Rapport. La Banque mondiale et nous
Rabat, le 10 avril 2006, la BM
accorde au Maroc un prêt de
98,6 millions d’euros. (AFP)
L'institution de Bretton Woods vient de publier un mémorandum où elle redemande au Maroc de se pencher sérieusement sur ses problèmes de croissance avant que pauvreté et chômage n'entraînent des tensions sociales. Il y a péril en la demeure, mais qui s'en préoccupe ?
Depuis l'époque où le Maroc était au bord de “la crise cardiaque”, l'interventionnisme de la Banque Mondiale (BM) a changé de visage. Il est moins ostentatoire certes, mais il est toujours là. Le gouvernement a ainsi tenu compte “des conseils” de son premier bailleur de fonds
lorsqu'il a fallu réformer le système financier, dégraisser l'administration, maîtriser le déficit budgétaire… Au niveau de la réforme macro-économique, la BM a joué un rôle déterminant. Mais le bilan est moins reluisant du côté de l'incitation à l'investissement et à la création d'emplois. Un nouveau mémorandum économique, publié le 14 avril, revient sur la légendaire problématique de la croissance en détaillant “les réels handicaps” et les solutions pour les dépasser. Rigidité de l'emploi, fiscalité excessive, taux de change… Rien de vraiment nouveau, a priori, puisque ces questions sont au cœur du discours de cette institution depuis pas mal d'années.
Les raisons d'un discours conciliateur
Pourtant, “la Banque mondiale a appliqué des méthodes de diagnostic innovantes sur un ensemble de 12 pays dont le Maroc”, se vante José Lopez Calix, économiste de la BM. Le résultat a été un rapport d'une centaine de pages où cet établissement financier n'hésite pas à relever les dégâts engendrés par certaines clauses du Code du travail sur le marché de l'emploi (comme l'augmentation des indemnités de licenciement), mais se retient de demander clairement une révision de ce texte. Il en est de même pour le manque de personnel qualifié. A ce niveau, la BM cite les insuffisances de formation mais évite de se mouiller en pointant la responsabilité des instruments de l'Etat dédiés à la formation professionnelle.
Pourquoi ce discours conciliateur ? “Ne dramatisons pas”, rétorque Farid Belhaj, chef du bureau de la Banque à Rabat. “Notre rôle est d'accompagner le gouvernement et non d'imposer quoi que ce soit”. Dans cette conception très diplomatique, le gouvernement “a la liberté d'accepter le plan proposé ou de le rejeter”. Généralement, il en tient compte mais dans le cadre de sa propre politique et en fonction du moment. Elle est loin cette période où les institutions de Bretton Woods ne se gênaient pas pour dicter la conduite d'un Maroc en ajustement structurel. “Ce n'est pas la banque qui est intervenue. C'est la situation qui l'exigeait”, rectifie l'économiste et acteur des droits de l'homme Fouad Abdelmoumni. “Les élites marocaines font preuve d'hypocrisie en fustigeant les directives de la Banque. Ils feignent d'oublier que cela a été demandé par Hassan II en personne”, dit-il.
La Banque mondiale, complaisante ?
Depuis que Paul Wolfowitz, ex-numéro deux du Pentagone et architecte de l'intervention américaine en Irak, a pris les commandes de cette institution, le changement de ton est perceptible sur certains sujets. “Sans une croissance annuelle de 6%, la pauvreté ne pourra pas reculer et les tensions sociales ne cesseront de croître”, lit-on dans le mémorandum. Le message est fort mais il est devenu tellement banalisé que beaucoup commencent à remettre en question son efficacité. “La présence de la BM est caduque”, tranche Hammad Kessal de la fédération des PME. La Banque avait une autorité quand l'Etat était le principal investisseur et employeur dans le passé, maintenant, la donne a changé. C'est le secteur privé qui mène la danse. Et ce secteur a besoin d'actions et non “d'un discours de complaisance envers l'Etat”, dixit Kessal.
“Cette complaisance” pousse certains milieux d'affaires à se demander pourquoi la Banque n'aborde pas des questions sensibles comme les délais de paiement de l'Etat, les monopoles de fait dans les banques et les assurances, le mystérieux Conseil de la concurrence qui n'a jamais vu le jour… Des sujets sectoriels diriez-vous ? Mais même au niveau de la croissance, thème macro-économique auquel des rapports volumineux ont été consacrés, l'empreinte de la Banque n'est pas marquante. Avant ce mémorandum, elle avait tiré l'alarme dans sa stratégie pour 2005/2009 : “Si la croissance économique ne s'accélère pas et que de nouveaux emplois ne sont pas créés au cours de la prochaine décennie, la pauvreté et l'exclusion se propageront vraisemblablement à des niveaux qui pourraient générer des tensions sociales difficiles à gérer”.
Question légitime : s'il y a un réel danger, pourquoi le Maroc ne réagit-il pas ? Est-ce par manque de moyens ou parce que les solutions proposées ne sont pas les bonnes ? Ni l'une, ni l'autre. La Banque mondiale estime que “ce genre de projets ne se fait pas dans la précipitation”. Pour désamorcer la bombe sociale, “il faut s'attaquer à deux axes”, dit-elle: diversifier l'économie et s'ouvrir à l'extérieur. Cette politique d'ouverture doit être accompagnée par trois actions: un allégement de la pression fiscale, une révision du taux de change et une flexibilité du marché du travail.
