Comment freiner la hausse des matières premières?
Pays importateur de céréales, la Tunisie était déjà signalée comme un des pays les plus sensibles à la hausse des prix en 2008.
Les cours du blé, du coton ou du sucre flirtent avec leurs plus hauts, attisant les tensions sociales dans les pays les plus sensibles. La stabilisation des prix des denrées alimentaires a d’ailleurs été pointée comme une des priorités de la présidence française du G20.
Anne Gaudard - le 22 janvier 2011, 21h53
Le Matin Dimanche
0 commentaires
Une menace à la stabilité sociale et à la croissance mondiale. Telle est à nouveau perçue la hausse des prix des matières premières, notamment agricoles. Surtout après la Révolution de jasmin en Tunisie durant laquelle la forte progression des prix du pain, du sucre et autres denrées alimentaires a été désignée comme un des facteurs de l’explosion sociopolitique. Des manifestations contre la vie chère ont régulièrement lieu ailleurs, notamment au Maghreb ou au Moyen-Orient, alors que les émeutes de la faim de 2008 hantent encore les esprits. Le sujet est d’ailleurs annoncé comme une des priorités de la présidence française du G20. Nicolas Sarkozy présentera demain des pistes de travail pour tenter de limiter la volatilité des prix.
1. RÉGULATION DES MARCHÉS
Comme lors de la précédente flambée, la spéculation est montrée du doigt. Des discours de 2008, rien de vraiment concret n’a pourtant émergé. Il est vrai que la crise financière a accaparé les esprits et les porte-monnaie, mais aussi que les récoltes suivantes se sont avérées bonnes. A l’exception notable de celles en cours. «Il ne s’agit pas d’éliminer le marché ou de le réguler pour empêcher toute transaction, mais de le discipliner pour éviter un excès de volatilité», précise Abdolreza Abbassian, économiste à la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Une organisation notamment mandatée par le G20 pour réfléchir à la question et qui explique une partie de la volatilité actuelle des prix par la présence de nouvelles masses financières sur un marché «complexe, encore très traditionnel». Et sur lequel désormais «les petits n’arrivent plus à intervenir». «Ces attaques contre la spéculation ne tiennent pas la route», rétorque Philippe Chalmin, professeur d’économie à Paris Dauphine et spécialiste des matières premières, qui a publié, outre son rapport annuel CyClOpe, «Le Monde a faim» (Bourin Editeur, 2009).
A ses yeux, oui, «la situation est grave», mais «les variations des prix sont le résultat du déséquilibre entre offre et demande, des fondamentaux du marché». Et de citer les effets de chocs climatiques sur les principaux producteurs mondiaux, à commencer par la sécheresse en Russie et en Ukraine l’été dernier ou les inondations en Australie cet hiver. «Nous risquons de vivre encore des semaines tendues jusqu’à la récolte de l’hémisphère Nord.» Et après? Selon le Conseil international des céréales, la production mondiale de blé, par exemple, devrait revenir à la normale lors de la récolte 2011-2012 avec 670 millions de tonnes, soit davantage que cette année (647 millions) mais moins qu’en 2008-2009 (686 millions). «Ne nous leurrons pas. A court terme, il n’y a pas grand-chose à faire. Et, attention à ne pas nous tromper de cible», poursuit Philippe Chalmin, qui convient que l’on peut rendre les marchés plus transparents.
Que l’Europe pourrait se doter d’une instance de surveillance ressemblant à la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) américaine, qui planche actuellement sur une nouvelle réglementation pour les marchés des matières premières. En cherchant notamment à limiter le volume des positions détenues par certains opérateurs. Mais, insiste le spécialiste, «ne supprimons pas les échanges». Car «cela ne résoudra pas les fluctuations dues aux aléas climatiques – qui pouvait prévoir la sécheresse en Russie – et un manque de liquidités empêchera les professionnels et autres acteurs de se protéger des fluctuations avec des produits dérivés». Le marché étant un élément important de gestion traditionnelle des risques. En fait, les marchés physiques et financiers sont désormais liés et demandent des outils de gestion semblables. Notamment en termes de reporting, insiste Abdolreza Abbassian.
