CNCD, Pouvoir, agenda du changement : Me Bouchachi s’explique sur tout
9 Mar 2011 11:39
C’est la LADDH (ligue des droits de l’homme) qu’il préside qui est à l’initiative de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) qui a animé la scène politique algérienne depuis un mois. Me Mostefa Bouchachi revient en détail sur les actions engagées, la scission de la CNCD et propose une feuille de route du changement qui fait du pouvoir un partenaire de l’ouverture «dans l’intérêt de tout le monde». Un entretien essentiel pour comprendre la conjoncture politique algérienne du point de vue d’un de ses acteurs importants.
*
Selon les versions, l’éclatement de la Coordination pour le changement a été causé par la présence «trop polarisante» du RCD ou par des divergences sur les modalités de mobilisation et d’action, quelle est votre explication?
La Coordination pour le changement et la démocratie est née d’une initiative de la LADDH et de syndicats autonomes lorsque les émeutes ont commencé en début janvier. Souvenez-vous, des ministres algériens avaient affirmé que les jeunes n’avaient aucune revendication politique, que leur seul but était de «détruire et piller». Dans la foulée, 1200 jeunes ont été arrêtés et déférés devant les tribunaux. A la Ligue, nous avions convoqué une conférence de presse et invité toute la société civile à nous rejoindre pour faire quelque chose en direction de ces jeunes. La première réponse est venue des syndicats autonomes, avec lesquels nous avons appelé à une réunion ouverte aux partis politiques et aux associations. Tous sont venus et c’est à cette réunion que nous avons créé la Coordination. Nous nous sommes entendus sur un minimum de revendications : la libération des détenus arrêtés en janvier, la levée de l’état d’urgence, l’ouverture du champ médiatique, politique et d’association pour permettre aux Algériens de militer pacifiquement afin d’aller à la démocratie. Nous avons appelé les Algériens à une manifestation le 12 février. Dans la semaine qui a suivi l’annonce de cette manifestation, tous les détenus ont été libérés et le conseil des ministres a annoncé la levée imminente de l’état d’urgence. Nous nous sommes réunis encore une fois après ces annonces et nous avions décidé de maintenir la manifestation même si nos revendications avaient été partiellement prises en charge.
Il est intéressant que vous rappeliez la naissance de la Coordination au moment des émeutes de début janvier, parce que l’on entend reprocher à ceux qui appellent aux manifestations «de n’avoir rien fait pour les émeutiers»….
C’est faux, dès que les émeutes ont commencé à Bab el Oued, à la Ligue nous avons mis sur place une cellule d’avocats pour les défendre gratuitement. J’ai moi-même écrit au bâtonnier national à ce propos. Je lui ai rappelé qu’en 1988 nous avions, ensemble, organisé un collectif d’avocats pour défendre les jeunes et ils ont senti que la société était avec eux. Nous avons dit que si ces jeunes commettaient des dommages c’est au pouvoir d’en assumer l’entière responsabilité : il ne leur a pas appris à faire autre chose, il leur a interdit toute activité associative, toute activité pacifique et c’est à cause du pouvoir qu’ils sont dehors. Ensuite, la création de la Coordination avec les syndicats et les partis, c’était pour les émeutiers, pour tenter de donner un contenu politique à leurs actes.
Pourquoi avoir maintenu l’appel à la manifestation alors que les détenus avaient été libérés et l’état d’urgence levé ?
L’objectif à mes yeux était qu’il fallait abattre le mur de la peur et du silence qui fait que les Algériens ne peuvent pas militer de manière pacifique, cette image de l’Algérie des années 90, c’est aussi cela que nous avons voulu chasser. Pour que les Algériens reprennent confiance en eux-mêmes et sachent qu’ils sont capables de militer de manière pacifique pour mettre ce régime à la porte.
Personnellement je considère que la manifestation du 12 février était réussie, nos militants sont venus de partout, de Constantine, de Jijel, Tlemcen, Oran, Ghardaïa, Tizi Ouzou. C’était une réussite politique et médiatique. Après la manifestation il y a eu une réunion de la Coordination et la majorité a voté pour une nouvelle manifestation le samedi d’après. Moi j’étais réservé, parce que la mobilisation des manifestants demandait plus de temps, mais le vote majoritaire était pour ressortir le samedi d’après et on a accepté. Nous avons, en tant que Ligue des droits de l’homme, participé, même si nous étions plus réservés par rapport à l’organisation et à la préparation de cette marche. Finalement, ce n’était pas un échec mais on n’a pas réussi à mobiliser plus de gens que la semaine d’avant.
