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En Egypte, la Sécurité d’Etat fouillée à nu

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  • En Egypte, la Sécurité d’Etat fouillée à nu

    Les locaux du sinistre service de surveillance ont été pris d’assaut par les révolutionnaires, révélant une partie de ses secrets.


    Un homme sort avec des documents, récupérés dans l’immense centre de la
    Sécurité d’Etat de Medinet al-Nasr, au Caire.



    La première fois, il avait 12 ans. Ahmed Salem s’en souvient encore, et ses épaules se creusent. Il participait à un camp de vacances, organisé sans l’autorisation préalable d’Amn el-Dawla, la Sécurité d’Etat. La redoutable antenne du ministère de l’Intérieur chargée de la surveillance des citoyens, incarnation, pour les Egyptiens, de la répression. Un matin, les policiers en civil les avaient tous cueillis, enfants, adultes, et les avaient interrogés deux jours durant, yeux bandés. Les adultes avaient été tabassés et certains, raconte Ahmed, torturés : «Ils voulaient nous faire dire qu’on était des Frères musulmans.» Dix ans plus tard, il y a eu droit à nouveau. Arrêté dans une manifestation anti-Moubarak, frappé, interrogé, trois jours au trou. Mais samedi soir, c’est en homme libre qu’Ahmed, 32 ans, est entré dans les locaux de la Sécurité d’Etat, à Medinet al-Nasr, en banlieue du Caire. Libre, et enragé.

    Incendies. Avec des centaines de protestataires, il a suivi l’exemple de ceux qui, la veille, dans plusieurs villes du pays, des sables du Sinaï (est) jusqu’à ceux de Siwa (ouest), ont pris d’assaut les bâtiments pour empêcher la destruction de dossiers compromettants. Depuis le début de la révolution, des incendies «accidentels» n’ont cessé d’éclater dans les diverses antennes du ministère de l’Intérieur. Certains y voient une ultime tentative de l’appareil sécuritaire pour sauver les meubles, alors que la purge postrévolutionnaire le désigne comme principal responsable des abus et violences de l’ancien régime. «La chute de la Sécurité d’Etat est au moins aussi importante que le départ de Moubarak. Amn el-Dawla, c’est le système. Il faut tout récupérer, prouver ce qui s’est passé, montrer son visage», reprend Ahmed. A Alexandrie, la police a tiré, faisant deux blessés. Dimanche soir, les jeunes ont réussi à pénétrer en petite délégation dans le QG de Lazoghly, en plein cœur du Caire, malgré la présence des baltageyas, nervis qui tentaient d’en empêcher l’accès, et d’une armée visiblement plus tendue. Lundi, 67 policiers ont été inculpés pour destruction de documents, après l’incendie de locaux d’Amn el-Dawla.

    L’immense centre de la Sécurité d’Etat de Medinet al-Nasr, barré de longs bâtiments aux courbes blanches, avait pour surnom «la capitale de l’enfer». Samedi, avec la foule, Jamal Himdan, webmaster du site islamiste Ikhwanweb, y est entré, sous les yeux de la police militaire, en béret rouge, «qui nous a laissé faire et semblait attendre qu’on fasse le boulot nous-mêmes», raconte un manifestant. Une plongée dans la matrice de trois décennies de répression. Heures hallucinées, pendant lesquelles ils ont parcouru les immenses couloirs de marbre immaculé, ouvrant incrédules les bureaux lambrissés. Filmant avec leurs portables des dossiers déjà réduits à l’état de longs fils de papier, laminés par les déchiqueteuses. Les matraques électriques. Les cellules d’un mètre sur un, percées d’un trou, où il est «impossible de tenir assis».

    Néons Blafards.«On a vu les dossiers de filatures, les comptes rendus d’interrogatoire, les écoutes, ils espionnaient tout le monde, ceux qui étaient avec eux, ceux qui étaient contre eux», raconte, effaré, Jamal Himdan. Des personnalités, des journalistes. Des opposants, des militants des droits de l’homme. Des islamistes par dizaines de milliers, cible traditionnelle de la sécurité d’Etat. Et de simples quidams, au mauvais endroit, au mauvais moment.

    Assis à même le sol, sous les néons blafards, certains ont lu, sonnés, le verbatim de leurs appels téléphoniques ou de leurs mails. La mécanique glacée d’un système répressif dont tous dénoncent la brutalité, et l’impunité. Dans les rayonnages, les protestataires se sont même filmés avec un dossier, celui de la famille Moubarak, rempli de banalités. Découverte tellement opportune qu’elle laisse sceptique. Puis ils ont pénétré les sous-sols, de sinistre mémoire. Les couloirs où certains se sont souvenus avoir passé des jours, avec interdiction de s’asseoir ou de dormir, à entendre les cris. Un salafiste français étudiant au Caire avait ainsi longuement raconté à Libération avoir été menotté là, sur un lit de fer, torturé à l’électricité.

