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Les jeux ignobles de la corruption

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  • Les jeux ignobles de la corruption

    Par Ahmed Cheniki
    L’hebdomadaire satirique français, Le Canard enchaîné, le journal le plus crédible de la presse française, semble s’intéresser sérieusement aux responsables algériens et aux biens qu’ils détiennent en France.
    Dans sa dernière livraison, il a révélé une information qui circulait déjà sur le Net à propos d’appartements et de propriétés que posséderait le ministre, Chérif Rahmani. Pour le moment, aucune réaction de l’intéressé. Il serait question, selon une information publiée dans un quotidien français, de la publication prochaine d’une série d’enquêtes sur la corruption dans les pays du Maghreb, ciblant notamment les propriétés et comptes bancaires de certains responsables. Des pétitions circulent sur le Net. Décidément, la corruption est désormais à la mode. Tout le monde en parle avec une déconcertante facilité. Si pendant une longue période, les langues étaient en quelque sorte chloroformées, parce que le sujet était tout simplement tabou et n’était évoqué que par les décideurs qui avaient pignon sur pouvoir total, cherchant souvent à fragiliser leurs possibles opposants au sein du pouvoir censé être trop blanc, mais marqué du sceau d’une virginité douteuse. Il aura fallu l’événement majeur d’Octobre 1988 pour qu’un exclu du pouvoir, muet comme une carpe du temps où il dirigeait la planification et le gouvernement, dégoupille son explosif des 26 milliards de dollars qui fera beaucoup de bruits, mettant une fois pour toutes en pièces ce secret de polichinelle et une gestion trop opaque et trop peu crédible, aux yeux d’une population qui s’était attaquée, en connaissance de cause, en octobre 88, aux espaces symboliques de la corruption. Les Algériens savaient donc et ne se lassaient pas de montrer du doigt la voyante plaie de la corruption que les uns et les autres avaient tenté de dissimuler en l’enveloppant de généralités et d’opérations ponctuelles dont l’objectif avait toujours été de détourner le regard. Ces entreprises de détournement du regard ne sont pas récentes. Elles ont marqué toutes les phases d’un pouvoir fermé, n’admettant aucune critique et fonctionnant en autarcie, dans une opacité totale favorisant la privatisation d’un Etat appelé à servir d’ersatz à des structures institutionnelles vidées de leur puissance symbolique. Le discours autocratique neutralisait paradoxalement l’appareil étatique en le rendant otage de pratiques informelles de pouvoir engendrant de multiples micro-pouvoirs favorisant des pratiques peu orthodoxes bénéficiant d’une tentante immunité tribale, clientéliste ou familiale. L’informel fonctionne comme la négation de l’Etat et l’espace d’un pouvoir fondé sur la tradition orale et n’accordant que trop peu de place à un texte considéré comme une parole verbeuse, servant exclusivement à légitimer un discours préalable. L’Etat formel devenait presque caduc. Les responsables, souvent nommés sur la base d’impératifs clientélistes et népotiques, faisaient, dans de nombreux cas, fonction de commis de personnes physiques, excluant des travées ordinaires les missions régaliennes de l’Etat. L’expression «commis de l’Etat» prenait subrepticement les chemins de l’exclusion. Les jeux de la corruption traversent donc toutes les contrées d’un espace administratif et politique, consolidé par la multiplication de nouvelles alliances, surtout familiales, régionales et tribales, se jouant d’une rente pétrolière trop mal prise en charge par les gouvernants successifs se neutralisant continuellement et faisant de l’Algérie un pays où les choses n’ont souvent pas dépassé l’éternel recommencement. Le pétrole se voyait devenir le lieu d’une grande blessure : camions et navires à l’air libre. Toutes ces situations sont le produit d’une politique s’articulant autour d’une absence de transparence et la sujétion du grand nombre condamné à se soumettre, répression aidant. Les choses n’ont pas fondamentalement changé dans une Algérie où, quotidiennement, la presse dévoile de nombreux cas de détournement dans des banques, des postes et des entreprises publiques comme si les voleurs savaient qu’ils étaient à l’abri de poursuites. Sans compter les grosses affaires dont la presse est incapable d’en parler. Habituée à ces tournantes opérations «anticorruption» qui émaillent souvent les débuts de règne de tel ou tel président, la population n’y croit plus et écoute, quand elle ne nargue pas les espaces officiels du pouvoir en boudant la chaîne nationale se démultipliant tout en étant trop unique, un chef de gouvernement ou un ministre de la Justice, s’époumonant à soliloquer, répétant à l’envi que cette fois-ci, c’est la meilleure. Comment le chef du gouvernement actuel peut-il faire admettre ses bonnes intentions quand, alors en charge du département de la Justice, il avait mis en prison des cadres pour «corruption» qui vont être blanchis et parfois promus quelque temps après alors qu’il siège toujours à la tête du gouvernement ? Pour beaucoup d’Algériens, l’affaire Khalifa n’en est pas une et ne serait qu’un simple règlement de comptes. Comme d’ailleurs l’histoire