En France, les féministes islamiques ont pris leur essor à l'occasion du débat, en 2004, sur l'interdiction du foulard à l'école.
Au nom de l'islam, elles défendent les droits des femmes voilées. Enquête sur ces militantes pour qui l'égalité des sexes doit plus au prophète qu'au MLF.
Ce vendredi 25 juin, l'association Ni putes ni soumises tient une conférence sur les violences conjugales à Perpignan. Soudain, une vingtaine de femmes, pour moitié voilées, fait son entrée. L'une d'elles monte au créneau: "J'en ai marre des discriminations à l'encontre des musulmanes; on ne vous laissera pas le monopole de leur défense! Vous avez laissé tomber les femmes voilées, moi, je suis sur le terrain et je m'en occupe." Les organisatrices ripostent, mais trop tard. Yamina Tadjeur a eu son quart d'heure de gloire.
Vêtue d'un long voile couleur prune qui ne laisse apparaître que son visage, cette mère de six enfants a créé, en 2008, l'association Solidarité féminine 66. Depuis, 300 adhérentes de toutes origines sont venues la rejoindre. A Rennes, Lyon, Toulouse, d'autres associations tiennent le même discours. Leurs membres se disent féministes. Féministes et musulmanes. Alors que les députés s'apprêtent à bannir le voile intégral dans l'espace public, les partisans du niqab peuvent compter sur ces militantes d'un genre nouveau qui n'hésitent pas à marier les contraires. Quitte à repousser loin, très loin de ses origines, le féminisme "historique" tel qu'il a surgi en Occident.
"La pudeur est la priorité de la femme musulmane, explique ainsi Yamina Tadjeur , assise dans le local de son association, où l'écoutent avec attention quelque dix femmes âgées de 16 à 60 ans. Défendre ses droits, c'est donc, notamment, défendre celui de porter le voile, quelle que soit sa longueur. Une femme croyante sans son voile, c'est comme une banane sans sa peau: elle pourrit de l'intérieur!"
Retour à un ordre social conservateur
L'heure de la prière approche. Vêtue d'une djellaba en satin noir sertie de broderies, Yamina salue tendrement ses coreligionnaires en arrivant à la mosquée. Une femme s'approche, la soixantaine. "Je sors très peu de la maison à cause de mon mari, mais j'ai pu participer à un événement avec l'association de Yamina, parce que l'imam lui a garanti qu'il n'y aurait pas d'hommes avec nous", raconte-t-elle.
Association "culturelle, et non cultuelle", Solidarité féminine 66 développe des actions sociales envers les plus démunis; ses membres donnent également des cours d'arabe et d'alphabétisation. Pour contourner le refus de la municipalité de Perpignan d'ouvrir des créneaux non mixtes dans les piscines, Yamina a trouvé une parade: elle a créé une association sportive et obtenu de ce fait un horaire spécifique pour ses membres - toutes des femmes qui peuvent ainsi suivre leurs cours d'Aquagym sans être exposées aux regards masculins.
"L'homme a la charge de la famille et de son bien-être matériel, tandis que l'épouse est responsable de son foyer et de la gestion de la vie familiale", explique Yamina. Pour ces musulmanes qui s'étiquettent féministes, l'égalité des sexes ne se conçoit qu'à la lumière du Coran: si l'homme et la femme sont égaux devant Dieu, ici-bas, en revanche, l'un et l'autre ont des rôles bien définis et hiérarchisés. S'émanciper à l'envers, tel est, en somme, leur credo. Le féminisme occidental s'est battu pour saper le modèle traditionnel des rapports entre les sexes, au nom de la pleine égalité hommes-femmes; les féministes musulmanes évoluant dans les sociétés européennes prêchent un retour à un ordre social conservateur, inspiré des textes sacrés. Les mêmes ne se privent d'ailleurs pas de critiquer les "universalistes" à la Simone de Beauvoir, accusées d'avoir ôté leur "féminité" aux femmes et de servir des intérêts "colonialistes".
Un courant né d'une idée fausse
Ironie de l'Histoire, "l'idée originelle d'un féminisme islamique est née dans l'esprit d'universitaires occidentales", rappelle l'écrivaine iranienne Chahla Chafiq. En 1979, dans son pays, la Révolution islamique expose les premières "militantes" en tchador sous les caméras du monde entier. Des femmes voilées dans la rue, l'Occident n'avait jamais vu cela. On s'ébaudit en Europe, oubliant celles qui, au même moment, réclament la fin du foulard et dont les manifestations ont été violemment réprimées. Quand, dans les années 1990, d'autres Iraniennes défilent à nouveau tête couverte pour réclamer des droits, ces intellectuelles occidentales se forgent une certitude: la femme musulmane est en train d'inventer un féminisme d'un genre nouveau.