Non seulement il n’y a pas eu plus de manifestants mais vous avez été totalement pris en étau par la police et les pro-Bouteflika…
En effet, ils ont bloqué les manifestants en petits groupes pris au piège dans les ruelles. Après la manifestation nous nous sommes réunis encore et certains ont appelé à manifester encore le samedi d’après. Nous leur avons dit : ce n’est pas une manière de faire. En gros, c’étaient les partis politiques qui voulaient une nouvelle marche le samedi d’après. Nous leur avons dit : le but ce n’est pas de sortir chaque samedi, parce que si nous continuons de cette façon nous courons vers l’échec et cet échec pèsera sur d’autres initiatives militantes. Ils ont insisté en disant nous voulons manifester chaque samedi et nous leur avons dit : nous n’allons pas marcher tous les samedis. Notre but maintenant est de sensibiliser les gens, pas seulement à Alger mais sur tout le territoire national, en organisant des rassemblements, des meetings, petits et grands, partout où l’on peut. C’était cela notre point de divergence et c’est cela qui a causé la scission de la Coordination.
Y a-t-il aussi divergences au sein de la Ligue entre Bouchachi et Ali Yahia Abdennour qui, lui, appelle à «marcher tous les samedis jusqu’à ce que le régime tombe»?
Il n’y a pas du tout de dissensions à l’intérieur de la Ligue. Ali Yahia Abdenour est le président d’honneur de la Ligue, il agit en tant que personnalité politique. Bien sûr il y a eu les débats : on a dit qu’on n’était pas d’accord pour marcher tous les samedis et aller tout droit à l’échec. Deuxièmement, on doit respecter les Algériens et leur expliquer ce qu’on veut. On n’a pas parlé aux Algériens depuis vingt ans, alors on ne peut pas arriver maintenant pour leur dire venez manifester. Ali Yahia Abdenour pense que c’est une façon de militer, je respecte son opinion mais ce n’est pas la position de la Ligue.
9 Mar 2011 11:39
C’est la LADDH (ligue des droits de l’homme) qu’il préside qui est à l’initiative de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) qui a animé la scène politique algérienne depuis un mois. Me Mostefa Bouchachi revient en détail sur les actions engagées, la scission de la CNCD et propose une feuille de route du changement qui fait du pouvoir un partenaire de l’ouverture «dans l’intérêt de tout le monde». Un entretien essentiel pour comprendre la conjoncture politique algérienne du point de vue d’un de ses acteurs importants.
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Selon les versions, l’éclatement de la Coordination pour le changement a été causé par la présence «trop polarisante» du RCD ou par des divergences sur les modalités de mobilisation et d’action, quelle est votre explication?
La Coordination pour le changement et la démocratie est née d’une initiative de la LADDH et de syndicats autonomes lorsque les émeutes ont commencé en début janvier. Souvenez-vous, des ministres algériens avaient affirmé que les jeunes n’avaient aucune revendication politique, que leur seul but était de «détruire et piller». Dans la foulée, 1200 jeunes ont été arrêtés et déférés devant les tribunaux. A la Ligue, nous avions convoqué une conférence de presse et invité toute la société civile à nous rejoindre pour faire quelque chose en direction de ces jeunes. La première réponse est venue des syndicats autonomes, avec lesquels nous avons appelé à une réunion ouverte aux partis politiques et aux associations. Tous sont venus et c’est à cette réunion que nous avons créé la Coordination. Nous nous sommes entendus sur un minimum de revendications : la libération des détenus arrêtés en janvier, la levée de l’état d’urgence, l’ouverture du champ médiatique, politique et d’association pour permettre aux Algériens de militer pacifiquement afin d’aller à la démocratie. Nous avons appelé les Algériens à une manifestation le 12 février. Dans la semaine qui a suivi l’annonce de cette manifestation, tous les détenus ont été libérés et le conseil des ministres a annoncé la levée imminente de l’état d’urgence. Nous nous sommes réunis encore une fois après ces annonces et nous avions décidé de maintenir la manifestation même si nos revendications avaient été partiellement prises en charge.
