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Algérie: le langage de l'émeute

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  • Algérie: le langage de l'émeute

    Marc Thibodeau, envoyé spécial
    La Presse


    (Algérie) L'Algérie, terre de paradoxes au passé sanglant, peut-elle basculer dans la révolution comme l'ont fait la Tunisie et l'Égypte? Le sujet divise les habitants de ce gigantesque pays nord-africain, régulièrement secoué par des éruptions de colère que les détracteurs du président Abdelaziz Bouteflika aimeraient canaliser dans un mouvement de contestation de grande ampleur, relate notre envoyé spécial.

    Bou Ismaïl Fatiha empoigne le portrait d'Abdelfettah Akriche qui trône dans le salon et l'embrasse avec émotion. «C'est mon fils... Il est parti une demi-heure et je ne l'ai pas revu vivant», confie la femme de 65 ans en refoulant ses sanglots.

    Son mari, Hocine, précise: «Il était inquiet pour son frère après avoir entendu des tirs au centre de la ville. Il m'a dit qu'il allait le chercher pour être certain qu'il ne lui arriverait rien. J'ai vu son corps ensuite. Il avait le visage couvert de sang. Il a été tué d'une balle à la tête», souligne le vieil homme.

    Abdelfettah, qui travaillait comme agent de sécurité, est tombé accidentellement, victime début janvier d'un affrontement entre des jeunes et les forces de l'ordre.

    La petite ville côtière de Bou Ismaïl, à une quarantaine de kilomètres à l'ouest d'Alger, est régulièrement la scène d'émeutes qui peuvent éclater pour un rien, dit le réalisateur Jaoudet Gassouma, qui y habite.

    Faute de disposer de relais efficaces auprès des autorités, peu attentives à leurs doléances, jeunes et moins jeunes descendent dans la rue pour donner libre cours à leurs frustrations. «Ça devient une forme de langage», explique M. Gassouma.

    Hamza, 18 ans, croisé dans un quartier populaire, participait à la manifestation dans laquelle Abdelfettah Akriche a été tué. Selon lui, un policier, pris de panique après avoir reçu une pierre au visage, a sorti son arme et a tiré.

    Il évoque avec colère les maux qui minent Bou Ismail: manque d'emplois, problèmes de logement, népotisme, sentiment d'abandon. «Même si je me plains, je n'aurai jamais rien», dit-il.

    Son exaspération n'a rien d'original dans ce pays de 35 millions d'habitants qui semble en ébullition permanente. Depuis des mois, l'actualité est ponctuée de sit-in, de grèves, de blocages de route et d'affrontements que le gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika s'efforce de contenir.

    Malgré les richesses pétrolières et gazières du pays, un grand nombre d'Algériens triment pour survivre au quotidien, dans de petits boulots qui les rendent particulièrement sensibles aux fluctuations du cours des produits de base. Des centaines de milliers de jeunes arrivent sur le marché du travail chaque année et peinent à y trouver une place.

    Cela, joint au régime autoritaire en place depuis 12 ans, pourrait donner lieu à un mouvement de contestation comme ce qu'on a vu en Tunisie et en Égypte. C'est du moins ce qu'espère la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), un regroupement de partis politiques et de groupes de la société civile qui a organisé une marche à Alger samedi dernier.

    Interdite par les autorités, qui ont mobilisé 30 000 policiers pour l'occasion, la manifestation a regroupé quelques milliers de personnes qui sont restées bloquées sur la place du Premier Mai, au coeur de la capitale.

    Les membres de la CNCD ont prévu une autre marche aujourd'hui, qui doit partir du même endroit. Fodil Boumala, écrivain, journaliste et l'un des fondateurs du mouvement, espère que la participation populaire va augmenter maintenant que le «mur de la peur est tombé».

    «Nous demandons le départ effectif du pouvoir actuel, incarné par Bouteflika et ses hommes, et de ceux qui l'ont amené au pouvoir, la caste militaire», souligne M. Boumala, qui accuse le régime d'avoir «mis le pays à terre» par la corruption et la répression des libertés individuelles.

    Pour calmer les velléités contestataires, le gouvernement a annoncé qu'il lèverait avant la fin du mois l'état d'urgence décrété en 1992. Le premier ministre Ahmed Ouyahia, qui a assuré qu'il fallait «apporter des solutions adéquates aux problèmes de la jeunesse algérienne», a promis de nouvelles mesures pour le logement et l'emploi.

    Les journaux proches du gouvernement critiquent avec virulence les opposants au régime ainsi que les observateurs extérieurs qui évoquent la possibilité d'une répétition des scénarios tunisien et égyptien.

    Le journal La Liberté prévient pour sa part que l'Algérie n'échappera pas au fait que le monde arabe est en train de changer de visage par «la recette des révolutions pacifiques».

    Le régime, lui, mise sur le fait que l'opposition demeure divisée et affaiblie par des années de répression.

    Nombre d'Algériens affirment par ailleurs qu'ils disposent d'une plus grande liberté d'expression que dans les pays qui se sont révoltés. «Ce n'est pas une dictature, ici. On n'est pas arrivé au niveau de l'Égypte et de la Tunisie», insiste Abdel Madjid, Algérois de 21 ans.

    Les gens ne veulent pas retourner à l'époque de la guerre civile, ajoute le jeune homme: une part importante de la population craint les conséquences d'une nouvelle période d'instabilité politique.

    Le gouvernement dispose, enfin, de vastes réserves financières grâce aux revenus que génèrent les hydrocarbures: cela lui permet d'intervenir au cas par cas pour tenter de calmer les esprits. C'est ce qu'il a fait début janvier en faisant chuter les prix de l'huile végétale et du sucre après plusieurs jours de manifestations violentes.

    Le boom pétrolier a permis de renflouer les coffres de l'État, qui peine, malgré d'importants programmes d'investissements, à soutenir le développement d'une économie diversifiée. Il a aussi favorisé la corruption, devenue endémique.
    À terme, Fodil Boumala, de la CNCD, demeure convaincu que les travers du régime algérien auront raison du président Bouteflika et de son entourage.

    «Nous n'avons pas dit que nous allions le faire tomber en 1 semaine ou en 15 jours, mais nous y allons y parvenir», promet-il.
    "Quand le dernier arbre aura été abattu - Quand la dernière rivière aura été empoisonnée - Quand le dernier poisson aura été péché - Alors on saura que l'argent ne se mange pas." Geronimo
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