Amina Wadud, une Noire américaine voilée convertie à l'islam dans les années 1970, est la figure de proue de cette autre révolution. Professeure d'études islamiques à l'université du Commonwealth (Virginie), cette intellectuelle a réellement pour dessein de bousculer les conventions. En 2005, elle défraie la chronique en célébrant la prière du vendredi, prérogative traditionnellement dévolue aux hommes, devant une assemblée mixte. La même année, elle contribue activement au lancement du premier congrès international des féministes islamiques, organisé à Barcelone par la Junta islamica catalana, une association de musulmans espagnols. Elle se prononce aussi en faveur du mariage homosexuel. Mais ses prises de position dérangent. Dans les pays francophones, comme le Canada, la Belgique et la France, on ne retient que sa défense du voile. Dans l'Hexagone, la récupération "islamique" du discours féministe occidental est incarnée par Tariq Ramadan, le polémique prédicateur suisse, qui plaide pour ce "mouvement de libération de la femme dans et par l'islam", comme le souligne la journaliste Caroline Fourest dans son livre Frère Tariq (Grasset).
D'abord obéir à la loi divine
En France, le courant connaît ses premiers succès en 2004, à la faveur de la loi interdisant le port du voile à l'école. Le Collectif Féministes pour l'égalité se met en place, réunissant des femmes de toutes origines, croyantes ou non, dont d'anciennes militantes du Mouvement de libération de la femme, comme Monique Crinon. "J'ai heurté beaucoup de mes anciennes camarades, reconnaît-elle, mais il n'y a pas de raison d'empêcher ces femmes de vivre leur religion. Je mets l'engagement en faveur des femmes voilées sur le même plan que la lutte pour l'égalité hommes-femmes." Toutes les associations françaises sont en contact, de près ou de loin, avec Malika Hamidi, une souriante Bruxelloise voilée d'origine française et marocaine, qui a suivi "des formations sur le féminisme dispensées par Tariq Ramadan", raconte-t-elle. Malika Hamidi plaide pour l'acceptation du voile "dans tous les espaces publics", mais se bat aussi contre les mariages forcés, l'excision ou la polygamie, combats féministes s'il en est. Ce qui lui vaut d'être reçue à bras ouverts à travers l'Europe, comme à l'Unesco, en 2006. En mars dernier, celle qui a fondé le Gierfi, Groupe international d'étude et de réflexion sur la femme en islam, intervenait dans un colloque du British Council à Bruxelles.
Pour Caroline Fourest, ces féministes islamiques "se rapprochent des féministes "pro-vie" chrétiennes ou juives, qui ne confèrent pas les mêmes rôles aux hommes et aux femmes et qui s'opposent à l'avortement ou à la contraception". Wassyla Tamzali, elle, s'interroge: "Comment peut-on lutter pour les droits des femmes si l'on considère que celles-ci ont pour premier devoir d'obéir à la loi divine ?" demande l'écrivaine féministe algérienne. C'est toute la question.
Par Annabel Benhaiem L. GENE / AFP
Au nom de l'islam, elles défendent les droits des femmes voilées. Enquête sur ces militantes pour qui l'égalité des sexes doit plus au prophète qu'au MLF.
Ce vendredi 25 juin, l'association Ni putes ni soumises tient une conférence sur les violences conjugales à Perpignan. Soudain, une vingtaine de femmes, pour moitié voilées, fait son entrée. L'une d'elles monte au créneau: "J'en ai marre des discriminations à l'encontre des musulmanes; on ne vous laissera pas le monopole de leur défense! Vous avez laissé tomber les femmes voilées, moi, je suis sur le terrain et je m'en occupe." Les organisatrices ripostent, mais trop tard. Yamina Tadjeur a eu son quart d'heure de gloire.
Vêtue d'un long voile couleur prune qui ne laisse apparaître que son visage, cette mère de six enfants a créé, en 2008, l'association Solidarité féminine 66. Depuis, 300 adhérentes de toutes origines sont venues la rejoindre. A Rennes, Lyon, Toulouse, d'autres associations tiennent le même discours. Leurs membres se disent féministes. Féministes et musulmanes. Alors que les députés s'apprêtent à bannir le voile intégral dans l'espace public, les partisans du niqab peuvent compter sur ces militantes d'un genre nouveau qui n'hésitent pas à marier les contraires. Quitte à repousser loin, très loin de ses origines, le féminisme "historique" tel qu'il a surgi en Occident.
"La pudeur est la priorité de la femme musulmane, explique ainsi Yamina Tadjeur , assise dans le local de son association, où l'écoutent avec attention quelque dix femmes âgées de 16 à 60 ans. Défendre ses droits, c'est donc, notamment, défendre celui de porter le voile, quelle que soit sa longueur. Une femme croyante sans son voile, c'est comme une banane sans sa peau: elle pourrit de l'intérieur!"
Retour à un ordre social conservateur
L'heure de la prière approche. Vêtue d'une djellaba en satin noir sertie de broderies, Yamina salue tendrement ses coreligionnaires en arrivant à la mosquée. Une femme s'approche, la soixantaine. "Je sors très peu de la maison à cause de mon mari, mais j'ai pu participer à un événement avec l'association de Yamina, parce que l'imam lui a garanti qu'il n'y aurait pas d'hommes avec nous", raconte-t-elle.
