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Maroc Vent libéral sur les blés

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  • Maroc Vent libéral sur les blés

    En 2008, le Maroc s’engageait dans 
un vaste plan agricole structuré autour 
du secteur privé, visant à augmenter 
la productivité 
et à lutter contre 
la pauvreté. Deux ans après, il entre dans sa phase active. Dans le pays, des voix dénoncent un plan sur mesure pour les gros exploitants et programmateur d’insécurité alimentaire. Casablanca (Maroc), envoyée spéciale.

    Des cloisons rafistolées de cartons, de plastiques et de calicots, recyclages de vieilles pubs pour une chaîne cryptée française. Un toit de taule ondulée soutenu par des poteaux boiteux. Et sous le toit, des sacs, remplis pour les uns de pois chiches, pour les autres de lentilles, de maïs, de fèves ou de coriandre. Les bidons qui font figure d’étal devant le baraquement s’ouvrent sur des mosaïques de céréales et de légumineuses aux couleurs variées, déclinaisons de verts, d’ocres et de jaunes, dans lesquels des femmes plongent le bras pour remplir des seaux calibrés au kilo. D’autres, sans âge, assises sous une bâche qui les protège indifféremment du soleil ou de la pluie, tamisent et nettoient le blé porté par les familles au moulin électrique qui berce l’air d’un perpétuel ronron. Image d’Épinal à deux pas du palais royal, dont les drapeaux rouges étoilés flottent par-delà les murs du marché. Créée en 1918, la halle aux grains de Casablanca est l’une des plus anciennes. Les habitants et les petits commerçants de la capitale marocaine viennent encore y faire leurs réserves. Les industriels, eux, n’arrivent plus jusqu’ici. Les entrepôts ont été décentralisés en périphérie. Plus pratique pour stocker et assurer le va-et-vient des camions dans une ville réputée pour son inextricable trafic. « Il ne reste plus que soixante-quatorze détaillants », raconte Hassan Chaoui, ancien chef de service de la halle. « Les plus fragiles ont plié, ceux qui avaient des capitaux solides ont constitué des silos et vendent directement aux grands moulins. » C’est ainsi dans ce métier. « Il y a ceux qui ferment, il y a ceux qui souffrent et il y a ceux qui se rachètent une voiture chaque année. »

    Les métaphores sont toujours imparfaites, mais pour peu qu’on s’y prête, celle-ci ferait presque l’affaire pour décrire une agriculture marocaine en panne depuis vingt ans. En 2008, le gouvernement lançait un plan Maroc vert (PMV) visant à redonner du souffle à ce secteur en déficit de croissance dont les autorités tirent un diagnostic contrasté. D’une part, une pauvreté particulièrement marquée dans un milieu rural où 80 % de la population active vit de l’agriculture et de ses dérivés. D’autre part, un potentiel de développement jugé colossal sur les marchés nationaux et internationaux. « Le plan Maroc vert s’appuie sur plusieurs idées-forces, explique Ahmed Thannoufi, chef de division des produits du terroir au ministère de l’Agriculture. Celle que l’agriculture peut être un levier de croissance économique et de lutte contre la pauvreté. Et celle que nous devons travailler à une agriculture pour tous, dans toutes les filières et dans toutes les régions, en nous appuyant sur un tissu d’acteurs variés. »

    Augmenter de 15 % la production annuelle de lait (laquelle couvre d’ores et déjà à 86 % les besoins du pays), multiplier par 2,4 les exportations d’agrumes et par 4 celles de fruits et de légumes, l’ambition est énorme, quand le gouvernement marocain espère, d’ici quinze ans, un accroissement proche des 100 milliards de dirhams (8,9 milliards d’euros) du PIB agricole, la création de plus d’un million d’emplois dans ce secteur et la multiplication par deux, voire par trois, du revenu agricole pour trois millions de ruraux. Un paysage qui paraît presque aussi idyllique que celui qui encadre Agadir, sillonné par des routes déroulant leur ruban jusqu’aux portes du désert, ou perçant vers le nord, à travers les rondeurs d’un l’Atlas moucheté d’arganiers.

    Le PMV, toutefois, se montre moins poétique et mise, pour réaliser son dessein, sur un modèle stratégique libéral visant l’intensification. Avec un mot d’ordre : agrégation. Pour les petites agricultures dont l’activité s’avère peu aguichante pour les investisseurs, il prévoit un accompagnement solidaire, à hauteur de 20 milliards de dirhams sur dix ans (1,8 milliard d’euros). Mais la mesure principale n’est pas là. Totem du PMV, le pilier numéro 1 vise une agriculture à forte productivité ou valeur ajoutée, compétitive et adaptée aux règles du marché. Financiers, coopératives ou gros exploitants feraient office d’agrégateurs, auprès desquels viendraient se regrouper des producteurs plus modestes. Objectif : obtenir des surfaces cultivables de taille suffisante pour être productives, ce que ne permet pas, en l’état, le panorama foncier. Fruits des héritages successifs et de partages de terres entre les fratries, le Maroc ne compte pas moins de 1,5 million d’exploitations, dont l’immense majorité – près de 70 % – ne dépasse pas cinq hectares. Une difficulté majeure dès lors qu’il s’agit de mécaniser ou d’irriguer les cultures, et qui, en sus du déficit en eau dont souffrent plusieurs régions, freine les ambitions de productivité. « C’est du gagnant-gagnant », reprend Ahmed Thannoufi. « L’agrégateur amène son expertise, son apport financier et son appui technique, et l’agrégé sa terre. Le premier gagne en matière première, le second en revenu. » Six filières sont ciblées – les céréales, les fruits et légumes, les olives, la volaille, la viande et le lait –, soutenues par un fonds de 110 à 150 milliards de dirhams (9 à 13,3 milliards d’euros) sur quinze ans, supporté essentiellement par des investisseurs privés.

