Le rôle des Etats-Unis dans les révoltes de la rue arabe: le cas de l’Egypte
Ahmed Bensaada
Il n’y a rien de plus émouvant que de voir un peuple recouvrer sa liberté après avoir subi le joug du despotisme et retrouver sa fierté après des années d’humiliation. Les marées humaines défilant dans les rues, occupant des places, déployant des slogans cinglants et irrévérencieux, maniant une parole si longtemps confisquée, arborant une dignité outrageusement bafouée : la quintessence du bonheur divin.
Mais les lendemains de ces révoltes nous laissent quelque peu perplexes. Qu’ont-elles accompli à part l’étêtement des régimes en place?
Voyons voir. En Tunisie : un Ghannouchi qui reste en place malgré la vindicte populaire et des années passées à servir un système mafieux, un bloggeur qui décide de siéger comme ministre dans un gouvernement qui l’a personnellement maltraité et des milliers de jeunes harragas qui préfèrent fuir vers l’Occident au lieu de perpétuer la « révolution » au pays du jasmin. Du côté du Nil, même scénario : un Tantaoui, pur produit du système, qui a dépassé l'âge de la retraite depuis belle lurette, et qui, sans en référer au peuple souverain, décide de maintenir ses relations avec Israël avant même de s’inquiéter du sort de ses propres concitoyens; un gouvernement légèrement modifié et dont les postes clés restent toujours aux mains des apparatchiks du système; des retouches cosmétiques de la constitution et une demande de gel des avoirs de la famille Moubarak après d’incompréhensibles hésitations, bien longtemps après celle des anciens dignitaires du régime .
Est-ce cela une « révolution »? Est-il pensable que l’éléphant n’aurait accouché que d’une petite souris?
Les résultats mitigés de ces révoltes ne peuvent être compris qu’en examinant leur genèse. La plupart des spécialistes « cathodiques » ou officiant dans les médias majeurs se sont entendus sur la nature spontanée de ces mouvements. Grosso modo, le peuple peut être considéré comme un genre de cocotte-minute susceptible d’exploser sous l’effet d’une pression sociale et politique trop grande. Cette explosion produit une réaction en chaîne dans les pays avoisinants, de culture ou d’histoire similaires. Il suffit donc d’attendre sagement, de préparer les caméras et les micros afin de couvrir, en temps et lieux, les évènements que remueront les rues arabes. Il s’agit là d’une analyse naïve et primaire qu’il est difficile d’accepter de la part de personnes savantes, titulaires de chaires, responsables de revues, qui ont passé leurs vies à scruter les moindres soubresauts de cette région du monde. Un peu comme les illustres économistes de notre temps qui n’ont pas pu prévoir l’immense crise économique que le monde a récemment connue. Qu’aurait-on dit si un météorologue n’aurait pas prévu un gigantesque ouragan?
En fait, ce qui attire l'attention depuis le début des émeutes tunisiennes, c’est la trop grande préoccupation étasunienne concernant les nouvelles technologies. Les multiples interventions du président Obama et de sa secrétaire d’état pour défendre la liberté d'accès à Internet et leur insistance pour que les régimes en prise avec les manifestations populaires n’interrompent pas la navigation sur la toile avaient quelque chose de suspect.
Mme Clinton a même affirmé, le 15 février dernier, « qu’Internet est devenu l'espace public du XXI siècle » et que « les manifestations en Égypte et en Iran, alimentées par Facebook, Twitter et YouTube reflétaient la puissance des technologies de connexion en tant qu'accélérateurs du changement politique, social et économique ». Elle a même annoncé le déblocage de 25 millions de dollars « pour soutenir des projets ou la création d'outils qui agissent en faveur de la liberté d'expression en ligne », et l’ouverture de comptes Twitter en chinois, russe et hindi après ceux en persan et en arabe. D’autre part, les relations « complexes » entre le département d’État américain et Google ont été longuement discutées dans la presse. D’ailleurs, le fameux moteur de recherche à été qualifié « d’arme de la diplomatie américaine ».
Mais quelle est la relation entre le gouvernement américain et ces nouvelles technologies? Pourquoi des responsables de si haut niveau prennent-ils des décisions dans la gestion d’entreprises qui sont supposées être privées? Cette situation n’est pas sans nous rappeler l’intervention américaine similaire lors des évènements qui ont suivi les élections en Iran . Le ministère américain des Affaires étrangères avait alors demandé à Twitter de reporter une opération de maintenance qui aurait entraîné une interruption de service, ce qui aurait privé les opposants iraniens de moyen de communication.
Ces curieuses accointances entre le gouvernement américain et les réseaux sociaux dans des régions du monde aussi sensibles et pendant des évènements sociaux aussi délicats est très suspect, c’est le moins qu’on puisse dire.
Autre élément qui attire l'attention : la surmédiatisation de bloggeurs, leur association avec une révolution qualifiée de « facebookienne » et l’insistance sur leur non-appartenance à un mouvement politique quelconque. Ce sont donc des personnes jeunes et apolitiques qui utilisent les nouvelles technologies pour déstabiliser des régimes autocratiques ancrés dans le paysage politiques depuis des décennies.