Rabat, le 10 avril 2006, la BM
accorde au Maroc un prêt de
98,6 millions d’euros. (AFP)
L'institution de Bretton Woods vient de publier un mémorandum où elle redemande au Maroc de se pencher sérieusement sur ses problèmes de croissance avant que pauvreté et chômage n'entraînent des tensions sociales. Il y a péril en la demeure, mais qui s'en préoccupe ?
Depuis l'époque où le Maroc était au bord de “la crise cardiaque”, l'interventionnisme de la Banque Mondiale (BM) a changé de visage. Il est moins ostentatoire certes, mais il est toujours là. Le gouvernement a ainsi tenu compte “des conseils” de son premier bailleur de fonds
lorsqu'il a fallu réformer le système financier, dégraisser l'administration, maîtriser le déficit budgétaire… Au niveau de la réforme macro-économique, la BM a joué un rôle déterminant. Mais le bilan est moins reluisant du côté de l'incitation à l'investissement et à la création d'emplois. Un nouveau mémorandum économique, publié le 14 avril, revient sur la légendaire problématique de la croissance en détaillant “les réels handicaps” et les solutions pour les dépasser. Rigidité de l'emploi, fiscalité excessive, taux de change… Rien de vraiment nouveau, a priori, puisque ces questions sont au cœur du discours de cette institution depuis pas mal d'années.
Les raisons d'un discours conciliateur
Pourtant, “la Banque mondiale a appliqué des méthodes de diagnostic innovantes sur un ensemble de 12 pays dont le Maroc”, se vante José Lopez Calix, économiste de la BM. Le résultat a été un rapport d'une centaine de pages où cet établissement financier n'hésite pas à relever les dégâts engendrés par certaines clauses du Code du travail sur le marché de l'emploi (comme l'augmentation des indemnités de licenciement), mais se retient de demander clairement une révision de ce texte. Il en est de même pour le manque de personnel qualifié. A ce niveau, la BM cite les insuffisances de formation mais évite de se mouiller en pointant la responsabilité des instruments de l'Etat dédiés à la formation professionnelle.
Pourquoi ce discours conciliateur ? “Ne dramatisons pas”, rétorque Farid Belhaj, chef du bureau de la Banque à Rabat. “Notre rôle est d'accompagner le gouvernement et non d'imposer quoi que ce soit”. Dans cette conception très diplomatique, le gouvernement “a la liberté d'accepter le plan proposé ou de le rejeter”. Généralement, il en tient compte mais dans le cadre de sa propre politique et en fonction du moment. Elle est loin cette période où les institutions de Bretton Woods ne se gênaient pas pour dicter la conduite d'un Maroc en ajustement structurel. “Ce n'est pas la banque qui est intervenue. C'est la situation qui l'exigeait”, rectifie l'économiste et acteur des droits de l'homme Fouad Abdelmoumni. “Les élites marocaines font preuve d'hypocrisie en fustigeant les directives de la Banque. Ils feignent d'oublier que cela a été demandé par Hassan II en personne”, dit-il.
La Banque mondiale, complaisante ?
Depuis que Paul Wolfowitz, ex-numéro deux du Pentagone et architecte de l'intervention américaine en Irak, a pris les commandes de cette institution, le changement de ton est perceptible sur certains sujets. “Sans une croissance annuelle de 6%, la pauvreté ne pourra pas reculer et les tensions sociales ne cesseront de croître”, lit-on dans le mémorandum. Le message est fort mais il est devenu tellement banalisé que beaucoup commencent à remettre en question son efficacité. “La présence de la BM est caduque”, tranche Hammad Kessal de la fédération des PME. La Banque avait une autorité quand l'Etat était le principal investisseur et employeur dans le passé, maintenant, la donne a changé. C'est le secteur privé qui mène la danse. Et ce secteur a besoin d'actions et non “d'un discours de complaisance envers l'Etat”, dixit Kessal.
“Cette complaisance” pousse certains milieux d'affaires à se demander pourquoi la Banque n'aborde pas des questions sensibles comme les délais de paiement de l'Etat, les monopoles de fait dans les banques et les assurances, le mystérieux Conseil de la concurrence qui n'a jamais vu le jour… Des sujets sectoriels diriez-vous ? Mais même au niveau de la croissance, thème macro-économique auquel des rapports volumineux ont été consacrés, l'empreinte de la Banque n'est pas marquante. Avant ce mémorandum, elle avait tiré l'alarme dans sa stratégie pour 2005/2009 : “Si la croissance économique ne s'accélère pas et que de nouveaux emplois ne sont pas créés au cours de la prochaine décennie, la pauvreté et l'exclusion se propageront vraisemblablement à des niveaux qui pourraient générer des tensions sociales difficiles à gérer”.
Question légitime : s'il y a un réel danger, pourquoi le Maroc ne réagit-il pas ? Est-ce par manque de moyens ou parce que les solutions proposées ne sont pas les bonnes ? Ni l'une, ni l'autre. La Banque mondiale estime que “ce genre de projets ne se fait pas dans la précipitation”. Pour désamorcer la bombe sociale, “il faut s'attaquer à deux axes”, dit-elle: diversifier l'économie et s'ouvrir à l'extérieur. Cette politique d'ouverture doit être accompagnée par trois actions: un allégement de la pression fiscale, une révision du taux de change et une flexibilité du marché du travail.
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