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Moi, Ahmed, 27 ans, torturé dans les geôles de Ben Ali

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  • Moi, Ahmed, 27 ans, torturé dans les geôles de Ben Ali

    Blouson en cuir, keffieh autour du cou et casquette vissée sur le crâne, Ahmed arpente, avec Safouane et Hamed, les rues de la cité Ettadhamen, une banlieue populaire du nord de Tunis. Tous trois ont connu la même enfance simple au sein d'une famille ouvrière de ce quartier miséreux où se sont entassés des dizaines de milliers de Tunisiens venus chercher un emploi. Tous trois partagent une même foi et une pratique rigoriste de l'islam... qui les a conduits dans les geôles de Ben Ali.

    Ahmed, 27 ans, est le dernier des trois à en être sorti. Lundi 31 janvier, il a bénéficié de l'amnistie décrétée à l'égard des prisonniers politiques par le gouvernement de transition. Après trois ans et huit mois d'emprisonnement, Ahmed est libre, mais porte les marques des sévices subis en détention.

    Le jeune homme s'exprime péniblement. Il souffre de troubles de la parole. Son histoire commence le 20 mai 2007, un dimanche, à midi trente. Il est à la maison avec ses parents et ses deux frères. Trois 4×4 déboulent en trombe dans la rue. Une dizaine de policiers politiques en sortent et l'appellent. Il est embarqué manu militari, sans que sa famille n'ait eu le temps de comprendre. "Pendant vingt-sept jours, on n'a eu aucune nouvelle d'Ahmed. On est allé à la police, au ministère de l'intérieur, personne ne nous disait rien", se souvient son frère Nizar.


    Hélène Sallon
    Ahmed a 23 ans lorsqu'il est arrêté en mai 2007.
    LA CHASSE AUX ISLAMISTES

    Pendant vingt-sept jours, Ahmed est détenu au secret dans les geôles du ministère de l'intérieur, avenue Habib-Bourguiba, à Tunis. Une cellule d'un mètre sur deux, au sous-sol, éclairée jour et nuit pour lui ôter toute notion du temps. Il est questionné chaque jour, pendant des heures. Toujours les mêmes questions : "Fais-tu la prière ? Depuis quand ? Dans quelle mosquée ? Combien de fois par jour ? Combien de temps ? De quelle manière ? Avec qui ? Qui prie dans ta famille ?"

    Le président Ben Ali a fait, à partir de 1990, la chasse aux islamistes. Ses polices spéciales ont redoublé d'efforts depuis les attentats du 11 septembre 2001 et le vote de la loi antiterroriste de 2003. La cité Ettadhamen est une cible de choix : quelques salafistes djihadistes prêts à s'engager pour la cause irakienne y sont implantés. Les jeunes pratiquants rigoristes comme Ahmed, qui prient cinq fois par jour à la mosquée, sont surveillés de près.

    Quelque 2 000 islamistes présumés ont été arrêtés depuis 2003. "Parmi eux, certains se contentaient de faire la prière, de discuter, de regarder des sites Internet. Certains discutaient de la nécessité de soutenir les Irakiens. D'autres, peu nombreux, essayaient de partir. Mais, dans les dossiers, nous n'avons retrouvé aucune preuve de la préparation d'attentats", explique Radhia Nasraoui, avocate et présidente de l'Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT). Ahmed, lui, se dit pratiquant, pas militant. Il a peut-être cotoyé d'un peu trop près ces réseaux : son nom a été donné à la police par un autre jeune arrêté plus tôt.

    TROIS À QUATRE HEURES DE TORTURES QUOTIDIENNES

    Au ministère de l'intérieur, Ahmed est soumis quotidiennement à des séances de torture de plusieurs heures. Un médecin encadre les quatre tortionnaires pour s'assurer que le supplicié ne leur claque pas entre les doigts. Deux techniques sont privilégiées : celle du "bano", où l'on plonge la tête du détenu dans une bassine remplie d'eau et de produits chimiques ; et celle, à la fois humiliante et violente, du "poulet rôti". Nus et cagoulés, les détenus sont suspendus à un axe par les bras et les jambes, ils sont balancés la tête en bas pendant des heures, frappés à coups de bâtons et soumis à des décharges électriques derrière les oreilles, sous les aisselles et sur les testicules.