Il est intéressant que vous rappeliez la naissance de la Coordination au moment des émeutes de début janvier, parce que l’on entend reprocher à ceux qui appellent aux manifestations «de n’avoir rien fait pour les émeutiers»….
C’est faux, dès que les émeutes ont commencé à Bab el Oued, à la Ligue nous avons mis sur place une cellule d’avocats pour les défendre gratuitement. J’ai moi-même écrit au bâtonnier national à ce propos. Je lui ai rappelé qu’en 1988 nous avions, ensemble, organisé un collectif d’avocats pour défendre les jeunes et ils ont senti que la société était avec eux. Nous avons dit que si ces jeunes commettaient des dommages c’est au pouvoir d’en assumer l’entière responsabilité : il ne leur a pas appris à faire autre chose, il leur a interdit toute activité associative, toute activité pacifique et c’est à cause du pouvoir qu’ils sont dehors. Ensuite, la création de la Coordination avec les syndicats et les partis, c’était pour les émeutiers, pour tenter de donner un contenu politique à leurs actes.
Pourquoi avoir maintenu l’appel à la manifestation alors que les détenus avaient été libérés et l’état d’urgence levé ?
L’objectif à mes yeux était qu’il fallait abattre le mur de la peur et du silence qui fait que les Algériens ne peuvent pas militer de manière pacifique, cette image de l’Algérie des années 90, c’est aussi cela que nous avons voulu chasser. Pour que les Algériens reprennent confiance en eux-mêmes et sachent qu’ils sont capables de militer de manière pacifique pour mettre ce régime à la porte.
Personnellement je considère que la manifestation du 12 février était réussie, nos militants sont venus de partout, de Constantine, de Jijel, Tlemcen, Oran, Ghardaïa, Tizi Ouzou. C’était une réussite politique et médiatique. Après la manifestation il y a eu une réunion de la Coordination et la majorité a voté pour une nouvelle manifestation le samedi d’après. Moi j’étais réservé, parce que la mobilisation des manifestants demandait plus de temps, mais le vote majoritaire était pour ressortir le samedi d’après et on a accepté. Nous avons, en tant que Ligue des droits de l’homme, participé, même si nous étions plus réservés par rapport à l’organisation et à la préparation de cette marche. Finalement, ce n’était pas un échec mais on n’a pas réussi à mobiliser plus de gens que la semaine d’avant.
Non seulement il n’y a pas eu plus de manifestants mais vous avez été totalement pris en étau par la police et les pro-Bouteflika…
En effet, ils ont bloqué les manifestants en petits groupes pris au piège dans les ruelles. Après la manifestation nous nous sommes réunis encore et certains ont appelé à manifester encore le samedi d’après. Nous leur avons dit : ce n’est pas une manière de faire. En gros, c’étaient les partis politiques qui voulaient une nouvelle marche le samedi d’après. Nous leur avons dit : le but ce n’est pas de sortir chaque samedi, parce que si nous continuons de cette façon nous courons vers l’échec et cet échec pèsera sur d’autres initiatives militantes. Ils ont insisté en disant nous voulons manifester chaque samedi et nous leur avons dit : nous n’allons pas marcher tous les samedis. Notre but maintenant est de sensibiliser les gens, pas seulement à Alger mais sur tout le territoire national, en organisant des rassemblements, des meetings, petits et grands, partout où l’on peut. C’était cela notre point de divergence et c’est cela qui a causé la scission de la Coordination.
Y a-t-il aussi divergences au sein de la Ligue entre Bouchachi et Ali Yahia Abdennour qui, lui, appelle à «marcher tous les samedis jusqu’à ce que le régime tombe»?
Il n’y a pas du tout de dissensions à l’intérieur de la Ligue. Ali Yahia Abdenour est le président d’honneur de la Ligue, il agit en tant que personnalité politique. Bien sûr il y a eu les débats : on a dit qu’on n’était pas d’accord pour marcher tous les samedis et aller tout droit à l’échec. Deuxièmement, on doit respecter les Algériens et leur expliquer ce qu’on veut. On n’a pas parlé aux Algériens depuis vingt ans, alors on ne peut pas arriver maintenant pour leur dire venez manifester. Ali Yahia Abdenour pense que c’est une façon de militer, je respecte son opinion mais ce n’est pas la position de la Ligue.
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