du colonel Beloucif. La suspicion et le déficit de confiance sont énormes. Ce qui est extraordinaire, c’est que Abdelmoumène Khalifa dont on dit aujourd’hui que l’argent provenait des caisses de l’Etat, subtilisées par son père, Laroussi, était courtisé par des responsables de l’Etat et des patrons de presse qui trouvaient en lui un homme qui distribuait facilement billets, prébendes, cadeaux et postes pour les uns et les autres contre de menus services. Des hommes influents tournaient autour de ce «patron» voué aux gémonies par ses anciens adorateurs, une fois assommé. C’est la dure épreuve de la vie et du pouvoir. Le virtuel et désormais dérangeant ami de Depardieu, de Khaled et de quelques journalistes et patrons de presse algériens est devenu infréquentable et tellement trop peu crédible qu’il n’arrête pas de désarçonner le syndicat UGTA et d’autres entreprises et personnalités craignant un inquiétant raz-de-marée. Beaucoup de monde se retourne désormais contre ce monsieur alors que la presse publique et privée n’arrêtait pas de célébrer ses charmes et sa réussite. Le cas «Khalifa» n’est pas unique. Les derniers scandales de Sonatrach, de BRC, de l’autoroute Est-Ouest et d’autres affaires donnent à voir un pays sérieusement marqué par la plaie de la corruption. Dans les dépêches diplomatiques de Wiki- Leaks, concernant l’Algérie, il a, bien entendu, été question de ce fléau qui, depuis 1962, caractérise les territoires de l’ordinaire dénués de légitimité. Ce qui favorise ce type de pratiques très à l’aise dans les jeux de la clandestinité et de l’autoritarisme. En Algérie, la vox populi considère tout responsable ou «élu» comme un «voleur» en puissance. De nombreuses blagues et d’extraordinaires dictons vont dans ce sens. Un peu partout, on sort des dossiers sur des trafics sur l’immobilier, le foncier ou des opérations malsaines de récupération des biens ou de vente de locaux et de logements OPGI. Les biens de l’Etat algérien en France sont désormais aux abonnés absents, squattés. Ce phénomène n’est pas récent dans notre pays. Déjà, au temps de la colonisation, l’administration proposait des privilèges contre de l’argent ou des biens de consommation. Mais bien avant l’occupation française, la corruption marquait le quotidien. C’est une réalité universelle qui marque toutes les sociétés. Chez nous, la colonisation n’a pas arrangé les choses en en faisant une véritable ligne de conduite. Juste après l’indépendance, certains avaient commencé à marchander pour occuper des «biens vacants». C’était la belle aubaine. Certes, les moyens n’étaient pas conséquents, mais déjà, on entamait le jeu de la débrouille qu’une société, trop rurale, marquée par des habitudes peu commodes, acceptait facilement. Et au lendemain de l’indépendance, certains responsables grossissaient à vue d’œil à tel point qu’on avait parlé de trafic et de vol du fameux «Sandouk ettadamoun». Ainsi, la corruption inaugurait une Algérie délivrée de la colonisation. Les rumeurs investissaient la cité. On avait, à l’époque, accusé Khider, Boumaza et Mahsas. Tout le monde en parlait. Ces trois anciens responsables n’avaient pas le droit de se défendre. Khider finit par être assassiné à Madrid. Boumaza rentre à Alger par la grande porte en occupant le poste de président d’un Sénat toujours en quête de béquilles. Mahsas retourne tranquillement, lavé de tout soupçon, au pays. Chaque fois que des conflits ou des démissions investissaient le sérail, le «dossier» de la corruption est ouvert. On ne sait plus rien de la réalité des choses. La politique algérienne a ses singulières raisons que seuls les puissants du jour arrivent à déchiffrer. Les jeux de la clandestinité n’arrivent pas encore à quitter les sentiers d’une gestion trop opaque interdisant toute ouverture démocratique réelle et pérennisant des pratiques mettant en marge toute idée de participation concrète d’élites condamnées à l’exil ou à un silence pesant, muant l’université en un espace peuplé d’un trop grand nombre de spécialistes de l’applaudimètre convoqués pour diverses circonstances. Paradoxalement, ce sont ceux qui applaudissaient l’«industrialisation industrialisante», désormais convertis en fervents adeptes du discours néolibéral qui ressortent les dégâts d’une époque trop sombre, à leurs yeux. Certes, c’est avec le démarrage de la fameuse politique industrielle que la corruption allait dominer sérieusement le paysage national. Avec la construction de grandes usines, le jeu des contrats donnait lieu à de juteuses transactions. Déjà, avant la mise en chantier, des offres sont faites par des entreprises européennes qui savaient par quel bout du nez prendre certains responsables algériens. Ces transactions rapportaient et rapportent toujours des milliards en devises fortes à leurs bénéficiaires. L’histoire de l’autoroute ou de ces festivals-bidons posent sérieusement problème, devant exiger des enquêtes pointues. Ce sont surtout les intermédiaires ou les commissionnaires qui réussissaient à gagner le gros lot. Les sociétés nationales donnaient naissance à des centaines de sous-traitants, souvent recrutés dans la «clientèle» au bras long, qui s’enrichissaient légalement en se faisant choisir par l’entreprise comme des partenaires privilégiés.
