation des forces armées vont-ils imposer une reconfiguration du rôle du DRS ? Vont-ils faciliter une transparence dans le fonctionnement et l’évolution de ce département ? Rien n’est encore sûr. Car tout le monde, classe politique comprise, semble installé dans le confort du statu quo. Et du blocage.
El Watan (2003)
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