Le gouvernement français aura soutenu jusqu’au bout le régime de Ben Ali contrairement aux américains qui ont pris leur distance à temps. En appuyant la « transition Ghannouchi », invalidée par le Conseil Constitutionnel, la France officielle montre qu’elle est plus proche d’un sérail déboussolé que des réalités politiques tunisiennes.
Le jeu de la France au Maghreb et sa perte d’influence peuvent se mesurer aux réactions à retardement devant l’évolution rapide de la situation en Tunisie. Depuis le début des troubles le 17 décembre à Sidi-Bouzid, tout le monde avait compris que le silence de Paris valait approbation au régime de Benali. Ce soutien muet a été confirmé par la sortie surréaliste de la ministre des affaires étrangères françaises, Michèle Alliot-Marie, qui avait proposé – le 12 janvier ! - l’assistance technique de la police française aux polices tunisienne et algérienne. Les éditorialistes de la presse française se sont perdus en conjectures sur les raisons profondes d’une sortie d’une maladresse rarement observée à ce niveau de responsabilités. La gêne des dirigeants français pour qui Benali a été un allié fidèle ne suffit pas à expliquer l’attitude de Paris, systématiquement déphasé. Il semble clair que les diplomates français n’ont pas su évaluer l’ampleur de la révolte tunisienne. Ils ont été, comme Ben Ali, dépassés par un mouvement populaire dont l’évolution actuelle s’apparente à une déclinaison des révolutions « orange » ou « verte » promues par les Etats-Unis en vue de faire basculer des régimes autoritaires vers des formes de démocraties plus conformes aux standards occidentaux. A l’image de ce qui s’est passé dans certains pays de l’Est européen, le rôle des réseaux sociaux du net, l’attitude de l’armée tunisienne et le discours diplomatique américain – sont des éléments structurants de la chute de la maison Ben Ali.
L’armée n’a pas réprimé
Le suicide de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, a été le détonateur d’une explosion ininterrompue de mécontentement généralisé. La répression exclusivement policière, sans que des mesures d’exception ne soient prises, d’une révolte à caractère insurrectionnel a été l’indicateur du refus de l’armée tunisienne de protéger Ben Ali. Plus significativement, l’armée après avoir été appelée à quadriller le centre de la capitale mercredi soir a ostensiblement retiré ses blindés des rues de Tunis dès jeudi matin, les officiers et soldats n’hésitant pas à manifester leur sympathie aux manifestants. Depuis la fuite de Benali et l’instauration de l’état d’urgence et d’un couvre-feu très strict, les militaires se sont redéployés en force dans la capitale et des hélicoptères survolent la ville. L’armée nationale tunisienne a laissé tomber Ben Ali et elle soutient activement le processus en cours. Certains analystes estiment que l’Elysée et le Quai d’Orsay ont été court-circuités dans la gestion de la crise par les américains dont l’influence au sommet de l’armée tunisienne est très perceptible. Les officiels français n’envisageaient pas l’hypothèse de l’effondrement du régime alors que le département d’Etat a immédiatement et très clairement pris ses distances avec Benali dès les premières manifestations, allant jusqu’à convoquer l’ambassadeur de Tunis à Washington. Le ton de l’administration américaine s’est durci au fil de la révolte du peuple tunisien. Le Département d’Etat ayant publié le 11 janvier un communiqué s’inquiétant de « l’usage excessif de la force » par les forces de l’ordre. Le premier ministre français a du cependant emboiter le pas aux américains pour déplorer l’usage disproportionnée de la force. Une réaction aussi tardive que gênée aux entournures.
