Karim Tabbou, Premier secrétaire national du FFS : "L’Algérie mérite une transformation pacifique"
Propos recueillis par Amal Belkessam, à ALGER | Mercredi 2 Mars 2011
Karim Tabbou avoue avoir été surpris, comme tout le monde, par la soudaineté des soulèvements tunisien et égyptien, mais il savait que ceux-ci étaient inéluctables du fait de la fermeture du champ politique dans les Etats du monde arabe. Le Premier secrétaire national du FFS revient, pour econostrum.info, sur les derniers événements dans le monde arabe et en Algérie pour nous livrer ses impressions et celles de son parti, le Front des forces socialistes (FFS) dont le leader est Hocine Aït-Ahmed.
Econostrum.info : La plupart des pays du monde arabe sont touchés par des mouvements de révolte populaire qui ont emporté des dictateurs comme Ben Ali et Moubarak. Avez-vous été surpris par cette irruption des peuples sur la scène politique et quelle est votre appréciation de ces événements ?*
Karim Tabbou : Surpris sur le moment, oui ! Mais pas du tout sur l’aboutissement inéluctable vers ce type de situation par des dirigeants qui ont fait de ces pays des pays fermés. Ce mode de gestion qui exclue la population, basée sur la violence, qui n’obéit à aucun contrôle et qui a empêché la formation de contre-pouvoirs dans la société, de partis politiques puissants. Cela ne pouvait pas aboutir à une situation politique autre que la révolte.
Econostrum.info : Mais, pensez-vous que le régime du président Bouteflika soit en mesure de se démocratiser ? Si non, croyez-vous, à court terme, à la possibilité d’une dynamique semblable à celle à l’œuvre chez nos voisins de l’Est ?*
Karim Tabbou : Je ne pense pas que ce soit le régime de Bouteflika, ce régime était là même avant son arrivée. C’est ce régime qui a ramené Bouteflika et non l’inverse.
Aujourd’hui le régime politique en Algérie est tel que le président en est un élément.
La nature du pouvoir algérien est beaucoup plus complexe que sa réduction à des personnes.
C’est un système compliqué basée sur la puissance des services de renseignements, notamment le DRS, qui est présent dans tous les domaines de la vie (hôpitaux, universités, partis, marchés, télévision, association…). Il y a un service puissant qui monopolise le jeu politique. Il n’obéit à aucun contrôle puisque la majorité des actes de gestion du pays se passent en dehors des institutions. On peut aligner les institutions (un chef de l’Etat, un parlement, un sénat, des APC, APW…) mais nous sommes convaincus que le jeu politique se déroule en dehors de toutes ces institutions.
Bouteflika participe à ce jeu mais sans en être le pouvoir entier.
Le changement qui doit se produire en Algérie doit dépasser le départ d’un homme. Cela doit être un changement à même de permettre à l’Algérie d’accéder à la démocratie.
Maintenant sur le mode d’accès à la démocratie, sur un plan personnel, je ne crois pas aujourd’hui à la seule possibilité de faire évoluer le système politique algérien vers la démocratie de l’intérieur.
Les expériences sont là, il y a bien des partis politiques, il y a bien des expériences de gens qui ont cru à la possibilité de réformer le pouvoir de l’intérieur.
La dernière en date, rapportée par les médias nationaux et internationaux, a été l’élection présidentielle de 2004, lorsque l’ancien premier ministre de Bouteflika, Ali Benflis, s’était porté candidat. Il y a eu tout un tapage médiatique et on a voulu à ce moment là accréditer la thèse qu’il était possible de réformer le système de l’intérieur en jouant tel clan contre tel clan. L’aboutissement de cette élection a bien prouvé que le système est cimenté par des intérêts qui arrivent à unir tous les compartiments du pouvoir.
Aujourd’hui, nous pouvons dire que l’argent, la corruption, la rente constituent le ciment essentiel du pouvoir. Donc, quand il s’agit d’aller vers le pouvoir, le système semble plus fermé parce qu’il est traversé par des intérêts que veulent préserver les uns et les autres.
Quel genre d’ouverture est possible ? Sur un autre plan, je pense que l’Algérie mérite une transformation pacifique, l’Algérie a payé les frais, la facture la plus élevée de la revendication démocratique, de la liberté.
L’Algérie a besoin d’une transformation pacifique et prendra le temps qu’il faut.
La réalité de la société algérienne et du pouvoir algérien rendent la situation plus compliqué qu’en Tunisie.
L’ouverture doit se faire autant dans le pouvoir que dans la société. Aujourd’hui, il y a un travail à faire autant pour transformer le pouvoir que pour transformer la société.
C’est une société qui a été écrasée par le régime instauré depuis l’indépendance, mais cet écrasement, cette destruction a été encore aggravée par vingt ans de guerre civile, de violence.
