Belkhadem et le pays au bout de la langue
Question qui taraude le chroniqueur depuis des mois: qu'est-ce qu'un représentant personnel d'un Président de la république ? Pourquoi ce poste existe? C'est quoi cet emploi et combien il est payé? Questions de fond dans un système politique qui adore les doublures. Car, au final des statistiques, «le représentant personnel du Président de la république», alias Belkhadem, se trouve aujourd'hui presque partout, incarnant l'absence du Président lui-même plutôt que son Président. Il peut parler d'environnement, d'émeutes, de politique, de FLN, de l'université, du monde des vétérinaires, etc. De tout, car il représente tout. Ou rien. Une sorte de Mufti politique. D'ailleurs, la bonne question est: pourquoi payer un représentant personnel puisqu'on paye déjà un Président pour être président? Pourquoi Bouteflika a besoin d'un envoyé spécial dans son propre pays? Réponse: l'un des deux est absent. Le pays ou le Président. L'autre question est : que représente Belkhadem vraiment? Pas uniquement Bouteflika même s'il est payé pour ça (des dizaines de millions pour représenter un homme, des dizaines d'autres pour ne rien faire comme vice-Premier ministre). A bien regarder, le représentant personnel est représentant général d'un système : celui qui permet à un homme d'être rien, d'être tout ou d'être rien du tout (une mixture des deux concepts). Dans un système de sélection darwinienne, obéissant à la loi de la nature et de la performance biologique, cet homme aurait disparu depuis longtemps ou serait resté à Tiaret. Il aurait eu aussi l'occasion de disparaître avec ou après le FIS, ou après son mandat de chef de gouvernement ou après avoir prononcé son fameux discours devant un Boumediene sensible aux rimes. Et donc, si cela n'est pas arrivé, c'est parce que Belkhadem représente un système puisqu'il en est le fils, le voisin, le produit et l'avocat. Du coup, il peut continuer à ne rien faire, en faisant tout: être le numéro Un du FLN tout en étant le numéro deux ou être représentant d'un Président qui vit dans le même pays, la même ville et le même quartier que lui. En clair, si cette fonction existe, c'est pour trois raisons:
1° - Le système promet de l'emploi pour jeunes mais crée de l'emploi pour vieux. 2°- le Président et le peuple ne vivent pas dans le même pays puisque le premier a le souci de se faire représenter là où il n'est plus.
3° - On peut vivre avec sa langue et gouverner avec ses pieds. Reste la question attendue pour que la chronique soit publiable: pourquoi parler de cet homme aujourd'hui bien que lui se permet de parler de nous tout le temps? Réponse: il s'agit de l'énigme d'une fonction et pas d'un nom et prénom. L'autre raison est que Belkhadem vient de parler et de donner sa voix à un concept d'une étonnante audace à l'occasion d'un colloque international sur les parlements nationaux, continentaux et régionaux, qui se déroule à la résidence Djenan El-Mithak. Le résumé : une critique dure de la suprématie du droit international sur les lois nationales.
Avocat d'une spécificité juridique, après le nationalisme économique, il expliquera que les lois internationales ne siéent pas aux pays qui ont des lois nationales propres. Comprendre : les régimes ne veulent plus de lois internationales, ONG, droits de l'homme, pressions étrangères, etc. En résumé, tout ce qui dérange généralement les régimes durs et les dictatures bien habillées. Et bien que les lois internationales servent les intérêts des pays puissants et malmènent les pays pauvres, c'est parfois tout ce qui reste pour protéger un peuple, un militant de démocratie ou un simple paysan d'Afrique qu'on veut polluer ou spolier. C'est parfois tout ce qui reste pour chasser un dictateur, lui demander des comptes ou lui imposer de libérer des prisonniers ou de ne pas tirer sur des manifestants désarmés. Avec ce nouveau concept de «nationalisme juridique», une cause est en train d'être plaidée: celle des régimes. Là au moins, Belkhadem mérite son salaire de Mufti laïc. Ou presque.
par Kamel Daoud
Le Quotidien d'Oran
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