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Les musulmans de France réclament aujourd'hui le droit à l'indifférence

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  • Les musulmans de France réclament aujourd'hui le droit à l'indifférence

    LEMONDE




    Hector : Pensez-vous qu'un débat sur la laïcité soit utile et nécessaire aujourd'hui en France ?

    Mohammed Moussaoui : Dans le contexte actuel – on est à proximité d'échéances électorales importantes –, dans un contexte international marqué notamment par la situation du monde arabo-musulman, et face à une crispation identitaire palpable, ces conditions ne permettent pas un débat serein sur la laïcité.

    Il faut dire également qu'au départ, il s'agissait d'un débat sur l'islam. Il a été transformé, finalement, en débat sur la laïcité, mais compte tenu des premières déclarations, il ne fait aucun doute que ce débat va se focaliser essentiellement sur l'islam. Cela inquiète les musulmans de France, car ils considèrent que c'est encore un débat qui risque de les stigmatiser.

    Pierre M. : Y a-t-il, dans la communauté musulmane, des approches différentes par rapport à ce débat voulu par le pouvoir politique ?

    A travers les déclarations des différents responsables musulmans, il apparaît clairement que ce débat inquiète tout le monde. Au-delà des musulmans de France, il inquiète des membres de la majorité, comme le président du Sénat Gérard Larcher, le président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer, l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le ministre des affaires étrangères Alain Juppé. La liste est longue. Des ténors de la majorité ont clairement affiché leur inquiétude face à ce débat. Sans parler des autres composantes politiques nationales.

    Winston : Le débat sur la laïcité que veut lancer l'UMP est-il ressenti comme une agression par le CFCM ?

    Dire que c'est une agression, le mot est un peu fort. Mais le CFCM s'interroge sur l'opportunité de lancer un tel débat sur un sujet qui a été largement traité par de nombreuses commissions. Je rappelle l'existence d'au moins deux de celles-ci : celle de Stasi en 2003, et celle de Machelon en 2006. Les rapports de ces commissions n'ont pas été véritablement exploités, et le CFCM ne comprend pas l'utilité d'un nouveau débat dans les conditions actuelles.

    Ismaël : La démarche du président de la République et de l'UMP dans l'organisation de ce débat sur la laïcité vous parait-elle dénuée de toute arrière-pensée ?

    Je n'aime pas faire de procès d'intention, mais je reste sur le factuel. Ce débat, en ce moment, risque d'ouvrir grandes les portes de malentendus et de dérives. Les premières déclarations nous donnent raison quant à cette crainte. Un débat précédent sur la question de l'identité nationale, malgré les précautions affichées et les nombreux appels à la vigilance, a été ponctué de propos et d'expressions inconsidérés, voire de dérapages.

    Younes : Pourquoi n'entend-t-on pas le CFCM se prononcer publiquement sur la question de ce débat sur la laïcité ?

    Le CFCM s'est prononcé sur le débat par la voix de son président, dès le lancement du projet. Un communiqué de presse a été diffusé récemment par le CFCM, dans lequel il exprime son inquiétude face à ce débat.

    Dans ce communiqué, il est fait allusion également aux récentes déclarations sur la langue des prêches : le CFCM a exprimé son étonnement face à ce type de proposition, qui est en contradiction manifeste avec le principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat.

    Chloé : Les musulmans (modérés) en France soutiennent-ils le principe de laïcité ou le considèrent-ils comme un principe instrumentalisé pour étouffer leur pratique religieuse ?

    Les musulmans de France sont profondément attachés au principe de la laïcité, qui vise à garantir la liberté de conscience pour chacun et l'égalité entre tous les citoyens. Ce principe dispose des deux outils essentiels : la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et la neutralité de l'Etat.

    Que la laïcité soit instrumentalisée, voire dévoyée, par certains, c'est une réalité qu'il ne faut pas occulter. Mais les musulmans de France doivent rester sereins et évoquer le respect des lois de la République.

    Léa : Pensez-vous que la situation de la laïcité en France serait différente si un gouvernement de gauche dirigeait le pays ?

    Le principe de la laïcité est inscrit dans la Constitution, et il serait dangereux qu'il soit appliqué différemment selon les couleurs politiques du gouvernement.

    Benoît : Peut-on imaginer une prise de position commune des représentants des grandes religions qui cohabitent sur notre territoire vis-à-vis d'un débat qui semble viser l'une d'elles ?

    La conférence pour les représentants des cultes en France, qui a été créée en novembre 2010, se réunit une fois tous les trois mois. Et ce matin [mercredi 9 mars], la deuxième réunion a eu lieu. Lors de cette réunion, la réflexion sur les pratiques religieuses dans notre société a été poursuivie. La conférence a décidé d'organiser une rencontre publique sur le thème de la laïcité au printemps 2011.