Mais d’où viennent ces jeunes et comment peuvent-ils mobiliser autant de personnes sans avoir bénéficié d’une formation adéquate ni être relié à une organisation précise?
Chose est certaine : le modus opérandi de ces révoltes a toutes les caractéristiques des révolutions colorées qui ont secoué les pays de l’Est au début des années 2000.
Les révolutions colorées
Les révoltes qui ont bouleversé le paysage politique des pays de l’Est ou des ex-républiques soviétiques ont été qualifiées de « révolutions colorées ». La Serbie (2000), la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le Kirghizistan (2005) en sont quelques exemples.
Toutes ces révolutions, qui se sont soldées par des succès retentissants, sont basées sur la mobilisation de jeunes activistes locaux pro-occidentaux, étudiants fougueux, blogueurs engagés et insatisfaits du système.
De nombreux articles et un remarquable documentaire de la reporter française Manon Loizeau ont disséqué le mode opératoire de ces révoltes et montré que c’était les États-Unis qui en tiraient les ficelles.
En fait, l’implication de l'USAID, du National Endowment for Democracy (NED), de l’International Republican Institute, du National Democratic Institute for International Affairs, de Freedom House, de l’Albert Einstein Institution et de l’Open Society Institute (OSI), a été clairement établie. Ces organisations sont toutes américaines, financées par soit le budget américain, soit par des capitaux privés américains. À titre d’exemple, la NED est financée par un budget voté par le Congrès et les fonds sont gérés par un Conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat AFL-CIO, alors que l’OSI fait partie de la Fondation Soros, du nom de son fondateur George Soros le milliardaire américain, illustre spéculateur financier.
Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire les révoltes colorées. Parmi eux, OTPOR (Résistance en serbe) est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Milosevic. Le logo d’OTPOR, un poing fermé, a été repris par tous les mouvements subséquents, ce qui suggère la forte collaboration entre eux.
Dirigé par Drdja Popovic, OTPOR prône l’application de l'idéologie de résistance individuelle non violente théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp. Surnommé le « Machiavel de la non-violence », Gene Sharp n’est autre que le fondateur de l’Albert Einstein Institution. Son ouvrage « From Dictatorship to Democracy » (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées. Disponible en 25 langues différentes (dont bien sûr l’arabe), ce livre est consultable gratuitement sur Internet et sa dernière édition date de 2010. Sa première édition, destinée aux dissidents birmans de Thaïlande, a été publiée en 1993.
Ahmed Bensaada
Il n’y a rien de plus émouvant que de voir un peuple recouvrer sa liberté après avoir subi le joug du despotisme et retrouver sa fierté après des années d’humiliation. Les marées humaines défilant dans les rues, occupant des places, déployant des slogans cinglants et irrévérencieux, maniant une parole si longtemps confisquée, arborant une dignité outrageusement bafouée : la quintessence du bonheur divin.
Mais les lendemains de ces révoltes nous laissent quelque peu perplexes. Qu’ont-elles accompli à part l’étêtement des régimes en place?
Voyons voir. En Tunisie : un Ghannouchi qui reste en place malgré la vindicte populaire et des années passées à servir un système mafieux, un bloggeur qui décide de siéger comme ministre dans un gouvernement qui l’a personnellement maltraité et des milliers de jeunes harragas qui préfèrent fuir vers l’Occident au lieu de perpétuer la « révolution » au pays du jasmin. Du côté du Nil, même scénario : un Tantaoui, pur produit du système, qui a dépassé l'âge de la retraite depuis belle lurette, et qui, sans en référer au peuple souverain, décide de maintenir ses relations avec Israël avant même de s’inquiéter du sort de ses propres concitoyens; un gouvernement légèrement modifié et dont les postes clés restent toujours aux mains des apparatchiks du système; des retouches cosmétiques de la constitution et une demande de gel des avoirs de la famille Moubarak après d’incompréhensibles hésitations, bien longtemps après celle des anciens dignitaires du régime .
Est-ce cela une « révolution »? Est-il pensable que l’éléphant n’aurait accouché que d’une petite souris?
Les résultats mitigés de ces révoltes ne peuvent être compris qu’en examinant leur genèse. La plupart des spécialistes « cathodiques » ou officiant dans les médias majeurs se sont entendus sur la nature spontanée de ces mouvements. Grosso modo, le peuple peut être considéré comme un genre de cocotte-minute susceptible d’exploser sous l’effet d’une pression sociale et politique trop grande. Cette explosion produit une réaction en chaîne dans les pays avoisinants, de culture ou d’histoire similaires. Il suffit donc d’attendre sagement, de préparer les caméras et les micros afin de couvrir, en temps et lieux, les évènements que remueront les rues arabes. Il s’agit là d’une analyse naïve et primaire qu’il est difficile d’accepter de la part de personnes savantes, titulaires de chaires, responsables de revues, qui ont passé leurs vies à scruter les moindres soubresauts de cette région du monde. Un peu comme les illustres économistes de notre temps qui n’ont pas pu prévoir l’immense crise économique que le monde a récemment connue. Qu’aurait-on dit si un météorologue n’aurait pas prévu un gigantesque ouragan?
