équelles du terrorisme, rente et déficit de société civile
Pourquoi les Algériens ne sont pas prêts à faire la «révolution»
L’effet «dominos» dans la sphère des pays arabes, tel qu’attendu par certains après la chute des présidents Ben Ali et Moubarak, ne risque pas de fonctionner à tous les coups. Malgré la similitude du rapport tendu entre gouvernants et gouvernés, certaines spécificités propres à chaque pays risquent de brouiller le tableau et d’oblitérer l’apparente uniformité des situations.
S’agissant de l’Algérie, deux facteurs majeurs ont tendance à atténuer l’«agressivité» des réactions des populations à ce que l’on peut appeler, par commodité de raisonnement, la «mal gouvernance». Il y a d’abord la tragédie nationale-dénomination administrative d’une décennie de terrorisme barbare- que les Algériens ne sont pas près d’oublier malgré les ambitions d’une certaine «élite» de l’opposition politique tendant à situer le débat dans un environnement post-terrorisme ou extra-terrorisme.
Les séquelles sont pourtant toujours là, même si elles sont peut-être enfouies au plus profond de l’être des personnes-elles sont des millions à avoir vécu cette funeste période. Ensuite, et nonobstant une situation de confusion sur le plan économique et de malaise sur le plan social, les Algériens ont, quels que soient les voies et les procédés, profité peu ou prou de la rente pétrolière.
La redistribution du revenu national est grevée de plusieurs distorsions et injustices. Mais, elle a indubitablement contribué à former une catégorie de gens «qui auraient quelque chose à perdre» dans une éventuelle situation de «révolution». Amel Boubekeur, chercheur à l’École des études en sciences sociales de Paris explique qu’en octobre 1988, «les gens n’avaient pas grande chose à perdre en descendant dans la rue. Aujourd’hui, une grande partie de la population reste exclue, mais un plus grand nombre d’Algériens est dans un rapport clientéliste avec l’État.
Beaucoup ont bénéficié de terrains, construit des villas, acheté de belles voitures, obtenu des crédits bancaires et ne veulent pas mettre ces acquis en danger. Ce n’est pas un hasard si, à chaque fois, la révolte part de quartiers populaires marginalisés» (El Watan du 16 janvier 2011). A cette situation de «frilosité» à faire saut dans l’inconnu, se greffe un grave déficit de structuration de l’espace public par ce qui est couramment appelé la société civile. Le concept de «société civile», promptement assimilé par les uns aux anciennes organisations de masse et par les autres aux nouveaux appendices de partis politiques, un magma d’associations et de groupements interlopes, est certainement l’un des syntagmes les plus malmenés dans notre pays. Ce sont un style et un discours pratiqués par les acteurs politiques, les médias publics et les titres privés sans «s’inquiéter» des écarts conceptuels ou des torts faits à la langue et surtout à l’idéal recherché.
Un système hégémonique comme celui qui avait régenté le pays pendant des décennies sous la férule du parti unique et à l’ombre de la rente pétrolière ne pouvait logiquement pas accoucher d’une société civile nourrie à la mamelle de la citoyenneté, irriguée par le sens de ses devoirs et mue par la revendication de ses droits. Les organisations de masse ligotées par l’article 120 de triste mémoire ne peuvent aucunement servir de paraongons d’organisations indépendantes et responsables. La société civile, concept historiquement franco-anglais qui consacra la montée de l’organisation et de l’exigence citoyennes en contre-pouvoir pour amortir les excès de ce «nouveau Léviathan» qu’est l’État, est un syntagme qui est crée pour désigner et nommer une réalité qui prend corps dans la gestion de la cité et non une insaisissable virtualité.
Depuis l’instauration du pluralisme politique et médiatique en Algérie, tous les groupes intéressés par la distribution de la rente et qui se meuvent dans une trajectoire centripète pour s’en approcher au maximum, tous les poujadistes et les lobbies, excroissance de la mafia, exerçant la surenchère sur les structures légales de l’État, donc tous ces faciès monstrueux de la nouvelle Algérie sont affublés de l’honorable titre de «société civile». Entre-temps, on aura non seulement explicitement dévié un concept de sa véritable acception, mais, pire, on aura consciemment ou inconsciemment commis une injustice historique vis-à-vis de tous ceux qui font l’Algérie réelle, l’Algérie du labeur et du savoir, souvent dans l’anonymat et l’humilité. L’embryon de la société civile n’est pas dû aux rentiers
-réels ou potentiels- du système, mais aux dignes fils de l’Algérie qui avaient fondé des associations dans la clandestinité pendant les années 80 ou qui, à l’image du regretté Boucebsi, ont honoré leurs corporations par un travail de proximité et de solidarité avec les démunis et les victimes de la détresse sociale
. Il en est de même avec les jeunes syndicalistes qui se battent pour l’agrément de leur organisation et pour la sauvegarde de l’outil de travail.
L’esquisse la plus révolutionnaire pour une future configuration de la véritable société civile suppose que ses animateurs ne sont candidats ni aux postes ni à la rente. C’est une véritable «zone tampon» entre l’État, en tant qu’instance de régulation et de coercition, et la société, en tant que tremplin de la promotion de chacun et de l’harmonie de tous.
