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INTERVIEW - Sophie Pommier est l' auteur d'Égypte. L'envers du décor (Éd. La Découverte).
LE FIGARO.- Le départ de Hosni Moubarak semble désormais acquis. Peut-on pour autant parler de révolution ?
Sophie POMMIER.- Je ne pense pas, car cette révolte ne devrait pas déboucher sur un changement de régime. Le clan Moubarak est un fusible. L'armée n'a lâché le président égyptien que pour assurer la survie du régime. Ce scénario était dans les tuyaux depuis longtemps. Ce qui s'est passé en Tunisie n'a fait qu'accélérer sa mise en œuvre. Les militaires s'interrogeaient depuis longtemps sur la capacité de Gamal Moubarak, fils de Hosni et héritier présomptif, à assurer la stabilité du pays et à ne pas mettre en danger leurs intérêts personnels. Car l'armée égyptienne, c'est aussi un empire économique. Elle est la première bénéficiaire de l'aide américaine et du budget de l'État. Elle possède un patrimoine foncier. Beaucoup de militaires se sont reconvertis dans les affaires. Ils contrôlent des groupes agroalimentaires, des magasins, etc. Or, en 2004, le gouvernement de l'ex-premier ministre Ahmed Nazif a engagé un vaste programme visant à moderniser et libéraliser l'économie égyptienne. Ce programme de réformes menaçait peut-être cette économie parallèle qui fait prospérer l'armée.
C'est-à-dire ?
Nazif s'était entouré de technocrates représentant cette jeune garde proche de Gamal Moubarak, des ministres ayant le même profil que Gamal, même génération, formés à l'étranger, passés par le business ou la banque, plutôt mondialistes. Des réformateurs qui avaient bousculé le paysage économique, mais aussi déstabilisé la classe moyenne. Or celle-ci constitue le principal soutien du régime. La libéralisation de l'économie a eu entre autres effets de creuser les clivages sociaux et de tirer vers le bas le niveau de vie d'une large frange de la classe moyenne. D'une manière générale, les conditions de vie de la population se sont détériorées avec une inflation galopante, une précarisation du travail, des inquiétudes pour le maintien des subventions pour les produits de première nécessité. Cela a accrédité l'idée auprès de l'opinion publique qu'une classe d'affairistes se sucrait au passage. Ce qui est partiellement vrai. Sous la pression des États-Unis, ces réformes économiques ont coïncidé avec une certaine ouverture en matière de liberté d'expression. Ce qui a permis l'émergence d'une presse d'opposition. Celle-ci, pas toujours de très bonne qualité et un brin populiste, a nourri l'idée que les hommes politiques étaient tous des pourris. Ces dernières années, il y a déjà eu des manifestations avec des slogans très durs contre Moubarak et sa famille. La crise mondiale n'a fait qu'exacerber les tensions. L'armée a eu peur de perdre l'appui de la classe moyenne. Les militaires se demandaient si Gamal Moubarak serait en mesure de tenir le choc en cas de tangage.
Qui peut succéder à Moubarak ?
Logiquement le vice-président Omar Souleiman. Mais il est âgé et, dit-on, malade. Il est plutôt perçu comme un homme de transition. Le premier ministre Chafiq pourrait lui aussi se positionner. C'est un ancien officier et il a pour lui d'avoir restructuré la compagnie aérienne Egyptair, donc il a une expérience en matière économique. Sauf que tous les ministres réformateurs ont été débarqués, dont des gens compétents. On peut aussi imaginer un civil, cornaqué par les militaires.
Sacrifier Moubarak suffira-t-il ?
Je pense que oui, même si un noyau de jeunes opposants très déterminés ne sont pas dupe. L'armée va sans doute livrer Moubarak en pâture mais elle a actionné aussi un deuxième levier : la peur du chaos, et beaucoup de gens vont donc se contenter du départ du clan Moubarak. Reste à savoir si il y aura ensuite une véritable ouverture du jeu politique. On ne sait pas très bien ce que veut l'armée. On dit qu'elle est farouchement hostile aux Frères musulmans. Or, on ne peut pas parler d'ouverture politique sans intégrer les Frères, qui représentent 30 à 40 % de l'électorat. J'ignore si les militaires seront capables de conclure un pacte avec eux sachant que l'opposition laïque est en loques et que si, demain, il y avait des élections libres, les islamistes, mieux organisés, seraient favorisés.