    "La chose la plus importante qu'on doit emporter au combat, c'est la raison d'y aller."

  • #2
    Suite

    Le jeu des prête-noms investissait le terrain. Les entreprises publiques du bâtiment construisaient gracieusement villas et locaux commerciaux aux responsables. De nombreux responsables étaient parfois rétribués contre leur silence. Même Boumediene arrivait à soudoyer des responsables en leur donnant le choix entre l’enrichissement et le pouvoir. Certains ont opté tout simplement pour les affaires avec les dinars de l’Algérie. Mais malgré cette manière de faire, les choses s’étaient aggravées. Ce qui avait poussé Boumediene à justifier la corruption en disant qu’il était normal pour quelqu’un qui travaillait dans le miel d’y goûter. Cette malheureuse image correspondait tout simplement à la réalité de l’Algérie où les postes-clés de l’économie se marchandaient à l’orée des privilèges et des territoires à occuper. En 1974, Boumediene avait vacillé face à des hommes qu’il a contribué à enrichir. Ce qui allait le pousser à prononcer ses trois discours de Constantine, Tizi Ouzou et de Tlemcen où il avait fustigé des «corrompus » qui se trouveraient dans les rouages de l’Etat sans aller jusqu’à nommer les personnes incriminées. Ainsi, lançait-il un message à ses possibles adversaires qui seraient dénoncés au cas où ils manœuvreraient contre son pouvoir. A la fin des années 1970 et au début des années 1980, le ministère de l’Industrie avait, comble de la niaiserie, approché des gouvernements européens leur demandant de lui communiquer des noms de «corrompus » algériens, ignorant que le couple corrompu-corrupteur constituait une paire dialectique. Il est tout à fait clair que le ministère n’a reçu aucune réponse. Belaid Abdeslam a vainement réédité la même expérience, une fois chef du gouvernement en 1993. De nombreux Algériens ont désormais investi à l’étranger. C’est surtout vers les années 1980 que les choses s’étaient tragiquement aggravées à tel point qu’un ancien chef du gouvernement, Abdelhamid Brahimi, avait évoqué le détournement de près de 26 milliards de dollars. Cette information avait suscité de très nombreuses réactions et avait même été utilisée dans les campagnes électorales. Pour certains, c’était une opération politique sous-tendue par une attitude rancunière et vindicative, et pour d’autres, c’était tout simplement vrai dans la mesure où l’information était fournie par un homme du sérail. Les conséquences des propos de Brahimi allaient marquer gravement la société. Les «gens» du peuple connaissaient relativement la fortune des uns et des autres, mais ne pouvaient s’exprimer librement. En 1976, lors des discussions de la charte nationale, les Algériens avaient surtout insisté sur ce point. En 1988, lors des émeutes d’Octobre, les cibles étaient constituées de lieux connus comme des espaces de corruption. De nombreux actes commençaient à être monnayés : permis de conduire, de construire, affectations à l’université, concours, décisions de logements, emploi. Même des lois sont revenues à la rescousse de cette pratique qui n’arrête pas d’ankyloser la vie publique. La loi sur la cession des biens de l’Etat qui a certes bénéficié également aux couches moyennes a été adoptée essentiellement au profit d’apparatchiks qui pouvaient se payer des villas immenses avec quelques centaines de dinars. Ainsi, la solidarité tribale jouait également un rôle extraordinaire dans ce type de pratiques. Tel responsable procurait à tel autre du même lieu terrain ou locaux. En Algérie, l’image métaphorique «le caf » (équivalent de pot de vin) fait fonction de lieu presque normal dans une société travaillée par des réflexes ordinaires. La tricherie et la corruption s’étaient donné l’accolade lors du séisme d’El-Asnam en 1980 où la composante des matériaux de construction des immeubles de certains quartiers était traficotée par des entrepreneurs qui avaient construit ces logements avant le tremblement. Les assemblées élues ont toujours été les lieux centraux de la corruption : gestion des logements sociaux, fournitures de services en tous genres, terrains, marchés juteux et rentes