    Frileux, dans une première période, alors que le PMV n’est doté d’aucun statut juridique (lire l’entretien ci-contre), ces derniers ne semblent plus trop traîner à se laisser séduire par le nouveau système, que le gouvernement promeut en faisant la réclame des success stories. Celle de la Cosumar, entreprise sucrière leader sur le marché marocain, entièrement privatisée depuis 2005 et qui affiche 80 000 agriculteurs « partenaires ». Ou celle encore de la Copag, qui a détrôné Danone après s’être vu céder des terres par l’État, et annonce travailler avec 12 500 éleveurs. « La clef de notre succès, c’est l’intégration », note un des responsables de la boîte. « Le plan Maroc vert s’est appuyé sur notre exemple pour définir son modèle. »

    Peu à peu, la sauce prend. En novembre, le ministère de l’Agriculture affichait dix grandes vagues de contrats-programmes signés depuis 2008. D’autres investisseurs se montrent intéressés, convaincus par un système qui assume son libéralisme. « Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture, est un homme d’affaires archi-riche », souligne avec satisfaction Bouchaïd El Haddaj, directeur de la Fédération nationale des négociants en céréales et légumineuses. « Il a fait ses études aux États-Unis et gère son ministère à l’américaine : objectifs, évaluations, corrections. » Un modèle pour le négociateur, qui rappelle que le ministre est également à la tête d’Afriquia, distributeur pétrolier dont les stations-service s’égrènent le long des routes. « La politique qu’il vise s’inspire de celle du Brésil, reprend Bouchaïb El Haddaj, intégrée de fait à la mondialisation, mais offrant un accompagnement social à la population. »

    Négociant dans la région de Meknes, au nord du pays, qui compte, avec celle de Fez, comme la plus importante en matière de commerce de céréales, Abdelliah Abdallaoui se dit également intéressé. Structurée en holding familiale, son entreprise travaille aussi bien dans le blé que dans le fruit, dans la culture que dans la conserverie. Efficace, à en croire la vaste demeure aux tentures colorées dans laquelle il reçoit, à deux pas de son verger et d’une écurie personnelle, laquelle, explique-t-il, renferme un petit bijou. « La meilleure jument barbe-arabe au monde ! Elle descend d’un étalon qui appartenait au Prophète… » Avec son chanfrein aux lignes ciselées, sa queue portée haut et cette robe alezane qui vous change un cheval en flamme, l’animal, il est vrai, a de l’allure. « Je prépare un projet pour devenir négociant agrégateur », reprend Abdelliah Abdallaoui. « Mais ça ne peut pas être rentable à moins de 100 agriculteurs agrégés, mêmes s’ils n’apportent qu’un hectare chacun. » Beaucoup, relève-t-il, se montrent encore rétifs à passer le cap. Peur de se faire manger, semble-t-il. À l’instar du ministère, il l’affirme : « Il faut les convaincre qu’ils n’ont rien à perdre. Nous amenons les intrants, le matériel, les semences. Eux nous disent la quantité qu’ils espèrent obtenir. Et ils repartent avec, à condition de respecter nos méthodes et nos consignes. » Et lui ? « Nous, on garde le reste de la récolte. »

    Au passage, Abdelliah Abdallaoui envisage de restructurer ses productions. Laisser de côté le blé au profit de l’olive, dont la valeur ajoutée s’avère plus conséquente. Un choix qui peut paraître étrange, dans un pays en situation de dépendance chronique sur cette matière première qui constitue la base alimentaire d’une majorité d’habitants. Un choix néanmoins encouragé par le PMV. Celui-ci programme ainsi la disparition de plus d’un million d’hectares de surfaces céréalières, là où leur culture est jugée peu rentable. L’intensification des productions est appelée à la rescousse pour compenser le manque à gagner. C’est sur cette même intensification que compte le gouvernement pour assurer une hausse du salaire agricole. Rien de neuf, pour l’heure, à l’horizon. Le Smag, salaire minimum agricole, reste bloqué entre 60 et 65 dirhams par jour (moins de 8 euros). « Ce système s’appuie sur le libre marché », rappelle M. Bessoud, responsable régional et superviseur, au nom de l’État, du secteur de la postproduction. « Il ne pourra jamais garantir des prix aux producteurs. En revanche, ils y gagneront en lisibilité », assure-t-il. D’ici là, s’il faut lire quelque chose, pointons ce paragraphe du plan où il est souligné que l’un des atouts de l’agriculture marocaine sur le marché, c’est le faible coût de sa main-d’œuvre.

    Marie-Noelle Bertrand
    humanite
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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