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Les révolutions «arabes»: le biologique contre le politique.

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  • Les révolutions «arabes»: le biologique contre le politique.

    par Kamel Daoud, Le Quotidien d'Oran

    Finalement, il s'agit de l'histoire de deux hommes dont l'un veut toute l'histoire à lui tout seul. Le premier a plus de 70 ans depuis qu'il est né et plus de 123 ans depuis qu'il a pris le Pouvoir, en vit, vit autour, dedans ou à portée de main. Le second est jeune, c'est-à-dire sans pattes, accusé de n'avoir pas participé à la guerre de Libération, de ne pas être mort avant de venir au monde ou accusé simplement d'être là et en surnombre. Le premier veut être partout, le second est à moitié en mer, à moitié chez lui, à moitié dispersé. Le premier, le bonhomme qui a 78 ans, est véritablement convaincu que c'est son pays à lui puisqu'il l'a trouvé le premier et ne lâchera donc jamais. Quand il parle, il fait du discours, lève le ton, menace avec le doigt. Quand il se promène sur la terre, il aime lui caresser l'échine, lui faire rappeler constamment que c'est lui qui l'a libérée du colon. Le second, lui, est trop jeune pour avoir une terre: il se balade mais avec la consistance et la nationalité de l'attouchement et de la feuille morte. Psychologiquement, c'est l'enfant d'un père mort pendant la guerre et qui regarde aujourd'hui le pouvoir comme un beau-père usurpateur.

    Passons donc sur la liste et venons-en au dialogue: que se disent-ils quand ils se rencontrent ? Le premier, c'est-à-dire le vieux qui mange les enfants, explique souvent à l'enfant, qui a quand même trente-deux ans, qu'il a de la chance d'être venu au monde dans un pays libre, qu'on va lui donner à manger et des chaussures et qu'il ne faut pas qu'il rêve de plus. Au plus profond, le vieux libérateur répond au jeune Algérien comme il aurait souhaité que le colon lui réponde à l'époque où il n'avait pas à manger et marchait pied nu. Venu de la grande misère, le vieux libérateur croit que le bonheur et l'indépendance sont d'abord un bon repas qui est l'équivalent calorique d'une bonne indépendance ou une bonne raclée qui est l'équivalent d'un bon système scolaire.

    Que le jeune mette du gel dans ses cheveux, veut sentir la lévitation, veut prendre la terre par la taille ou demande les factures nationales et voilà que le vieux libérateur qui s'étonne « Que peut-on demander de plus après l'indépendance et le robinet d'eau courante ? C'est quoi ce bruit que font les jeunes avec leurs claviers et leurs cœurs ? ». C'est alors que le vieux va frapper, fermer ses fenêtres, soupçonner le colon d'être de retour sous la forme de nouveau-nés enregistrés sous Facebook. Le vieux et les siens ne peuvent pas envisager autre chose hors du couple répression/plan de Constantine. Les vieux voient les partis d'opposition comme ils regardaient le MTLD ou le PPA, croient que la protestation est un complot, regardent le FFS ou le RCD dans le cadre de la crise kabyle, voient le Maroc toujours sous Hassan II, la France à travers De Gaulle et analysent l'avenir à travers des phantasmes socialistes persistants.

    En colère d'être traité comme un intestin, le jeune crie alors son nom, veut la majorité au pouvoir puisqu'il l'a par les nombres et lance des avertissements. Inquiété, le vieux essaye alors de se rapprocher de cette chose qui parle une autre langue, prend des lunettes grossissantes et se met à expliquer qu'il comprend mais sans cacher qu'il ne comprend rien: à l'époque de ses 18 ans à lui, les gens communiquaient avec des pigeons ou des ânes à travers les barbelés. «La liberté ? Pourquoi? Que veulent-ils en plus que de la Libération ?». C'est alors qu'il se met en colère et tente la ruse: «Oui, vous avez raison. J'ai compris: je vais vous achetez à tous des chaussettes. Je vais vous laisser parler dans mon ENTV. Oui, je vais demander à mes ministres de vous trouver quelque chose à faire en attendant que vous preniez de l'âge et que vous vieillissez enfin. Oui ».

    Le jeune s'emporte alors plus violemment, ne sait plus qu'elle est la vraie langue nationale, pourquoi Dieu lui a donné à subir une ride à la place d'une fleur à vie, zappe avec brutalité pour se téléporter en vain, se multiplie à défaut d'avoir un autre but, se ratatine ou va brutalement se confronter avec la mer à pied nu, ne sait pas quoi dire. C'est qu'en vérité l'un et l'autre n'ont rien à se dire: c'est une question de biologie. Le vieux bloque la nature et négocie sa propre mort, sans le savoir. Tragédie du vieux libérateur qui veut que le temps ne passe pas car il passe par lui.
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    Ce n’est pas un homme, c’est un champignon.
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