    Trois heures durant, les révolutionnaires, pour beaucoup des militants des droits de l’homme et de jeunes islamistes, ont parcouru les locaux vidés de leurs employés. Jusqu’à l’arrivée du procureur général à qui ils ont confié les documents, à fin d’enquête. Mais si le mot d’ordre était de laisser les dossiers sur place, l’armée fouillant les jeunes à la porte du bâtiment, certains sont pourtant sortis, diffusés la nuit même tous azimuts sur Internet. Un WikiLeaks à l’égyptienne, alimenté d’heure en heure en documents à l’origine invérifiable, et au potentiel dévastateur, s’ils étaient confirmés. L’un d’eux mettrait en cause la Sécurité d’Etat dans l’attentat antichrétien d’Alexandrie, le 1er janvier, ranimant les rumeurs qui avaient couru après l’attaque. Depuis, d’importantes manifestations coptes ont éclaté au Caire.

    «Manipulation». De nombreux Egyptiens réclament, à l’unisson des protestataires, la dissolution de cet organe sécuritaire dont les activités ont été gelées par l’armée. Difficile d’imaginer qu’il y a quelques semaines encore, ils baissaient la voix en prononçant le nom Amn el-Dawla. C’est elle que les chebab (jeunes) voyaient derrière le visage martyrisé de Khaled Saïd, battu à mort par deux policiers à Alexandrie en juin, ou les multiples disparitions, dénoncées par les organisations des droits de l’homme. Ce sont ses snipers qu’ils ont vu tirer sur la foule, pendant cette révolution où sont mortes au moins 384 personnes.

    Mais tout à l’euphorie d’avoir percé les entrailles de la pieuvre sécuritaire, les protestataires s’interrogent à peine sur la facilité avec laquelle ils ont mis la main sur des dossiers si compromettants. La presse cairote se demande si cette opération n’a pas été orchestrée. Les attaques contre la Sécurité d’Etat ont débuté au moment où l’Egypte n’avait plus de ministre de l’Intérieur, entre le départ, jeudi, de Mahmoud Wagdy, héritier de l’ancien régime, et la nomination, dimanche, de Mansour el-Essawi, général de police réputé intègre. Au moment, aussi, où s’ouvrait le procès de leur prédécesseur Habib el-Adly, dont un cédérom retrouvé dans un local apporterait la preuve, selon le quotidien Al-Masry al-Youm, qu’il a donné l’ordre de tirer sur les manifestants. Le journal s’interroge en même temps sur la possibilité d’une «manipulation» menée par la Sécurité d’Etat elle-même pour discréditer des personnalités de l’opposition et des médias dont les dossiers ont été providentiellement retrouvés. Autre piste, avancée par le site web du journal Al-Ahram, celle d’un «complot» ourdi par Mahmoud Wagdy et l’ex-Premier ministre Ahmed Chafik, proche de Hosni Moubarak, pour mener à bien une contre-révolution, que les militaires auraient fait échouer. Un scénario au parfum de guerre des services. Des voix, déjà, insinuent que l’armée, épine dorsale de la nation, n’aurait peut-être pas goûté de voir son rôle, central depuis l’époque de Nasser, diminuer pendant les dernières années du règne de Moubarak au profit de la police.


    Libération 09.03.2011
    Fortuna nimium quem fovet, stultum facit.

  • #2
    Repères : Egypte

    «Nous appelons à remettre à l'armée tout document récupéré dans les sièges de la Sécurité d'Etat, pour préserver la sécurité nationale.»
    Essam Charaf Premier ministre égyptien, en s'adressant au peuple, dimanche.

    100 000

    C'est le nombre de personnes qui travaillaient dans trois centres de la Sécurité d'Etat, à Zagazig, près du Nil, Marsa Matrouh, au nord-ouest du Caire, et Cheikh Zayed, en banlieue de la capitale.

    Amn el-Dawla

    Créés en 1913, les services de la Sécurité d'Etat (Bureau de renseignement) sont considérés comme les plus anciens appareils de sûreté du pays. Des milliers de dossier confidentiels y sont archivés, sur des personnes protégées ou surveillées. Les fiches divulgueraient également de nombreux scandales concernant la famille de l'ex-président Hosni Moubarak.


    Libération 10.03.2011
    Fortuna nimium quem fovet, stultum facit.

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