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Espagne en crise: trop de cadavres pour les étudiants en médecine

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  • Espagne en crise: trop de cadavres pour les étudiants en médecine

    La perspective de pouvoir alléger les finances de la famille en lui économisant un enterrement motive les Espagnols à offrir leurs corps à la science. En pleine crise, les dons se multiplient, à tel point que certaines chambres froides de facs espagnoles affichent complet.

    Un corps posé sur une table en fer, des tuyaux expurgeant les fluides, une pompe permettant d'injecter une solution à base de formaldéhyde... Le processus de conservation du cadavre ressemble à celui suivi méthodiquement par les rejetons de la famille Fisher dans la série culte Six Feet Under mais l'échelle est toute autre que celle de leur société familiale de pompes funèbres : 100 cadavres reposent à l'Université autonome de Barcelone, plusieurs dizaines dans chacune des facultés de médecine madrilènes, castillanes, basques et même 33 dans la petite université de Grenade qui affiche presque complet pour la première fois de son histoire. Les dons de corps à la science ont explosé en Espagne ces dernières années.

    "Il y a douze ans, nous n'avions aucun corps", assure Miguel López, directeur du département d'anatomie de la faculté de Grenade. L'année dernière, six cadavres sont arrivés. La société de pompes funèbres qui travaille avec l'université depuis des années confirme :

    "Nous sommes passés d'environ trois appels par an de proches de donneurs décédés qui nous demandent d'aller chercher le corps à une dizaine ces dernières années", explique-t-on à la Funeraria Del Moral.

    Ses employés sont chargés de la levée du cadavre et disposent de la clef de la chambre froide de la fac où ils peuvent installer le défunt à toute heure.

    S'il est bien conservé, un cadavre peut servir plusieurs années de suite

    L'augmentation globale de la population explique en partie cette explosion : L'Espagne a gagné plus de cinq millions d'habitants en dix ans. La prise de conscience a également progressé dans un pays qui est de loin champion du monde en matière de don d'organes. Mais la crise qui s'est profondément installée en Espagne il y a trois ans joue aussi. Ou comment l'économie s'immisce jusque dans les morgues.

    Alors que près de 65% des habitants gagnent 1100 euros par mois, un enterrement coûte au moins 2500 euros en Espagne, explique-t-on aux pompes funèbres Del Moral. En léguant son corps à la science, on évite cette dépense. La levée du corps et le transport sont financés par l'université. Pas même, en général, de frais de dossier à régler, contrairement à ce qui se fait en France. Matériau de choix pour les étudiants en médecine, un cadavre peut servir plusieurs années scolaires s'il est bien conservé. Après quoi il est incinéré aux frais de l'université.

    "Un enterrement, ça représente pas mal d'argent, surtout en temps de crise", confie Miguel López.

    "Nos donneurs sont encore surtout des personnes âgées et quand elles viennent s'inscrire, elles laissent parfois échapper qu'elles espèrent ainsi soulager leurs enfants ou leur conjoint, ne pas être un poids pour eux", explique Nieves Cayuela de l'Université autonome de Barcelone.

    Certains volontaires espèrent même pouvoir économiser de leur vivant, en arrêtant de cotiser pour les frais d'enterrement de leur assurance-vie. Des assureurs ont déjà réagit. "Leurs compagnies leur ont conseillé de continuer à payer pour ne pas perdre tant d'années cotisées, mais en promettant de rembourser les frais de l'enterrement à leurs proches", assure Nieves Cayuela.

    Manuel Rubio, directeur du cours de thanatopraxie à l'université de Salamanque, appelle à la prudence, et précise que les donneurs ne sont pas à l'abris d'une mauvaise surprise : "Deux donneurs sont décédés à Noël quand nous étions fermés. Ils ont dû être enterrés normalement", explique-t-il.

    Une solution de facilité pour les étrangers

    Même sans crise, l'aspect économique et logistique motive des dons. Pour les dizaines de milliers d'étrangers installés sur les côtes et les grandes villes espagnoles, "il est parfois beaucoup plus facile de céder le corps que d'organiser le transport jusque dans le pays d'origine", poursuit Manuel Rubio. À la faculté de Grenade, on se souvient encore du cas d'une "colonie" de plusieurs Hollandais qui s'étaient tous déclarés donneurs.

    Alors que cette « inflation » de dons est de plus en plus médiatisée en Espagne, les médecins sont partagés. Parler de cette option permet certes d'informer de volontaires potentiels mais la plupart sont mal à l'aise devant les motivations économiques.

    "C'est une offense faite aux donneurs", s'indigne carrément Francisco Cascá, de l'Université autonome de Madrid qui assure qu'une grande majorité "a largement les moyens de s'offrir un enterrement". Mais il s'agit le plus souvent d'une vraie décision altruiste qui fait parfois école. Des familles entières viennent ainsi s'inscrire ensemble. Et une université madrilène compte même, parmi ses donneurs, un couvent entier de bonnes sœurs.
    « Ça m'est égal d'être laide ou belle. Il faut seulement que je plaise aux gens qui m'intéressent. »
    Boris Vian
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