Par Saâd Taferka
Pourquoi les Algériens ne sont pas prêts à faire la «révolution»
L’effet «dominos» dans la sphère des pays arabes, tel qu’attendu par certains après la chute des présidents Ben Ali et Moubarak, ne risque pas de fonctionner à tous les coups. Malgré la similitude du rapport tendu entre gouvernants et gouvernés, certaines spécificités propres à chaque pays risquent de brouiller le tableau et d’oblitérer l’apparente uniformité des situations.
S’agissant de l’Algérie, deux facteurs majeurs ont tendance à atténuer l’«agressivité» des réactions des populations à ce que l’on peut appeler, par commodité de raisonnement, la «mal gouvernance». Il y a d’abord la tragédie nationale-dénomination administrative d’une décennie de terrorisme barbare- que les Algériens ne sont pas près d’oublier malgré les ambitions d’une certaine «élite» de l’opposition politique tendant à situer le débat dans un environnement post-terrorisme ou extra-terrorisme.
Les séquelles sont pourtant toujours là, même si elles sont peut-être enfouies au plus profond de l’être des personnes-elles sont des millions à avoir vécu cette funeste période. Ensuite, et nonobstant une situation de confusion sur le plan économique et de malaise sur le plan social, les Algériens ont, quels que soient les voies et les procédés, profité peu ou prou de la rente pétrolière.
La redistribution du revenu national est grevée de plusieurs distorsions et injustices. Mais, elle a indubitablement contribué à former une catégorie de gens «qui auraient quelque chose à perdre» dans une éventuelle situation de «révolution». Amel Boubekeur, chercheur à l’École des études en sciences sociales de Paris explique qu’en octobre 1988, «les gens n’avaient pas grande chose à perdre en descendant dans la rue. Aujourd’hui, une grande partie de la population reste exclue, mais un plus grand nombre d’Algériens est dans un rapport clientéliste avec l’État.
Beaucoup ont bénéficié de terrains, construit des villas, acheté de belles voitures, obtenu des crédits bancaires et ne veulent pas mettre ces acquis en danger. Ce n’est pas un hasard si, à chaque fois, la révolte part de quartiers populaires marginalisés» (El Watan du 16 janvier 2011). A cette situation de «frilosité» à faire saut dans l’inconnu, se greffe un grave déficit de structuration de l’espace public par ce qui est couramment appelé la société civile. Le concept de «société civile», promptement assimilé par les uns aux anciennes organisations de masse et par les autres aux nouveaux appendices de partis politiques, un magma d’associations et de groupements interlopes, est certainement l’un des syntagmes les plus malmenés dans notre pays. Ce sont un style et un discours pratiqués par les acteurs politiques, les médias publics et les titres privés sans «s’inquiéter» des écarts conceptuels ou des torts faits à la langue et surtout à l’idéal recherché.
Un système hégémonique comme celui qui avait régenté le pays pendant des décennies sous la férule du parti unique et à l’ombre de la rente pétrolière ne pouvait logiquement pas accoucher d’une société civile nourrie à la mamelle de la citoyenneté, irriguée par le sens de ses devoirs et mue par la revendication de ses droits. Les organisations de masse ligotées par l’article 120 de triste mémoire ne peuvent aucunement servir de paraongons d’organisations indépendantes et responsables. La société civile, concept historiquement franco-anglais qui consacra la montée de l’organisation et de l’exigence citoyennes en contre-pouvoir pour amortir les excès de ce «nouveau Léviathan» qu’est l’État, est un syntagme qui est crée pour désigner et nommer une réalité qui prend corps dans la gestion de la cité et non une insaisissable virtualité.
Depuis l’instauration du pluralisme politique et médiatique en Algérie, tous les groupes intéressés par la distribution de la rente et qui se meuvent dans une trajectoire centripète pour s’en approcher au maximum, tous les poujadistes et les lobbies, excroissance de la mafia, exerçant la surenchère sur les structures légales de l’État, donc tous ces faciès monstrueux de la nouvelle Algérie sont affublés de l’honorable titre de «société civile». Entre-temps, on aura non seulement explicitement dévié un concept de sa véritable acception, mais, pire, on aura consciemment ou inconsciemment commis une injustice historique vis-à-vis de tous ceux qui font l’Algérie réelle, l’Algérie du labeur et du savoir, souvent dans l’anonymat et l’humilité. L’embryon de la société civile n’est pas dû aux rentiers
-réels ou potentiels- du système, mais aux dignes fils de l’Algérie qui avaient fondé des associations dans la clandestinité pendant les années 80 ou qui, à l’image du regretté Boucebsi, ont honoré leurs corporations par un travail de proximité et de solidarité avec les démunis et les victimes de la détresse sociale
. Il en est de même avec les jeunes syndicalistes qui se battent pour l’agrément de leur organisation et pour la sauvegarde de l’outil de travail.
L’esquisse la plus révolutionnaire pour une future configuration de la véritable société civile suppose que ses animateurs ne sont candidats ni aux postes ni à la rente. C’est une véritable «zone tampon» entre l’État, en tant qu’instance de régulation et de coercition, et la société, en tant que tremplin de la promotion de chacun et de l’harmonie de tous.
Par Saâd Taferka
Commentaire