Le Figaro
LE FIGARO.- Le départ de Hosni Moubarak semble désormais acquis. Peut-on pour autant parler de révolution ?
Sophie POMMIER.- Je ne pense pas, car cette révolte ne devrait pas déboucher sur un changement de régime. Le clan Moubarak est un fusible. L'armée n'a lâché le président égyptien que pour assurer la survie du régime. Ce scénario était dans les tuyaux depuis longtemps. Ce qui s'est passé en Tunisie n'a fait qu'accélérer sa mise en œuvre. Les militaires s'interrogeaient depuis longtemps sur la capacité de Gamal Moubarak, fils de Hosni et héritier présomptif, à assurer la stabilité du pays et à ne pas mettre en danger leurs intérêts personnels. Car l'armée égyptienne, c'est aussi un empire économique. Elle est la première bénéficiaire de l'aide américaine et du budget de l'État. Elle possède un patrimoine foncier. Beaucoup de militaires se sont reconvertis dans les affaires. Ils contrôlent des groupes agroalimentaires, des magasins, etc. Or, en 2004, le gouvernement de l'ex-premier ministre Ahmed Nazif a engagé un vaste programme visant à moderniser et libéraliser l'économie égyptienne. Ce programme de réformes menaçait peut-être cette économie parallèle qui fait prospérer l'armée.
C'est-à-dire ?
Nazif s'était entouré de technocrates représentant cette jeune garde proche de Gamal Moubarak, des ministres ayant le même profil que Gamal, même génération, formés à l'étranger, passés par le business ou la banque, plutôt mondialistes. Des réformateurs qui avaient bousculé le paysage économique, mais aussi déstabilisé la classe moyenne. Or celle-ci constitue le principal soutien du régime. La libéralisation de l'économie a eu entre autres effets de creuser les clivages sociaux et de tirer vers le bas le niveau de vie d'une large frange de la classe moyenne. D'une manière générale, les conditions de vie de la population se sont détériorées avec une inflation galopante, une précarisation du travail, des inquiétudes pour le maintien des subventions pour les produits de première nécessité. Cela a accrédité l'idée auprès de l'opinion publique qu'une classe d'affairistes se sucrait au passage. Ce qui est partiellement vrai. Sous la pression des États-Unis, ces réformes économiques ont coïncidé avec une certaine ouverture en matière de liberté d'expression. Ce qui a permis l'émergence d'une presse d'opposition. Celle-ci, pas toujours de très bonne qualité et un brin populiste, a nourri l'idée que les hommes politiques étaient tous des pourris. Ces dernières années, il y a déjà eu des manifestations avec des slogans très durs contre Moubarak et sa famille. La crise mondiale n'a fait qu'exacerber les tensions. L'armée a eu peur de perdre l'appui de la classe moyenne. Les militaires se demandaient si Gamal Moubarak serait en mesure de tenir le choc en cas de tangage.
Qui peut succéder à Moubarak ?
Logiquement le vice-président Omar Souleiman. Mais il est âgé et, dit-on, malade. Il est plutôt perçu comme un homme de transition. Le premier ministre Chafiq pourrait lui aussi se positionner. C'est un ancien officier et il a pour lui d'avoir restructuré la compagnie aérienne Egyptair, donc il a une expérience en matière économique. Sauf que tous les ministres réformateurs ont été débarqués, dont des gens compétents. On peut aussi imaginer un civil, cornaqué par les militaires.
Sacrifier Moubarak suffira-t-il ?
Je pense que oui, même si un noyau de jeunes opposants très déterminés ne sont pas dupe. L'armée va sans doute livrer Moubarak en pâture mais elle a actionné aussi un deuxième levier : la peur du chaos, et beaucoup de gens vont donc se contenter du départ du clan Moubarak. Reste à savoir si il y aura ensuite une véritable ouverture du jeu politique. On ne sait pas très bien ce que veut l'armée. On dit qu'elle est farouchement hostile aux Frères musulmans. Or, on ne peut pas parler d'ouverture politique sans intégrer les Frères, qui représentent 30 à 40 % de l'électorat. J'ignore si les militaires seront capables de conclure un pacte avec eux sachant que l'opposition laïque est en loques et que si, demain, il y avait des élections libres, les islamistes, mieux organisés, seraient favorisés.
Le Figaro
!! c'est beucoup plus compliqué q'on Tunisie!!
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