2. GESTION DES STOCKS
Une des autres voies explorées pour tenter de maîtriser la volatilité des prix se nomme gestion active des stocks. En tant que telle, la notion de stocks d’urgence ne choque personne. Elle est même citée comme solution par Philippe Chalmin, qui voit des réserves être mises à disposition en cas de crise par les grands producteurs, à commencer par les Etats-Unis et l’Europe. Mais le terme de stocks «tampons» dont une bonne gestion devrait lisser l’évolution des prix «est plus controversé», convient Abdolreza Abbassian. «Ils ont été testés dans les années 70 ou 90, n’ont pas fonctionné et sans nouvelles idées, je ne vois pas comment ils pourraient à nouveau s’imposer.» Une solution «pas encore définitivement écartée», qui «demande une analyse approfondie de ses coûts», poursuit l’économiste de la FAO. Des idées nouvelles, Philippe Chalmin doute fort qu’elles puissent provenir de l’organisation. Qui est «plus un frein qu’une solution» à la situation actuelle.
3. INTERVENTION GOUVERNEMENTALE
Pour tenter d’éviter des tensions sociales, plusieurs Etats ont d’ores et déjà agi. Le Mexique s’est protégé en se couvrant avec des contrats à terme. Une technique classique utilisée par les entreprises et autres producteurs, mais rarement par un pays. Le gouvernement a ainsi annoncé qu’il avait assuré ses besoins à un prix établi jusqu’en automne afin d’éviter un bond des prix du maïs. Pour limiter les effets de la hausse des produits de première nécessité, les pays – notamment en développement où la nourriture représente entre 60% et 80% des dépenses des ménages – ont d’habitude recours à des méthodes plus conventionnelles: comme les subventions – la Mauritanie a abaissé de 30% les prix du sucre, du blé, de l’huile ou du riz dans 600 boutiques témoins réparties dans le pays – ou les limitations des exportations – ainsi en ont décidé l’Ukraine et la Russie après la sécheresse de l’été dernier. La plupart des pays du Maghreb ont, eux, massivement acheté des céréales et autres denrées alimentaires (blé, maïs, oléagineux, orge) ces derniers jours pour constituer des stocks. Des achats, effectués notamment en France, ce qui soutient les prix en Europe.
4. POLITIQUE AGRICOLE
En fait, souligne Philippe Chalmin, la vraie question est: «Comment ne pas se retrouver dans une pareille situation?» En d’autres termes, «Comment réinsérer les politiques agricoles au cœur des stratégies de développement et comment les financer?» Car «toute politique agricole est chère et difficile à mettre en place», conclut-il en craignant l’annonce de mesures spectaculaires qui «ne changent pas la face du monde».
Pays importateur de céréales, la Tunisie était déjà signalée comme un des pays les plus sensibles à la hausse des prix en 2008.
Les cours du blé, du coton ou du sucre flirtent avec leurs plus hauts, attisant les tensions sociales dans les pays les plus sensibles. La stabilisation des prix des denrées alimentaires a d’ailleurs été pointée comme une des priorités de la présidence française du G20.
Anne Gaudard - le 22 janvier 2011, 21h53
Le Matin Dimanche
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Une menace à la stabilité sociale et à la croissance mondiale. Telle est à nouveau perçue la hausse des prix des matières premières, notamment agricoles. Surtout après la Révolution de jasmin en Tunisie durant laquelle la forte progression des prix du pain, du sucre et autres denrées alimentaires a été désignée comme un des facteurs de l’explosion sociopolitique. Des manifestations contre la vie chère ont régulièrement lieu ailleurs, notamment au Maghreb ou au Moyen-Orient, alors que les émeutes de la faim de 2008 hantent encore les esprits. Le sujet est d’ailleurs annoncé comme une des priorités de la présidence française du G20. Nicolas Sarkozy présentera demain des pistes de travail pour tenter de limiter la volatilité des prix.
1. RÉGULATION DES MARCHÉS
Comme lors de la précédente flambée, la spéculation est montrée du doigt. Des discours de 2008, rien de vraiment concret n’a pourtant émergé. Il est vrai que la crise financière a accaparé les esprits et les porte-monnaie, mais aussi que les récoltes suivantes se sont avérées bonnes. A l’exception notable de celles en cours. «Il ne s’agit pas d’éliminer le marché ou de le réguler pour empêcher toute transaction, mais de le discipliner pour éviter un excès de volatilité», précise Abdolreza Abbassian, économiste à la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Une organisation notamment mandatée par le G20 pour réfléchir à la question et qui explique une partie de la volatilité actuelle des prix par la présence de nouvelles masses financières sur un marché «complexe, encore très traditionnel». Et sur lequel désormais «les petits n’arrivent plus à intervenir». «Ces attaques contre la spéculation ne tiennent pas la route», rétorque Philippe Chalmin, professeur d’économie à Paris Dauphine et spécialiste des matières premières, qui a publié, outre son rapport annuel CyClOpe, «Le Monde a faim» (Bourin Editeur, 2009).