La violence qui a trop duré laissera des séquelles, des traumatismes très profonds dans la société. En Algérie, le pouvoir a utilisé ces traumatismes comme moyen de chantage sur la société et dès que l’on évoque le mot changement, il veut imposer un seul regard qui laisse la population ne considérer le changement que comme un retour en arrière.
Lorsque vous dites à des Algériens qui ont subit de tels traumatismes, de telles atrocités que le changement risque d’être le retour vers cette situation cela évoque chez chacun d’entre nous un sentiment de méfiance, de doute sur la possibilité de changer les choses dans l’immédiat.
Le travail que nous devons accomplir est encore plus compliqué que le travail qui s’accomplit dans ces sociétés révoltées.
Très certainement, les Algériens ont leur part de colère, de révolte. Mais pour passer à un mouvement dynamique de la société, cela nécessitera la reconstruction de beaucoup de ressorts qui ont été cassés.
Les Algériens ont perdu confiance en leur élite. Une grande partie de cette élite a accepté de jouer le jeu du pouvoir.
Aujourd’hui, la classe politique dans sa majorité est discréditée.
La crédibilité coûte cher
Econostrum.info : L’un des obstacles auxquels les partisans de la démocratie sont confrontés aujourd’hui en Algérie est celui de la difficulté à rassembler les énergies. Les Algériens se rassemblent autour de questions socio professionnelles, il y a des grèves partout, mais ils boudent les partis. Comment comptez-vous résoudre ce problème pour mettre en place cette jonction entre votre parti et ces mouvements sociaux ?*
Karim Tabbou : La jonction même au niveau des mouvements sociaux peine à se réaliser. Il existe des facteurs objectifs qui font que ce pays a connu des moments dramatiques qui ont cassé les ressorts. Et, en l’absence d’espaces d’expressions chacun essaie d’exister là où il est.
L’arrêt du processus démocratique, c’est tout simplement le dressement de toutes sortes de barrières à la fois matérielles, physiques et mentales à la jonction de ces mouvements. Finalement, depuis 1991, d’une manière méthodique et systématique on a empêché la société de s’organiser.
La jonction avec la classe politique… au risque de vous choquer, je ne crois pas à la classe politique en Algérie. Il y a des individus, des groupes de personnes qui essaient de résister, d’exister. Parler de partis politiques dans le contexte algérien, c’est croire qu’il y a un jeu politique qui fait qu’il y a des partis qui activent.
La réalité est que les partis politiques dans un pays normal doivent émaner de la société, doivent être l’expression des opinions politiques et sociales de la société. Or, nous sommes dans un pays où les partis politiques sont créés à coup de décision administrative. Ce sont plus des partis créés par le pouvoir que sécrétés par la société.
Nous ne pouvons pas parler d’une classe politique plurielle... Dans ce pays, il y a des poches de résistances, il y a des groupes de personnes, des citoyens qui essaient de s’organiser. Ils arrivent à se structurer dans des organisations.
Le FFS est l’un des foyers de la résistance dans ce pays, mais parler de la classe politique au sens vrai du terme je n’y crois pas.
L’Algérie est un pays unique où il y a plusieurs partis uniques. Il y a des partis créés par une administration et qui servent de devanture démocratique au régime. C’est un pays qui compte une soixantaine de partis, mais la réalité est que mis à part quelques mouvements comme le nôtre qui a un capital historique de militants de générations en générations qui se sont transmis cette lutte, la majorité ce sont des boites.
Econostrum.info : Comment peut se faire cette jonction pour le FFS ?*
Karim Tabbou: Le FFS essaie d’exister, de résister, de maintenir sa ligne directrice. Une chose est sûre, c’est que les adversaires les plus acharnés contre le FFS, quand ils évoquent le FFS, ils lui reconnaissent un certain nombre de valeurs notamment éthique. Nous n’avons pas été enrôlés dans les affaires du pouvoir, de corruption, de mauvaise gestion…
Nous avons eu des cadres et des militants assassinés. Je vous rappelle que l’année même de sa création, il a payé le facture de plus de 400 martyrs et de plus de 3 000 blessés. L’acte de création du FFS a été sévèrement réprimé. Lors de la guerre civile, le FFS a été l’un des rares partis à avoir parlé de dialogue, de paix, de réconciliation… Tous ces mots là, le FFS a payé les frais de la défense de ses principes. Le FFS a gardé une crédibilité auprès de l’opinion publique même avec un nombre réduit de militants, de représentations dans les institutions. Il a le respect des gens même de ceux qui ne sont pas d’accords.
La crédibilité coûte cher et aujourd’hui la classe politique qui ne dispose pas de cette crédibilité auprès de la population ne peut pas faire de jonction avec elle.