de situation confortablement assurées par des réseaux d’alliance, d’intérêt et de tribu. Le jeu des fausses factures n’est pas absent du terrain. Le logement social a beaucoup engendré ce type de pratiques. D’ailleurs, de nombreux walis, au temps où ils pouvaient disposer de leur quota discrétionnaire des 10%, avaient exagérément abusé de leurs prérogatives. Il y a quelques années, un wali a été condamné à une année de prison pour avoir offert une vingtaine de décisions de logement vierges à un «bras long» qui lui aurait donné un coup de pouce pour le poste de wali. Donc, il est naturellement redevable envers ce «bienfaiteur». Beaucoup de responsables de banques risqueraient de connaître de sérieux problèmes : crédits, prêts, lignes de crédit. Les scandales touchant ces dernières années de nombreuses structures bancaires plaident naturellement pour une refonte totale du système financier. La privatisation est également un espace propice à la corruption. Jusqu’à présent, la presse n’a pas du tout enquêté sur des affaires de corruption (Institut Pasteur, Emir- Abdelkader, métro…). Certes, elle a reproduit les réactions après l’affaire des «26 milliards» et les débats à l’APN sans aller au fond des choses. Ce qui serait naturellement risqué. Hamrouche, alors Premier ministre, sort une liste de gens ayant bénéficié de terres agricoles alors qu’ils n’en avaient pas droit.
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    • #3
      Suite et fin

      Ali Kafi est cité, celui-ci dément et accuse Hamrouche de «manœuvre» politique. Chadli décide d’arrêter le jeu. Boudiaf avait, on s’en souvient, en 1992, dénoncé ce qu’il avait appelé la «mafia politico-financière ». La corruption se conjugue désormais au quotidien. Prêts sans intérêts, voitures de luxe offertes à de hauts responsables, terrains fournis à un moindre prix, tels sont des lieux communs à côté de cette suspecte privatisation d’entreprises vendues et de cette loi obligeant un investisseur étranger à s’adjoindre les services de nationaux à 51%. En Tunisie, une loi similaire a fait beaucoup de dégâts, se muant en fer de lance de la corruption. Jusqu’à présent, tous les présidents avaient, du moins en paroles, dénoncé ce mal, mais souvent en recourant à des règlements de comptes politiques. Boumediene fustigeait du bout des lèvres ces «scorpions enfouis dans les structures étatiques», Chadli voulait régler ses comptes avec les proches de Boumediene en organisant des procès mettant en cause Bouteflika, Belaid Abdeslam, Tayebi Larbi, Ahmed Draia, Ahmed Bencherif… qui se voyaient suspendus du comité central du FLN et présentés devant la commission de discipline. Seul Bouteflika avait, à l’époque, à partir de l’étranger où il s’était réfugié, dénoncé cette «campagne d’assainissement» qu’il avait assimilée à une «manœuvre politique». Messaoud Zeghar, un très riche homme d’affaires, très proche de Boumediene, est arrêté en 1982 avant d’être libéré en 1985. Les campagnes contre la corruption faisaient la «une» d’ El Moudjahid, d’Echaâb et de la Télévision qui n’arrêtaient pas de descendre en flammes les «accusés », les traitant de tous les maux sans prendre la peine de vérifier l’information ou de s’abstenir de tout commentaire. Les directeurs des organes de presse et certains journalistes arrivent à se recycler sans problème de conscience. L’accusateur d’hier devient l’accusé d’aujourd’hui, mais ce n’est nullement important. Quelques rares journalistes se sont bien sucrés en s’appropriant villas, appartements et autres privilèges. Tous les métiers ont été touchés par cette gangrène qui rend l’atmosphère irrespirable où chacun doute sérieusement de la moralité de l’autre. Boudiaf avait parlé de «mafia politico-financière», Bélaïd Abdeslam de «groupes d’intérêts». Mais l’expression «tous pourris» ou «tous des voleurs», insidieusement véhiculée par certains médias et quelques hommes politiques, n’est nullement opératoire, faussant le débat. Toute généralisation est abusive et contre-productive, elle permet de dédouaner les vrais corrompus qui sont identifiables.
      A. C.
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