Soutien de l’Elysée à la tentative Ghannouchi
Dans une interview à la chaîne al-Arabiya mardi dernier, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, qui a souligné que les peuples arabes souffraient d’être dirigés par des leaders corrompus, a appelé le gouvernement tunisien à œuvrer à une « solution pacifique » pour mettre un terme aux troubles qui secouent le pays. La différence avec la position de Paris a été très nettement perçue par les opinions publiques maghrébines. On présume que compte-tenu des intérêts et des liens, visibles et plus opaques, entre les élites civiles et militaires des deux pays, les autorités françaises ont du, au moins, être consultées sur l’habillage constitutionnel de la succession du président déchu. Le communiqué officiel français a été l’expression d’un soutien fort à la procédure juridique - contestable - utilisée pour installer le premier ministre aux commandes du pays. En approuvant la constitutionnalité de la « transition », le communiqué de l'Elysée traduit clairement un soutien au choix du premier ministre en tant que président intérimaire. Mohamed Ghannouchi, un collaborateur zélé du ci-devant chef de l’Etat est présenté par des officiels français, à l’image du président de la commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale, le très droitier Axel Poniatowski, comme un homme « intègre et compétent ». Mais la « transition Ghannouchi » vient d’être remise en cause par le Conseil Constitutionnel tunisien mettant encore une fois la présidence française en décalage avec le cours des événements.
A contretemps
Les réactions à contretemps et les commentaires qui relèvent plus du registre de la navigation à vue que de stratégie politique (à défaut d’une vision diplomatique) montrent que la France officielle n’a plus de discours en direction des populations de la région. Le contraste, encore une fois, entre les contorsions sur l’accueil ou non de Ben Ali sur le territoire français et le communiqué de la Maison Blanche saluant le peuple tunisien en est la parfaite illustration. Mais c’est aussi auprès des « décideurs » maghrébins que les sinuosités françaises semblent poser problème. Le refus de recevoir Ben Ali, repoussé sans égards après avoir été longtemps été célébré par les plus hautes autorités françaises, montre aux dictateurs qui se targuent de cette légitimation « démocratique » extérieure, que « l’amitié » de la France officielle est sans valeur par gros temps. Les commentaires désabusés de certains dignitaires maghrébins en disent long : les cadeaux somptueux et les réceptions fastueuses de leaders politiques français ne garantissent pas le renvoi d’ascenseur… Tout au long de la crise tunisienne et jusqu’au départ de Ben Ali, l’exécutif français a envoyé des signaux qui montrent l’affaiblissent de son influence régionale et ternissent la réputation du pays des « droits de l’homme ». Le sentiment de honte exprimé par certains journalistes français n’est pas fortuit.
Said Mekki - Maghrebemergent
Le jeu de la France au Maghreb et sa perte d’influence peuvent se mesurer aux réactions à retardement devant l’évolution rapide de la situation en Tunisie. Depuis le début des troubles le 17 décembre à Sidi-Bouzid, tout le monde avait compris que le silence de Paris valait approbation au régime de Benali. Ce soutien muet a été confirmé par la sortie surréaliste de la ministre des affaires étrangères françaises, Michèle Alliot-Marie, qui avait proposé – le 12 janvier ! - l’assistance technique de la police française aux polices tunisienne et algérienne. Les éditorialistes de la presse française se sont perdus en conjectures sur les raisons profondes d’une sortie d’une maladresse rarement observée à ce niveau de responsabilités. La gêne des dirigeants français pour qui Benali a été un allié fidèle ne suffit pas à expliquer l’attitude de Paris, systématiquement déphasé. Il semble clair que les diplomates français n’ont pas su évaluer l’ampleur de la révolte tunisienne. Ils ont été, comme Ben Ali, dépassés par un mouvement populaire dont l’évolution actuelle s’apparente à une déclinaison des révolutions « orange » ou « verte » promues par les Etats-Unis en vue de faire basculer des régimes autoritaires vers des formes de démocraties plus conformes aux standards occidentaux. A l’image de ce qui s’est passé dans certains pays de l’Est européen, le rôle des réseaux sociaux du net, l’attitude de l’armée tunisienne et le discours diplomatique américain – sont des éléments structurants de la chute de la maison Ben Ali.
