Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Dolce vita en Tunisie

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Dolce vita en Tunisie

    Il faut dire aussi que le Tout-Paris politique, médiatique et financier se presse en Tunisie pour y passer de douces vacances. Et pas chères, avec ça ! Certes, on est loin des fastes des Mille et Une Nuits déployés par le royaume du Maroc pour attirer les mêmes « élites » françaises – les généraux d’Alger, quant à eux rigoureusement nuls sur ce registre, sont experts dans bien d’autres, plus tordus, pour se les aliéner tout aussi efficacement. Mais la Tunisie possède tout de même quelques atouts… Comme par exemple le groupe hôtelier Sangho, dirigé par le riche homme d’affaires Hosni Djemmali. Lequel n’est pas n’importe qui : élément clé du lobbying tunisien en France, il est proche du puissant ministre des Affaires étrangères Abdelwaheb Abdallah, qui a pendant des années officié comme porte-parole de la présidence et, de facto, dirigé la communication du régime (voir supra, chapitre 3) – ce qu’il continue d’ailleurs à faire en sous-main, fort d’un impressionnant carnet d’adresses. À Paris, Hosni Djemmali tient table ouverte dans les meilleurs restaurants du quartier de la Bourse, en particulier pour les journalistes héritant du dossier Tunisie. Au dessert, cet homme hospitalier les invite à passer des vacances dans l’un de ses clubs. Avec leur famille et aux frais de la princesse… Alors, lorsque son groupe Sangho fête ses trente ans en novembre 2008, c’est tout naturellement qu’il reçoit ses nombreux « amis » français pour une mémorable soirée au Sangho Club Zarzis, « véritable petit village enfoui dans un jardin palmeraie de 14 hectares, [qui] étale ses bungalows blancs au bord de l’eau », comme le proclame son site Web. Que du beau linge ! Hervé Novelli, alors secrétaire d’État en charge du Commerce, de l’Artisanat, des PME, du Tourisme et des Services — qui en profitera pour épingler une Légion d’honneur sur le costume d’Hosni Djemmali. Mais aussi Jean Louis Debré, président du Conseil constitutionnel et, plus surprenant encore, Marie-Cécile Levitte, l’épouse du conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy. Sans surprise en revanche, le monde des médias est quant à lui représenté en force : Dominique de Montvallon, directeur adjoint de la rédaction du Parisien ; Michel Schifres, président du comité éditorial du Figaro ; Noël Couëdel, directeur éditorial du quotidien L’Équipe ; Etienne Mougeotte, ancien vice-président de TF1 et directeur des rédactions du Figaro ; Christian de Villeneuve, directeur de la rédaction du Journal du dimanche ; Nicolas Charbonneau, ex-Europe 1 parti à I-Télé ; et Valérie Expert, journaliste sur la chaîne d’information LCI.

    Tout ce beau monde n’a pas hésité à prendre la pose et s’est retrouvé tout sourires dans les pages people de Tunisie Plus, le magazine du groupe Sangho, qui se pique aussi de faire dans la presse. À la gloire du régime de Ben Ali, il va de soi. Un détail qui ne semble guère gêner outre mesure certains plumitifs français. Ainsi, Nicolas Charbonneau et Michel Schifres appartiennent au comité éditorial de ce support de communication, tandis que Jérôme Béglé ancien de Paris-Match parti au Figaro Magazine, y interviewe le chanteur Dany Brillant, né à Tunis.

    Hosni Djemmali et son magazine Tunisie Plus ne sont pas les seuls à permettre aux « pipoles » français de la politique et des médias de se la couler douce. Le bimensuel L’Économiste maghrébin, proche du président Ben Ali, s’est aussi lancé sur le créneau. Ce n’est pas Jean-Pierre Raffarin qui dira le contraire. Comme l’a révélé Le Canard enchaîné au printemps 2009, l’ancien Premier ministre devenu sénateur a bénéficié d’un joli cadeau : un week-end au Tamerza Palace de Tozeur, réputé pour « sa piscine avec vue saisissante sur le désert, son restaurant gastronomique », dans une suite « à plus de 700 euros ». En contrepartie, Jean-Pierre Raffarin a pris la parole lors d’un colloque organisé par l’aimable magazine, où il s’est livré à quelques raffarinades pro-Ben Ali : « D’une certaine manière, la Tunisie est mieux protégée [contre la crise] que d’autres pays », car Ben Ali cultive cette « valeur fondamentale » qui permet de fonder une « nouvelle conception de la vie » : la sécurité.