    La conférence pour les représentants des cultes en France n'a pas souhaité prendre une position dans des termes tranchés du type pour ou contre un débat sur la laïcité, mais ses membres ont tous exprimé leur interrogation quant aux conditions dans lesquelles ce débat sera organisé et quant à l'opportunité de le faire à ce moment précis.

    Ileek : Ne pensez-vous pas que si le débat était annulé (pour éviter les malentendus et les dérives), cela risquerait de se retourner contre la communauté mulsumane ?

    Je pense que l'annulation d'un tel débat est demandée par de nombreux concitoyens, de confession musulmane ou non, des responsables politiques, des autorités religieuses. Le CFCM a exprimé son souhait de voir ce débat annulé.

    Fab : Beaucoup de Français semblent mal connaitre le culte musulman. Pensez-vous que les musulmans doivent faire un effort d'explication à destination des non-musulmans ? Faire preuve de d'avantage d'ouverture à la société ?

    Effectivement, je pense que les musulmans de France doivent s'ouvrir davantage à la société. J'avais proposé qu'au niveau de tout le territoire national des journées portes ouvertes de mosquées soient organisées afin de présenter les grandes valeurs de l'islam : valeurs d'ouverture, de respect.

    Danny : Avez-vous une estimation fiable du nombre de pratiquants musulmans en France ?

    Il est difficile de donner des chiffres. Cependant, des études de type sondages mettent en avant le chiffre de 17 % de la population musulmane. Elle est estimée entre 5 millions et 6 millions, soit entre 850 000 et 1 million de musulmans pratiquants. J'entends par pratiquants ceux qui participent, au moins, à la prière hebdomadaire du vendredi. Autrement, certaines pratiques sont beaucoup plus observées que d'autres. Notamment le jeûne du mois de Ramadan, y compris chez ceux qui ne pratiquent pas la prière du vendredi.

    Roger : Quelle est votre position sur la nécessité ou non de voir les imams établis dans l'Hexagone prononcer leurs prêches en français ?

    Il faut d'abord dire que dans les prêches, il y a une partie liturgique qui se fait dans la langue du texte coranique, à savoir l'arabe. Mais une partie du prêche également est faite en français pour pouvoir transmettre aux fidèles non-arabophones.

    Cette situation s'est améliorée depuis des années, et il n'est pas rare d'observer que des imams coupent leur prêche en deux parties : une en arabe et l'autre en français. Le nombre d'imams maîtrisant la langue française est en nette augmentation, et dans quelques années, cette question sera de l'histoire ancienne.

    Doudou : Que pense le CFCM des prières de la rue Myrha, dans le 18e arrondissement de Paris ?

    Il est important de souligner que les prières dans la rue sont un phénomène minoritaire et très marginal, qui ne concerne que quatre ou cinq lieux de culte au niveau national.

    Le cas de la rue Myrha, précisément, a été un sujet de discussions entre le CFCM et des responsables de ce lieu. Des solutions seront proposées dans les jours à venir.
    « Ça m'est égal d'être laide ou belle. Il faut seulement que je plaise aux gens qui m'intéressent. »
    Boris Vian

  • #2
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    Tanguy : Comprenez-vous que les Français soient surpris d'observer certaines tentatives visant à restreindre l'accès à certains espaces publics (les piscines, par exemple) sous couvert de religion ?

    Que des Français soient surpris de demandes émanant de groupes pour réserver des créneaux dans des piscines publiques doit être regardé avec compréhension.

    Cela dit, cette demande, qui reste marginale, existe depuis une dizaine d'années chez nos concitoyens de confession israélite, notamment Loubavitch, à Sarcelles, à titre d'exemple. Les municipalités ont le droit absolu de refuser ce type de demande.

    Maxime : Quel est votre avis concernant la loi sur l'interdiction de la burqa dans l'espace public, ou encore la décision d'un directeur d'école concernant le port du voile par les parents lors des sorties scolaires ?

    Concernant le port du voile intégral, une loi a été votée après un long débat auquel le CFCM avait participé. Le temps du débat étant révolu, le CFCM ne peut demander à des femmes musulmanes de se mettre hors la loi. Même si, au départ, le CFCM a manifesté son opposition à la promulgation d'une loi d'interdiction générale et absolue. Le CFCM a, par ailleurs, indiqué qu'il ne s'agissait pas d'une obligation religieuse pour les femmes musulmanes.

    Concernant la décision de refuser aux femmes portant le voile – il s'agit du voile normal, non intégral – de participer aux sorties scolaires, la loi de 2004 a précisé, par le biais de l'une de ses circulaires, qu'elle ne s'applique pas aux parents d'élèves. La Halde, en 2007, a jugé contraire aux dispositions d'interdiction de discrimination fondée sur la religion le refus opposé à ces femmes de participer aux sorties scolaires.