Il faut mériter la confiance de la population.
Propos recueillis par Amal Belkessam, à ALGER | Mercredi 2 Mars 2011
Karim Tabbou avoue avoir été surpris, comme tout le monde, par la soudaineté des soulèvements tunisien et égyptien, mais il savait que ceux-ci étaient inéluctables du fait de la fermeture du champ politique dans les Etats du monde arabe. Le Premier secrétaire national du FFS revient, pour econostrum.info, sur les derniers événements dans le monde arabe et en Algérie pour nous livrer ses impressions et celles de son parti, le Front des forces socialistes (FFS) dont le leader est Hocine Aït-Ahmed.
Econostrum.info : La plupart des pays du monde arabe sont touchés par des mouvements de révolte populaire qui ont emporté des dictateurs comme Ben Ali et Moubarak. Avez-vous été surpris par cette irruption des peuples sur la scène politique et quelle est votre appréciation de ces événements ?*
Karim Tabbou : Surpris sur le moment, oui ! Mais pas du tout sur l’aboutissement inéluctable vers ce type de situation par des dirigeants qui ont fait de ces pays des pays fermés. Ce mode de gestion qui exclue la population, basée sur la violence, qui n’obéit à aucun contrôle et qui a empêché la formation de contre-pouvoirs dans la société, de partis politiques puissants. Cela ne pouvait pas aboutir à une situation politique autre que la révolte.
Econostrum.info : Mais, pensez-vous que le régime du président Bouteflika soit en mesure de se démocratiser ? Si non, croyez-vous, à court terme, à la possibilité d’une dynamique semblable à celle à l’œuvre chez nos voisins de l’Est ?*
Karim Tabbou : Je ne pense pas que ce soit le régime de Bouteflika, ce régime était là même avant son arrivée. C’est ce régime qui a ramené Bouteflika et non l’inverse.
Aujourd’hui le régime politique en Algérie est tel que le président en est un élément.
La nature du pouvoir algérien est beaucoup plus complexe que sa réduction à des personnes.
C’est un système compliqué basée sur la puissance des services de renseignements, notamment le DRS, qui est présent dans tous les domaines de la vie (hôpitaux, universités, partis, marchés, télévision, association…). Il y a un service puissant qui monopolise le jeu politique. Il n’obéit à aucun contrôle puisque la majorité des actes de gestion du pays se passent en dehors des institutions. On peut aligner les institutions (un chef de l’Etat, un parlement, un sénat, des APC, APW…) mais nous sommes convaincus que le jeu politique se déroule en dehors de toutes ces institutions.
Bouteflika participe à ce jeu mais sans en être le pouvoir entier.
Le changement qui doit se produire en Algérie doit dépasser le départ d’un homme. Cela doit être un changement à même de permettre à l’Algérie d’accéder à la démocratie.
Maintenant sur le mode d’accès à la démocratie, sur un plan personnel, je ne crois pas aujourd’hui à la seule possibilité de faire évoluer le système politique algérien vers la démocratie de l’intérieur.
Les expériences sont là, il y a bien des partis politiques, il y a bien des expériences de gens qui ont cru à la possibilité de réformer le pouvoir de l’intérieur.
La dernière en date, rapportée par les médias nationaux et internationaux, a été l’élection présidentielle de 2004, lorsque l’ancien premier ministre de Bouteflika, Ali Benflis, s’était porté candidat. Il y a eu tout un tapage médiatique et on a voulu à ce moment là accréditer la thèse qu’il était possible de réformer le système de l’intérieur en jouant tel clan contre tel clan. L’aboutissement de cette élection a bien prouvé que le système est cimenté par des intérêts qui arrivent à unir tous les compartiments du pouvoir.
Aujourd’hui, nous pouvons dire que l’argent, la corruption, la rente constituent le ciment essentiel du pouvoir. Donc, quand il s’agit d’aller vers le pouvoir, le système semble plus fermé parce qu’il est traversé par des intérêts que veulent préserver les uns et les autres.
Quel genre d’ouverture est possible ? Sur un autre plan, je pense que l’Algérie mérite une transformation pacifique, l’Algérie a payé les frais, la facture la plus élevée de la revendication démocratique, de la liberté.
L’Algérie a besoin d’une transformation pacifique et prendra le temps qu’il faut.
La réalité de la société algérienne et du pouvoir algérien rendent la situation plus compliqué qu’en Tunisie.
L’ouverture doit se faire autant dans le pouvoir que dans la société. Aujourd’hui, il y a un travail à faire autant pour transformer le pouvoir que pour transformer la société.
C’est une société qui a été écrasée par le régime instauré depuis l’indépendance, mais cet écrasement, cette destruction a été encore aggravée par vingt ans de guerre civile, de violence.
