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Réflexe peureux du bourgeois

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    Par LAURENT JOFFRIN Directeur de «Libération»


    Les dictateurs ont décidément beaucoup d’amis. On ne parle pas ici de leurs séides ou de leurs obligés. On ne parle pas non plus de ceux ou celles qui survolent en avion privé les villes où la police est occupée à tirer sur les manifestants. Non, on parle ici d’une certaine élite intellectuelle, médiatique ou gouvernementale qui se fait, par des moyens obliques, l’auxiliaire de la tyrannie. La position, bien sûr, est couverte par un voile de prudence. L’affaire est complexe, disent ces intellectuels et ces responsables, à l’instar d’un Alain Finkielkraut ou d’un Henri Guaino. Il y a des risques, on ne sait pas comment les choses vont tourner, il peut y avoir des surprises (réflexions précieuses…). Après tout, continuent-ils, Moubarak ou Ben Ali n’avaient pas que des défauts. Il y a un danger de chaos, un risque islamiste, une déstabilisation possible : attendons pour voir. Et en attendant, laissons en place ces régimes qui oppriment leur peuple depuis des décennies. Position qui indigne les partisans des droits de l’homme et affaiblit les Tunisiens ou les Egyptiens héroïques qui luttent pour la liberté dans leur pays. Il est donc temps de lancer le débat. Faut-il soutenir sans mélange les révolutions démocratiques arabes ? C’est le sens de la discussion que Libération ouvre aujourd’hui. Les risques ? Tout le monde les connaît. Nous n’en sommes plus aux naïvetés de la révolution iranienne de 1979, quand quelques enthousiastes ont pris l’imam Khomeiny pour un émule de Jean Jaurès. Chacun a constaté l’expansion sinistre du totalitarisme religieux, chacun sait qu’il faut le combattre. L’idéologie des Frères musulmans en Egypte, ou celle du parti Ennahda en Tunisie, est despotique et obscurantiste. L’établissement d’une société entièrement quadrillée par un islam rétrograde reste leur objectif final. En Egypte, plus qu’en Tunisie, les islamistes ont mené avec succès un long travail de «réislamisation» de la société qui en fait la force la mieux organisée de l’opposition. Mais peut-on s’arrêter à cette banalité ? Certaines révolutions démocratiques ont couru semblables risques. La prise de la Bastille a conduit à la Terreur, l’insurrection de 1848 au coup d’Etat du 2 décembre, la fin du communisme en Yougoslavie à la guerre civile. Faut-il les récuser ? Et, surtout, bien d’autres victoires de la liberté, plus récentes, ont eu lieu sans désastre : en Espagne, au Portugal, dans beaucoup de pays de l’Est, dans la plupart des pays d’Amérique latine. Pourquoi le pire serait-il sûr ? La focalisation exclusive sur le danger islamiste, antienne de droite, empêche de voir les autres forces en présence. Les islamistes n’ont joué aucun rôle dans le déclenchement des révoltes ; en Tunisie, une classe moyenne éduquée pèse lourd ; en Egypte existe une tradition moderniste depuis Méhémet Ali, et parlementaire depuis l’expérience du parti Wafd ; pourquoi ces forces, ces tendances, ces aspirations seraient-elles battues d’avance ? Pourquoi le compromis transitoire serait-il impossible avec les forces de l’ancien régime, comme naguère en Espagne ? Pourquoi le modèle iranien s’imposerait-il automatiquement, alors qu’il est rejeté par la majorité des Iraniens et que la Turquie pluraliste, gouvernée par des islamistes légalistes, est un exemple, certes négatif aux yeux d’un républicain laïque, mais autrement séduisant que la nuit des ayatollahs pour les peuples musulmans ? Le rôle de Cassandre endossé par une partie des intellectuels se pare de lucidité. Il n’est que le réflexe peureux du bourgeois qui révère les gens en place, qui redoute le peuple et préfère toujours une injustice à un désordre. Il se double, disons-le, d’un préjugé. Quand ils défendent Moubarak ou Ben Ali, ces faux réalistes pensent au fond d’eux-mêmes que les peuples arabes ne méritent pas mieux qu’un pouvoir autoritaire et qu’il faut, de temps en temps, leur donner la trique. Les droits de l’homme, pensent-ils in petto, ce sont les droits de l’homme occidental. Drôles de démocrates…
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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