    Fab : Quel problème majeur rencontrent les musulmans en France pour pratiquer leur foi ? Le manque de mosquées ? La stigmatisation politique ?

    Les musulmans de France ne souhaitent qu'être traités comme tous les autres citoyens sur la base des devoirs et des droits. Ils ne demandent pas de privilèges particuliers.

    Ce qui se dit sur d'hypothétiques demandes de musulmans de financer la construction de leurs lieux de culte est complètement faux. Les musulmans de France n'ont jamais demandé un financement public de la construction de leurs lieux de culte. Ils souhaitent uniquement que lors du traitement d'une demande de permis de construire, seules des considérations liées à l'urbanisme puissent être évoquées.

    Nadra : N'est-il pas grand temps que les musulmans de France se reconnaissent comme Français à part entière pour fonder un véritable Islam de France ?

    Les musulmans de France réclament aujourd'hui le droit à l'indifférence, c'est-à-dire qu'ils souhaitent que leurs pratiques religieuses ne soient pas l'objet de débat continus.

    L'opposition de l'islam de France avec l'islam en France ne peut avoir de sens sans mettre dans les deux expressions un contenu précis. L'islam a toujours pu s'adapter au contexte dans lequel il était pratiqué. Nous pourrons dire qu'il y a un seul islam, mais avec plusieurs expressions, qui dépendent du contexte historique et géographique dans lequel il est pratiqué.

    Doudou : Faut-il contrôler l'origine des fonds pour la construction de mosquées ?

    La construction des mosquées est financée essentiellement par les fidèles eux-mêmes, contrairement à ce que pensent certains. Les financements étrangers restent marginaux par rapport aux apports des fidèles. Toute construction est un exemple à part dans son mode de financement. Le plus courant, c'est la souscription faite par les fidèles d'une localité, complétée avec des collectes organisées au niveau du territoire national à l'occasion de chaque prière du vendredi.

    Fab : Où manque-t-il des lieux de culte en France pour l'islam ?

    Le manque de lieux de culte est une réalité à mes yeux. En effet, les musulmans de France disposent d'environ 2 000 lieux de culte, dont 750 sont des salles de prière de moins de 100 m². La superficie cultuelle totale dont disposent les musulmans aujourd'hui est de l'ordre de 250 000 m².

    Si l'on estime le nombre de pratiquants à 850 000 et qu'il faut 1 m² pour chaque fidèle, on est en mesure de dire qu'il faudrait au moins doubler la superficie actuelle. Cela dit, des efforts considérables ont été consentis depuis des années, et un progrès indéniable a été réalisé depuis.

    Léa : Pensez-vous que la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 doit être modifiée (en tenant compte des liens de l'Etat avec d'autres religions) ? Si oui de quelle manière ?

    La loi de 1905 est une loi d'équilibre obtenue après plusieurs siècles, et les musulmans de France ne souhaitent pas sa remise en cause.

    Ils demandent qu'elle soit appliquée comme elle l'a toujours été depuis qu'elle a été promulguée. Cette loi a connu différents aménagements ; Jean-Pierre Machelon, dans son rapport de 2006, en a cité au moins une dizaine, dont la construction de la grande mosquée de Paris sur fonds publics, sur un foncier municipal, ou les Chantiers du cardinal, dans les années 1930, ou encore les prêts bonifiés dans les années 1960 pour construire des églises et des synagogues pour les rapatriés d'Algérie. En d'autres termes, la loi a su apporter des réponses à des situations nouvelles tout au long de son histoire.

    Fab : Pensez-vous que les événements récents dans les pays musulmans vont changer le regard de beaucoup de Français sur l'islam en général ?

    Il est vrai que le contexte international, notamment en lien avec les pays arabo-musulmans, a toujours eu un impact sur la perception de l'islam chez un certain nombre de nos concitoyens. Des événements violents ont pu être associés à des débats sur l'islam en France, et il n'est pas exclu que les événements que vivent certains pays arabo-musulmans aient un impact sur la situation nationale.

    Fab : Après les débats sur la burqa et sur l'identité nationale, puis ces nouvelles attaques à peine déguisées, n'est-il pas difficile de représenter en France le culte musulman ?

    Il est effectivement difficile d'accompagner plusieurs débats dans une période courte, et en même temps répondre à des attentes concrètes des musulmans de France. Le CFCM a toujours souhaité qu'il puisse avoir le temps de traiter en profondeur les véritables questions posées par les musulmans de France, au lieu de rester sur la défensive devant le déferlement de débats autour de pratiques marginales.
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    • #3
      quelle est la representativité de ce CFCM??

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