    Hélène Sallon
    Sa mère Rebeh a conservé les cadeaux qu'Ahmed lui a confectionnés, à partir de savons, durant sa détention.
    Après vingt-sept jours, le jeune homme est finalement transféré à la prison de Mornaguia, au sud-ouest de Tunis, où il est détenu pendant un an sans procès. Il réussit à avertir sa famille par le biais d'un codétenu libéré. Pendant un an, celle-ci est harcelée par la police politique, qui vient fouiller la maison presque chaque semaine, au milieu de la nuit. Les policiers vont jusqu'à chercher au lycée Sofiane, le plus jeune frère d'Ahmed, et empêchent Nizar, son autre frère, professeur de sport diplômé, de travailler. Plus personne ne leur parle, ni famille ni voisins, par peur de la police.

    UN PROCÈS EXPÉDITIF

    Lors de son procès, un avocat est commis d'office à Ahmed. Ni lui ni sa famille ne le rencontreront. "Les autorités n'ont apporté aucune preuve au procès, elles n'en avaient pas besoin : l'audience a duré quelques minutes et le juge l'a condamné pour appartenance à un réseau terroriste", relate Nizar. On joint au dossier les aveux faits au ministère de l'intérieur. "Ils nous ont fait signer une feuille blanche, explique Ahmed, si on ne signait pas, on était torturés". Le jeune homme est condamné à quatre ans de prison, assortis de cinq ans de contrôle administratif.

    Ahmed va passer une partie de ses années de prison en isolement, où on le soumet à de nouveaux sévices. Il lui est interdit d'adresser la parole aux prisonniers "non terroristes". L'heure de promenade quotidienne est sa seule occupation. Une fois par mois, un membre de sa famille lui rend visite. Dix à quinze minutes, derrière une vitre. "Ça m'a rendue malade de le savoir en prison, mais en même temps, j'étais fière, parce qu'il était emprisonné pour sa religion, pas parce qu'il avait commis un crime", confie sa mère Rebeh, des sanglots dans la voix.

    "SI JE VAIS À LA MOSQUÉE, JE SERAI EMPRISONNÉ"

    La révolution tunisienne a offert à Ahmed un avant-goût de liberté. Le 16 janvier, les autorités carcérales de Borj el-Amri laissent les détenus s'enfuir. Ahmed retourne auprès de sa famille, pour quelques jours, avant d'obtempérer à l'appel à la reddition lancé par le ministre de la justice. "Il ne lui restait que quatre mois avant sa libération légale, donc on l'a ramené le 21 janvier pour qu'il effectue sa peine et soit légalement libre", explique sa mère. A son retour en prison, le directeur l'accuse d'évasion et le torture, signe du maintien du régime Ben Ali bien après sa fuite.


    Hélène Sallon
    Ahmed ne va plus à la mosquée, de peur d'être à nouveau arrêté.
    Ahmed a aujourd'hui retrouvé d'autres compagnons d'infortune, libérés avant lui. Il veut porter son cas devant la justice pour que ses bourreaux soient jugés. Toujours sous le coup d'un contrôle administratif, il doit chaque jour signaler sa présence au poste de police. Les mêmes agents, déjà en place sous Ben Ali, l'y accueillent. Ils ne le harcèlent plus mais le jaugent d'un oeil menaçant. C'est l'heure de la prière, Ahmed se presse chez son ami Safouane. Plus question d'aller à la mosquée. "Si je vais à la mosquée, je serai emprisonné".

    Le Monde

  • #2
    Ils ont fait pareil en algérie au maroc lui peut s'estimer être encore en vie, des milliers sont tjrs portés disparus

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    • #3
      C'est degueulasse, en tout cas, il a de la chance d'etre en vie.

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