La violence qui a trop duré laissera des séquelles, des traumatismes très profonds dans la société. En Algérie, le pouvoir a utilisé ces traumatismes comme moyen de chantage sur la société et dès que l’on évoque le mot changement, il veut imposer un seul regard qui laisse la population ne considérer le changement que comme un retour en arrière.
Lorsque vous dites à des Algériens qui ont subit de tels traumatismes, de telles atrocités que le changement risque d’être le retour vers cette situation cela évoque chez chacun d’entre nous un sentiment de méfiance, de doute sur la possibilité de changer les choses dans l’immédiat.
Le travail que nous devons accomplir est encore plus compliqué que le travail qui s’accomplit dans ces sociétés révoltées.
Très certainement, les Algériens ont leur part de colère, de révolte. Mais pour passer à un mouvement dynamique de la société, cela nécessitera la reconstruction de beaucoup de ressorts qui ont été cassés.
Les Algériens ont perdu confiance en leur élite. Une grande partie de cette élite a accepté de jouer le jeu du pouvoir.
Aujourd’hui, la classe politique dans sa majorité est discréditée.
La crédibilité coûte cher
Econostrum.info : L’un des obstacles auxquels les partisans de la démocratie sont confrontés aujourd’hui en Algérie est celui de la difficulté à rassembler les énergies. Les Algériens se rassemblent autour de questions socio professionnelles, il y a des grèves partout, mais ils boudent les partis. Comment comptez-vous résoudre ce problème pour mettre en place cette jonction entre votre parti et ces mouvements sociaux ?*
Karim Tabbou : La jonction même au niveau des mouvements sociaux peine à se réaliser. Il existe des facteurs objectifs qui font que ce pays a connu des moments dramatiques qui ont cassé les ressorts. Et, en l’absence d’espaces d’expressions chacun essaie d’exister là où il est.
L’arrêt du processus démocratique, c’est tout simplement le dressement de toutes sortes de barrières à la fois matérielles, physiques et mentales à la jonction de ces mouvements. Finalement, depuis 1991, d’une manière méthodique et systématique on a empêché la société de s’organiser.
La jonction avec la classe politique… au risque de vous choquer, je ne crois pas à la classe politique en Algérie. Il y a des individus, des groupes de personnes qui essaient de résister, d’exister. Parler de partis politiques dans le contexte algérien, c’est croire qu’il y a un jeu politique qui fait qu’il y a des partis qui activent.
La réalité est que les partis politiques dans un pays normal doivent émaner de la société, doivent être l’expression des opinions politiques et sociales de la société. Or, nous sommes dans un pays où les partis politiques sont créés à coup de décision administrative. Ce sont plus des partis créés par le pouvoir que sécrétés par la société.
Nous ne pouvons pas parler d’une classe politique plurielle... Dans ce pays, il y a des poches de résistances, il y a des groupes de personnes, des citoyens qui essaient de s’organiser. Ils arrivent à se structurer dans des organisations.
Le FFS est l’un des foyers de la résistance dans ce pays, mais parler de la classe politique au sens vrai du terme je n’y crois pas.
L’Algérie est un pays unique où il y a plusieurs partis uniques. Il y a des partis créés par une administration et qui servent de devanture démocratique au régime. C’est un pays qui compte une soixantaine de partis, mais la réalité est que mis à part quelques mouvements comme le nôtre qui a un capital historique de militants de générations en générations qui se sont transmis cette lutte, la majorité ce sont des boites.
Econostrum.info : Comment peut se faire cette jonction pour le FFS ?*
Karim Tabbou: Le FFS essaie d’exister, de résister, de maintenir sa ligne directrice. Une chose est sûre, c’est que les adversaires les plus acharnés contre le FFS, quand ils évoquent le FFS, ils lui reconnaissent un certain nombre de valeurs notamment éthique. Nous n’avons pas été enrôlés dans les affaires du pouvoir, de corruption, de mauvaise gestion…
Nous avons eu des cadres et des militants assassinés. Je vous rappelle que l’année même de sa création, il a payé le facture de plus de 400 martyrs et de plus de 3 000 blessés. L’acte de création du FFS a été sévèrement réprimé. Lors de la guerre civile, le FFS a été l’un des rares partis à avoir parlé de dialogue, de paix, de réconciliation… Tous ces mots là, le FFS a payé les frais de la défense de ses principes. Le FFS a gardé une crédibilité auprès de l’opinion publique même avec un nombre réduit de militants, de représentations dans les institutions. Il a le respect des gens même de ceux qui ne sont pas d’accords.
La crédibilité coûte cher et aujourd’hui la classe politique qui ne dispose pas de cette crédibilité auprès de la population ne peut pas faire de jonction avec elle.
Il faut mériter la confiance de la population.
Commentaire