    Plutôt que de célébrer béatement l’amitié franco-tunisienne, d’autres préfèrent la promouvoir activement. C’est le cas de Georges Fenech, natif de Sousse, un magistrat au curriculum foisonnant : mis en examen en juillet 2001 dans l’affaire de vente d’armes de l’Angolagate, ex-président de l’Association professionnelle des magistrats, ex-député UMP du Rhône — dont l’élection a été invalidée en mars 2008 par le Conseil constitutionnel en raison d’infractions au droit électoral liées à ses comptes de campagne — et grand patron depuis septembre 2008 (merci Sarkozy) de la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Et enfin président de l’association Échanges franco-tunisiens (EFT). Déjà lorsqu’il siégeait au Palais-Bourbon et était le vice-président du groupe d’amitié France-Tunisie, ce dernier accouchait de communiqués prenant farouchement la défense du président Ben Ali. Ce fut par exemple le cas en novembre 2005, quand lesparlementaires amis de la Tunisie saluaient Ben Ali comme un « véritable homme d’État », louant les avancées d’une « Tunisie qui va dans le bon sens » et fustigeant les tentatives de « désinformation contre la Tunisie », qu’ils jugeaient « injustes » et « inamicales ». C’est donc tout naturellement que Fenech a créé deux ans plus tard, avec l’aide de son épouse Christine Goguet, journaliste, l’association Échanges franco-tunisiens. Monsieur en est le président et Madame la chargée de communication. La vocation d’EFT ? Favoriser le développement des relations économiques entre la France et la Tunisie. Comme par hasard, le siège de cette nouvelle association est sis à la même adresse — le 28 bis rue de Richelieu dans le Ier arrondissement parisien — que ceux du groupe hôtelier Sangho et des Éditions Sangho, qui publient le magazine Tunisie Plus.

    Au fil des années et des opérations de relations publiques de MM. Abdallah et Djemmali, la tribu des amis de la Tunisie n’a cessé de s’élargir. Sans pour autant perdre ses piliers fondateurs. Le premier d’entre eux reste incontestablement Philippe Séguin, qui a grandi à Tunis et aime comparer Ben Ali à de Gaulle. À l’époque où Jacques Chirac était à l’Elysée, Séguin, aujourd’hui premier président de la Cour des comptes, ne rechignait pas à jouer les Messieurs bons offices entre Paris et Carthage. Tantôt pour raisonner Ben Ali qui, lors de la crise du Golfe de 1991, avait pris le parti de Saddam Hussein pour des raisons de politique intérieure. Tantôt pour apaiser la colère présidentielle lorsque le frère de Ben Ali fut condamné par contumace à dix ans de prison par la justice française dans l’affaire de la « couscous connection ».

    Même si le régime tunisien penche nettement en faveur de la droite française, il peut compter aussi sur quelques solides soutiens « à gauche ». Comme par exemple le nouveau ministre de la Culture de Nicolas Sarkozy depuis juin 2009, Frédéric Mitterrand. Un vrai compagnon de route ! Ce dernier possède une belle villa à Hammamet et n’a même pas tenu rigueur au pouvoir de lui avoir fait subir quelques mesquineries immobilières dans les années 1990 : les pouvoirs publics ayant autorisé le déversement de milliers de tonnes de gravats sur le site, le paysage autour de la villa de Frédéric Mitterrand a été défiguré, à sa grande fureur.
    Officiellement, il s’agissait de consolider les remblais tenant les plages de sable mais, en pratique, ces travaux permettaient à un industriel proche du pouvoir, propriétaire de grandes carrières, de liquider ses surplus de pierrailles. Autre fervent supporter de gauche : le maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui, au motif d’une enfance émouvante passée à Bizerte, est plus prompt à dénoncer les crimes commis par les Chinois contre les Tibétains que ceux de Ben Ali contre les opposants politiques.

    Nicolas Beau et Catherine Graciet
Chargement...
X