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Sa terre, son pays, sa chaussure .

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  • Sa terre, son pays, sa chaussure .

    Sa terre, son pays, sa chaussure

    Pour l'heure, la solution semble être évidente : acheter le maximum de semoule dans les marchés mondiaux (plan de Constantine alimentaire), annuler les rencontres de football et les rassemblements, stopper les trains, multiplier les barrages, interdire les marches, rendre visite aux immolés, augmenter les policiers en nombre et en salaire et dire «non» avec la tête, les pieds, la main, la matraque, le fax, la TV, le wali et le menton. Jusqu'à quand ? Jusqu'à… La position est bien sûr intenable. Ce n'est pas une position de force mais de faiblesse. On ne peut pas vider le pays des siens. Un jour ou l'autre, on finit par avoir une crampe en gardant trop longtemps le doigt sur la gâchette. Ce qui reste donc incompréhensible, c'est la «réponse» algérienne à la possibilité tunisienne. Il est pourtant évident que même en atteignant un chiffre de policiers plus grand que le chiffre du peuple, en frappant et en refusant de rendre le pays au pays, on finit par perdre et prendre l'avion. Benali a fait mieux (en dictature) et n'a pas évité le pire. Donc la question est : pourquoi le Pouvoir, au lieu de réagir avec maturité, ruse ou intelligence, réagit comme un barrage fixe qui ne veut rien savoir ? Quelle est la logique de son entêtement ? Pourquoi croit-il qu'il n'a pas à réformer, se réformer ou «s'ouvrir» ? Réponse : parce qu'il croit qu'il est dans son droit de propriété. La doctrine du «Pouvoir gardien du peuple», barrage au désordre et garant de la stabilité, lui sert d'habillage moral et idéologique à sa fonction première de Pouvoir qui n'a pas de compte à rendre. La seconde raison est psychologique : les gens qui ont libéré ce pays, ceux qui les servent ou s'en servent ou ceux qui sont dans la même logique, croient, profondément, vraiment, totalement, que le pays est à eux. La nation n'est pas une totalité mais une propriété. Ce qui peut être contesté par le peuple, c'est la cuillère, l'assiette, le repas ou la semoule mais pas l'acte de propriété de la terre.

    Vue à partir de cette position, on comprend finalement l'inanité de demander un dialogue ou une réforme à ce genre de régime : c'est comme demander au propriétaire d'une terre d'accepter la pétition d'un groupe de mauvaises herbes ou de faire une réunion avec un collectif de pioches. Cela est du domaine de l'impensable pour le seigneur féodal. Cela ne se peut. Donc même si, du point de vue logique, on ne peut gouverner un pays en l'immobilisant et espérer l'ordre par le quadrillage policier, le Pouvoir, lui, y croit, ne se sent pas dans l'infraction (je protège ce qui m'appartient) et continuera ainsi même s'il faut détruire le pays : c'est le sien et ceux qui s'y opposent ne veulent «le mieux» mais lui prendre ce qu'il possède. Dans l'ordre de ce sentiment féodal, le peuple n'est là que pour se multiplier, manger et acclamer : il ne peut pas rêver ou penser au droit à la propriété. C'est un peuple de serfs. Du coup, incapable d'envisager une autre raison à la gouvernance que la légitimité de la propriété, il ne peut concevoir l'alternance, la démocratie ou la liberté. Il est dans l'absurde et ses réactions sont absurdes, mais seulement vues de «dehors», hors du cercle blindé de sa conviction. Vous lui demandez la liberté, il regarde un peu s'il y a quelqu'un derrière vous, le serf d'un autre féodal, réfléchit puis vous offre alors la semoule. Vous lui dites que c'est votre pays et que vous voulez y circuler comme bon vous semble, il vous lit une loi qui l'interdit et vous explique que c'est chez lui. Vous lui réclamez de rendre la télévision aux siens, il s'étonne et vous répond que c'est son meuble à lui. Vous persistez, alors il vous frappe, vous prenez les armes, il retourne contre vous les autres serfs apeurés, vous écrivez au monde mais le reste du monde est tout aussi peuplé de seigneurs comme le vôtre. Que faire alors ? Changer la sensation qu'on a de la terre, se creuser la tête et y planter l'idée évidente que ce n'est pas SA TERRE mais la nôtre, vraiment, totalement, absolument et que nous n'en n'avons pas d'autre.

    Alors commence la réappropriation.


    par Kamel Daoud


    Le Quotidien d'Oran

    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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