A ses yeux, oui, «la situation est grave», mais «les variations des prix sont le résultat du déséquilibre entre offre et demande, des fondamentaux du marché». Et de citer les effets de chocs climatiques sur les principaux producteurs mondiaux, à commencer par la sécheresse en Russie et en Ukraine l’été dernier ou les inondations en Australie cet hiver. «Nous risquons de vivre encore des semaines tendues jusqu’à la récolte de l’hémisphère Nord.» Et après? Selon le Conseil international des céréales, la production mondiale de blé, par exemple, devrait revenir à la normale lors de la récolte 2011-2012 avec 670 millions de tonnes, soit davantage que cette année (647 millions) mais moins qu’en 2008-2009 (686 millions). «Ne nous leurrons pas. A court terme, il n’y a pas grand-chose à faire. Et, attention à ne pas nous tromper de cible», poursuit Philippe Chalmin, qui convient que l’on peut rendre les marchés plus transparents.
Que l’Europe pourrait se doter d’une instance de surveillance ressemblant à la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) américaine, qui planche actuellement sur une nouvelle réglementation pour les marchés des matières premières. En cherchant notamment à limiter le volume des positions détenues par certains opérateurs. Mais, insiste le spécialiste, «ne supprimons pas les échanges». Car «cela ne résoudra pas les fluctuations dues aux aléas climatiques – qui pouvait prévoir la sécheresse en Russie – et un manque de liquidités empêchera les professionnels et autres acteurs de se protéger des fluctuations avec des produits dérivés». Le marché étant un élément important de gestion traditionnelle des risques. En fait, les marchés physiques et financiers sont désormais liés et demandent des outils de gestion semblables. Notamment en termes de reporting, insiste Abdolreza Abbassian.
2. GESTION DES STOCKS
Une des autres voies explorées pour tenter de maîtriser la volatilité des prix se nomme gestion active des stocks. En tant que telle, la notion de stocks d’urgence ne choque personne. Elle est même citée comme solution par Philippe Chalmin, qui voit des réserves être mises à disposition en cas de crise par les grands producteurs, à commencer par les Etats-Unis et l’Europe. Mais le terme de stocks «tampons» dont une bonne gestion devrait lisser l’évolution des prix «est plus controversé», convient Abdolreza Abbassian. «Ils ont été testés dans les années 70 ou 90, n’ont pas fonctionné et sans nouvelles idées, je ne vois pas comment ils pourraient à nouveau s’imposer.» Une solution «pas encore définitivement écartée», qui «demande une analyse approfondie de ses coûts», poursuit l’économiste de la FAO. Des idées nouvelles, Philippe Chalmin doute fort qu’elles puissent provenir de l’organisation. Qui est «plus un frein qu’une solution» à la situation actuelle.
3. INTERVENTION GOUVERNEMENTALE
Pour tenter d’éviter des tensions sociales, plusieurs Etats ont d’ores et déjà agi. Le Mexique s’est protégé en se couvrant avec des contrats à terme. Une technique classique utilisée par les entreprises et autres producteurs, mais rarement par un pays. Le gouvernement a ainsi annoncé qu’il avait assuré ses besoins à un prix établi jusqu’en automne afin d’éviter un bond des prix du maïs. Pour limiter les effets de la hausse des produits de première nécessité, les pays – notamment en développement où la nourriture représente entre 60% et 80% des dépenses des ménages – ont d’habitude recours à des méthodes plus conventionnelles: comme les subventions – la Mauritanie a abaissé de 30% les prix du sucre, du blé, de l’huile ou du riz dans 600 boutiques témoins réparties dans le pays – ou les limitations des exportations – ainsi en ont décidé l’Ukraine et la Russie après la sécheresse de l’été dernier. La plupart des pays du Maghreb ont, eux, massivement acheté des céréales et autres denrées alimentaires (blé, maïs, oléagineux, orge) ces derniers jours pour constituer des stocks. Des achats, effectués notamment en France, ce qui soutient les prix en Europe.
4. POLITIQUE AGRICOLE
En fait, souligne Philippe Chalmin, la vraie question est: «Comment ne pas se retrouver dans une pareille situation?» En d’autres termes, «Comment réinsérer les politiques agricoles au cœur des stratégies de développement et comment les financer?» Car «toute politique agricole est chère et difficile à mettre en place», conclut-il en craignant l’annonce de mesures spectaculaires qui «ne changent pas la face du monde».
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