En fait, ce qui attire l'attention depuis le début des émeutes tunisiennes, c’est la trop grande préoccupation étasunienne concernant les nouvelles technologies. Les multiples interventions du président Obama et de sa secrétaire d’état pour défendre la liberté d'accès à Internet et leur insistance pour que les régimes en prise avec les manifestations populaires n’interrompent pas la navigation sur la toile avaient quelque chose de suspect.
Mme Clinton a même affirmé, le 15 février dernier, « qu’Internet est devenu l'espace public du XXI siècle » et que « les manifestations en Égypte et en Iran, alimentées par Facebook, Twitter et YouTube reflétaient la puissance des technologies de connexion en tant qu'accélérateurs du changement politique, social et économique ». Elle a même annoncé le déblocage de 25 millions de dollars « pour soutenir des projets ou la création d'outils qui agissent en faveur de la liberté d'expression en ligne », et l’ouverture de comptes Twitter en chinois, russe et hindi après ceux en persan et en arabe. D’autre part, les relations « complexes » entre le département d’État américain et Google ont été longuement discutées dans la presse. D’ailleurs, le fameux moteur de recherche à été qualifié « d’arme de la diplomatie américaine ».
Mais quelle est la relation entre le gouvernement américain et ces nouvelles technologies? Pourquoi des responsables de si haut niveau prennent-ils des décisions dans la gestion d’entreprises qui sont supposées être privées? Cette situation n’est pas sans nous rappeler l’intervention américaine similaire lors des évènements qui ont suivi les élections en Iran . Le ministère américain des Affaires étrangères avait alors demandé à Twitter de reporter une opération de maintenance qui aurait entraîné une interruption de service, ce qui aurait privé les opposants iraniens de moyen de communication.
Ces curieuses accointances entre le gouvernement américain et les réseaux sociaux dans des régions du monde aussi sensibles et pendant des évènements sociaux aussi délicats est très suspect, c’est le moins qu’on puisse dire.
Autre élément qui attire l'attention : la surmédiatisation de bloggeurs, leur association avec une révolution qualifiée de « facebookienne » et l’insistance sur leur non-appartenance à un mouvement politique quelconque. Ce sont donc des personnes jeunes et apolitiques qui utilisent les nouvelles technologies pour déstabiliser des régimes autocratiques ancrés dans le paysage politiques depuis des décennies.
Mais d’où viennent ces jeunes et comment peuvent-ils mobiliser autant de personnes sans avoir bénéficié d’une formation adéquate ni être relié à une organisation précise?
Chose est certaine : le modus opérandi de ces révoltes a toutes les caractéristiques des révolutions colorées qui ont secoué les pays de l’Est au début des années 2000.
Les révolutions colorées
Les révoltes qui ont bouleversé le paysage politique des pays de l’Est ou des ex-républiques soviétiques ont été qualifiées de « révolutions colorées ». La Serbie (2000), la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le Kirghizistan (2005) en sont quelques exemples.
Toutes ces révolutions, qui se sont soldées par des succès retentissants, sont basées sur la mobilisation de jeunes activistes locaux pro-occidentaux, étudiants fougueux, blogueurs engagés et insatisfaits du système.
De nombreux articles et un remarquable documentaire de la reporter française Manon Loizeau ont disséqué le mode opératoire de ces révoltes et montré que c’était les États-Unis qui en tiraient les ficelles.
En fait, l’implication de l'USAID, du National Endowment for Democracy (NED), de l’International Republican Institute, du National Democratic Institute for International Affairs, de Freedom House, de l’Albert Einstein Institution et de l’Open Society Institute (OSI), a été clairement établie. Ces organisations sont toutes américaines, financées par soit le budget américain, soit par des capitaux privés américains. À titre d’exemple, la NED est financée par un budget voté par le Congrès et les fonds sont gérés par un Conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat AFL-CIO, alors que l’OSI fait partie de la Fondation Soros, du nom de son fondateur George Soros le milliardaire américain, illustre spéculateur financier.
Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire les révoltes colorées. Parmi eux, OTPOR (Résistance en serbe) est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Milosevic. Le logo d’OTPOR, un poing fermé, a été repris par tous les mouvements subséquents, ce qui suggère la forte collaboration entre eux.
Dirigé par Drdja Popovic, OTPOR prône l’application de l'idéologie de résistance individuelle non violente théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp. Surnommé le « Machiavel de la non-violence », Gene Sharp n’est autre que le fondateur de l’Albert Einstein Institution. Son ouvrage « From Dictatorship to Democracy » (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées. Disponible en 25 langues différentes (dont bien sûr l’arabe), ce livre est consultable gratuitement sur Internet et sa dernière édition date de 2010. Sa première édition, destinée aux dissidents birmans de Thaïlande, a été publiée en 1993.
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