Association "culturelle, et non cultuelle", Solidarité féminine 66 développe des actions sociales envers les plus démunis; ses membres donnent également des cours d'arabe et d'alphabétisation. Pour contourner le refus de la municipalité de Perpignan d'ouvrir des créneaux non mixtes dans les piscines, Yamina a trouvé une parade: elle a créé une association sportive et obtenu de ce fait un horaire spécifique pour ses membres - toutes des femmes qui peuvent ainsi suivre leurs cours d'Aquagym sans être exposées aux regards masculins.
"L'homme a la charge de la famille et de son bien-être matériel, tandis que l'épouse est responsable de son foyer et de la gestion de la vie familiale", explique Yamina. Pour ces musulmanes qui s'étiquettent féministes, l'égalité des sexes ne se conçoit qu'à la lumière du Coran: si l'homme et la femme sont égaux devant Dieu, ici-bas, en revanche, l'un et l'autre ont des rôles bien définis et hiérarchisés. S'émanciper à l'envers, tel est, en somme, leur credo. Le féminisme occidental s'est battu pour saper le modèle traditionnel des rapports entre les sexes, au nom de la pleine égalité hommes-femmes; les féministes musulmanes évoluant dans les sociétés européennes prêchent un retour à un ordre social conservateur, inspiré des textes sacrés. Les mêmes ne se privent d'ailleurs pas de critiquer les "universalistes" à la Simone de Beauvoir, accusées d'avoir ôté leur "féminité" aux femmes et de servir des intérêts "colonialistes".
Un courant né d'une idée fausse
Ironie de l'Histoire, "l'idée originelle d'un féminisme islamique est née dans l'esprit d'universitaires occidentales", rappelle l'écrivaine iranienne Chahla Chafiq. En 1979, dans son pays, la Révolution islamique expose les premières "militantes" en tchador sous les caméras du monde entier. Des femmes voilées dans la rue, l'Occident n'avait jamais vu cela. On s'ébaudit en Europe, oubliant celles qui, au même moment, réclament la fin du foulard et dont les manifestations ont été violemment réprimées. Quand, dans les années 1990, d'autres Iraniennes défilent à nouveau tête couverte pour réclamer des droits, ces intellectuelles occidentales se forgent une certitude: la femme musulmane est en train d'inventer un féminisme d'un genre nouveau.
Amina Wadud, une Noire américaine voilée convertie à l'islam dans les années 1970, est la figure de proue de cette autre révolution. Professeure d'études islamiques à l'université du Commonwealth (Virginie), cette intellectuelle a réellement pour dessein de bousculer les conventions. En 2005, elle défraie la chronique en célébrant la prière du vendredi, prérogative traditionnellement dévolue aux hommes, devant une assemblée mixte. La même année, elle contribue activement au lancement du premier congrès international des féministes islamiques, organisé à Barcelone par la Junta islamica catalana, une association de musulmans espagnols. Elle se prononce aussi en faveur du mariage homosexuel. Mais ses prises de position dérangent. Dans les pays francophones, comme le Canada, la Belgique et la France, on ne retient que sa défense du voile. Dans l'Hexagone, la récupération "islamique" du discours féministe occidental est incarnée par Tariq Ramadan, le polémique prédicateur suisse, qui plaide pour ce "mouvement de libération de la femme dans et par l'islam", comme le souligne la journaliste Caroline Fourest dans son livre Frère Tariq (Grasset).
D'abord obéir à la loi divine
En France, le courant connaît ses premiers succès en 2004, à la faveur de la loi interdisant le port du voile à l'école. Le Collectif Féministes pour l'égalité se met en place, réunissant des femmes de toutes origines, croyantes ou non, dont d'anciennes militantes du Mouvement de libération de la femme, comme Monique Crinon. "J'ai heurté beaucoup de mes anciennes camarades, reconnaît-elle, mais il n'y a pas de raison d'empêcher ces femmes de vivre leur religion. Je mets l'engagement en faveur des femmes voilées sur le même plan que la lutte pour l'égalité hommes-femmes." Toutes les associations françaises sont en contact, de près ou de loin, avec Malika Hamidi, une souriante Bruxelloise voilée d'origine française et marocaine, qui a suivi "des formations sur le féminisme dispensées par Tariq Ramadan", raconte-t-elle. Malika Hamidi plaide pour l'acceptation du voile "dans tous les espaces publics", mais se bat aussi contre les mariages forcés, l'excision ou la polygamie, combats féministes s'il en est. Ce qui lui vaut d'être reçue à bras ouverts à travers l'Europe, comme à l'Unesco, en 2006. En mars dernier, celle qui a fondé le Gierfi, Groupe international d'étude et de réflexion sur la femme en islam, intervenait dans un colloque du British Council à Bruxelles.
Pour Caroline Fourest, ces féministes islamiques "se rapprochent des féministes "pro-vie" chrétiennes ou juives, qui ne confèrent pas les mêmes rôles aux hommes et aux femmes et qui s'opposent à l'avortement ou à la contraception". Wassyla Tamzali, elle, s'interroge: "Comment peut-on lutter pour les droits des femmes si l'on considère que celles-ci ont pour premier devoir d'obéir à la loi divine ?" demande l'écrivaine féministe algérienne. C'est toute la question.
Par Annabel Benhaiem L. GENE / AFP
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