L’armée n’a pas réprimé
Le suicide de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, a été le détonateur d’une explosion ininterrompue de mécontentement généralisé. La répression exclusivement policière, sans que des mesures d’exception ne soient prises, d’une révolte à caractère insurrectionnel a été l’indicateur du refus de l’armée tunisienne de protéger Ben Ali. Plus significativement, l’armée après avoir été appelée à quadriller le centre de la capitale mercredi soir a ostensiblement retiré ses blindés des rues de Tunis dès jeudi matin, les officiers et soldats n’hésitant pas à manifester leur sympathie aux manifestants. Depuis la fuite de Benali et l’instauration de l’état d’urgence et d’un couvre-feu très strict, les militaires se sont redéployés en force dans la capitale et des hélicoptères survolent la ville. L’armée nationale tunisienne a laissé tomber Ben Ali et elle soutient activement le processus en cours. Certains analystes estiment que l’Elysée et le Quai d’Orsay ont été court-circuités dans la gestion de la crise par les américains dont l’influence au sommet de l’armée tunisienne est très perceptible. Les officiels français n’envisageaient pas l’hypothèse de l’effondrement du régime alors que le département d’Etat a immédiatement et très clairement pris ses distances avec Benali dès les premières manifestations, allant jusqu’à convoquer l’ambassadeur de Tunis à Washington. Le ton de l’administration américaine s’est durci au fil de la révolte du peuple tunisien. Le Département d’Etat ayant publié le 11 janvier un communiqué s’inquiétant de « l’usage excessif de la force » par les forces de l’ordre. Le premier ministre français a du cependant emboiter le pas aux américains pour déplorer l’usage disproportionnée de la force. Une réaction aussi tardive que gênée aux entournures.
Soutien de l’Elysée à la tentative Ghannouchi
Dans une interview à la chaîne al-Arabiya mardi dernier, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, qui a souligné que les peuples arabes souffraient d’être dirigés par des leaders corrompus, a appelé le gouvernement tunisien à œuvrer à une « solution pacifique » pour mettre un terme aux troubles qui secouent le pays. La différence avec la position de Paris a été très nettement perçue par les opinions publiques maghrébines. On présume que compte-tenu des intérêts et des liens, visibles et plus opaques, entre les élites civiles et militaires des deux pays, les autorités françaises ont du, au moins, être consultées sur l’habillage constitutionnel de la succession du président déchu. Le communiqué officiel français a été l’expression d’un soutien fort à la procédure juridique - contestable - utilisée pour installer le premier ministre aux commandes du pays. En approuvant la constitutionnalité de la « transition », le communiqué de l'Elysée traduit clairement un soutien au choix du premier ministre en tant que président intérimaire. Mohamed Ghannouchi, un collaborateur zélé du ci-devant chef de l’Etat est présenté par des officiels français, à l’image du président de la commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale, le très droitier Axel Poniatowski, comme un homme « intègre et compétent ». Mais la « transition Ghannouchi » vient d’être remise en cause par le Conseil Constitutionnel tunisien mettant encore une fois la présidence française en décalage avec le cours des événements.
A contretemps
Les réactions à contretemps et les commentaires qui relèvent plus du registre de la navigation à vue que de stratégie politique (à défaut d’une vision diplomatique) montrent que la France officielle n’a plus de discours en direction des populations de la région. Le contraste, encore une fois, entre les contorsions sur l’accueil ou non de Ben Ali sur le territoire français et le communiqué de la Maison Blanche saluant le peuple tunisien en est la parfaite illustration. Mais c’est aussi auprès des « décideurs » maghrébins que les sinuosités françaises semblent poser problème. Le refus de recevoir Ben Ali, repoussé sans égards après avoir été longtemps été célébré par les plus hautes autorités françaises, montre aux dictateurs qui se targuent de cette légitimation « démocratique » extérieure, que « l’amitié » de la France officielle est sans valeur par gros temps. Les commentaires désabusés de certains dignitaires maghrébins en disent long : les cadeaux somptueux et les réceptions fastueuses de leaders politiques français ne garantissent pas le renvoi d’ascenseur… Tout au long de la crise tunisienne et jusqu’au départ de Ben Ali, l’exécutif français a envoyé des signaux qui montrent l’affaiblissent de son influence régionale et ternissent la réputation du pays des « droits de l’homme ». Le sentiment de honte exprimé par certains journalistes français n’est pas fortuit.
Said Mekki - Maghrebemergent
Commentaire