La relecture du discours de Mohammed VI, j’ai décelé le paradoxe qui suit : le roi formule « le vœu que le débat national élargi couvre toutes les questions cruciales pour la patrie et les citoyens » tout en plaçant ce débat « dans le cadre des dispositions de la Constitution actuellement en vigueur ». Or la Constitution de 1996 ne permet pas de tenir un tel débat. En effet, comment concevoir une discussion de la révision constitutionnelle quand le discours qui l’insuffle ne peut faire l’objet d’un débat ni dans les deux chambres du Parlement, ni dans la presse, ni entre citoyens. Cela est pourtant nécessaire et c'est en tant que citoyen marocain que je prends la liberté et la responsabilité de proposer une relecture de ce discours.
Le discours adressé à la Nation, en l’absence d’occasion particulière, se devait tout d’abord de trouver une justification. Ce sera la régionalisation, convenance pour donner sens à une réforme constitutionnelle et nier toute influence au Mouvement du 20 février pour la démocratie et la liberté maintenant. Le roi a non seulement l’initiative de la réforme, mais il a l’exclusive d’octroyer à ses sujets plus de démocratie, d’État de droit et de droits de l’Homme quand bon lui semble. Ainsi donc, la régionalisation fait office de prétexte pour l’érection d’un « nouveau pacte entre le Trône et le peuple ». Un contrat politique ou l’une des parties a le pouvoir de décider son amendement, quand elle le veut et comme elle le souhaite.
Une fois la présumée unanimité nationale sur la sacralité des constantes de la nation rappelée, le roi énonce sept points qui doivent guider la révision constitutionnelle qu’il propose. La constitutionnalisation des droits de l’Homme, l’indépendance de la justice, la prééminence de la chambre basse et son renforcement, la consécration du principe de Premier Ministre issu des élections et son renforcement, l’institutionnalisation de l’opposition ainsi que les dispositions pour lutter contre la corruption sont autant de mesures qui trouvent enfin écho au palais. Néanmoins, le texte reste ambigu sur au moins deux points. La séparation des pouvoirs qui y est évoquée n’est pas précisée. L’on pourrait croire, si le législatif est renforcé, le Premier Ministre devient le chef du pouvoir exécutif et l'indépendance de la justice reconnue, que la volonté du roi est d’ériger une monarchie parlementaire où il règne, mais ne gouverne plus. Cela semble pour le moins invraisemblable. Le deuxième point auquel le discours apporte peu de réponse est celui de la reconnaissance et la consécration de l’amazighité du Maroc. En effet, le mot « consacrer » fait partie de ceux dont l’usage est tellement galvaudé qu’il est vidé de son sens. Si cela veut dire la reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle, le Maroc aura fait un grand pas en avant, s’il s’agit uniquement d’ajouter un paragraphe au préambule indiquant les multiples identités marocaines, dont l’identité amazigh, on reste dans du superficiel et symbolique. Or c’est bien ce qui semble se profiler.
Un discours ne peut tout dire et celui-ci en particulier se devait de ne pas trop en dire pour laisser une marge de manœuvre à la commission qu’il institue pour la révision constitutionnelle. Il ne s’agit là que d’une tentative d’interprétation à chaud qui devra certainement être revue d’ici juin quand des éléments de réponse seront apportés. Mais qu’en est-il de la procédure choisie pour accomplir la réforme constitutionnelle ? La mise en place d’une commission dont le président ainsi que le reste des membres sont directement nommés par le roi peut-elle recevoir le label « approche participative » ? Certainement pas. Les qualités de compétence et d’intégrité sont certes nécessaires pour présider au destin politique d’un pays, mais celle d’« impartialité » a-t-elle un sens quand il s’agit précisément d’ouvrir un débat élargi sur l'avenir politique du Maroc. D’ailleurs, comment des personnes nommées par le roi peuvent-elles être impartiales ?
Tout n’est donc pas blanc ou noir et un épais brouillard plane pour l’instant sur l’avenir politique du Maroc. Seule certitude, les Marocains seront appelés à se prononcer par référendum sur un nouveau texte constitutionnel. Ce n’est pas négligeable, le peuple aura son mot à dire. Autant le faire dès maintenant. Le combat pour la démocratie, l’État de droit et le respect des droits de l’Homme au Maroc ne fait que commencer, il ne faut pas s'y tromper. Il faut continuer à se faire entendre, dans tous les espaces publics, à commencer par la rue. La marche pacifique pour la démocratie, la liberté et la dignité, prévue dimanche 20 mars, prend là un nouveau sens. Le débat est cadré, enfin : la Constitution et la réforme politique d’abord.
par Youssef Benkirane, Doctorant en science politique à l'IEP de Paris
10.03.1
Le discours adressé à la Nation, en l’absence d’occasion particulière, se devait tout d’abord de trouver une justification. Ce sera la régionalisation, convenance pour donner sens à une réforme constitutionnelle et nier toute influence au Mouvement du 20 février pour la démocratie et la liberté maintenant. Le roi a non seulement l’initiative de la réforme, mais il a l’exclusive d’octroyer à ses sujets plus de démocratie, d’État de droit et de droits de l’Homme quand bon lui semble. Ainsi donc, la régionalisation fait office de prétexte pour l’érection d’un « nouveau pacte entre le Trône et le peuple ». Un contrat politique ou l’une des parties a le pouvoir de décider son amendement, quand elle le veut et comme elle le souhaite.
Une fois la présumée unanimité nationale sur la sacralité des constantes de la nation rappelée, le roi énonce sept points qui doivent guider la révision constitutionnelle qu’il propose. La constitutionnalisation des droits de l’Homme, l’indépendance de la justice, la prééminence de la chambre basse et son renforcement, la consécration du principe de Premier Ministre issu des élections et son renforcement, l’institutionnalisation de l’opposition ainsi que les dispositions pour lutter contre la corruption sont autant de mesures qui trouvent enfin écho au palais. Néanmoins, le texte reste ambigu sur au moins deux points. La séparation des pouvoirs qui y est évoquée n’est pas précisée. L’on pourrait croire, si le législatif est renforcé, le Premier Ministre devient le chef du pouvoir exécutif et l'indépendance de la justice reconnue, que la volonté du roi est d’ériger une monarchie parlementaire où il règne, mais ne gouverne plus. Cela semble pour le moins invraisemblable. Le deuxième point auquel le discours apporte peu de réponse est celui de la reconnaissance et la consécration de l’amazighité du Maroc. En effet, le mot « consacrer » fait partie de ceux dont l’usage est tellement galvaudé qu’il est vidé de son sens. Si cela veut dire la reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle, le Maroc aura fait un grand pas en avant, s’il s’agit uniquement d’ajouter un paragraphe au préambule indiquant les multiples identités marocaines, dont l’identité amazigh, on reste dans du superficiel et symbolique. Or c’est bien ce qui semble se profiler.
Un discours ne peut tout dire et celui-ci en particulier se devait de ne pas trop en dire pour laisser une marge de manœuvre à la commission qu’il institue pour la révision constitutionnelle. Il ne s’agit là que d’une tentative d’interprétation à chaud qui devra certainement être revue d’ici juin quand des éléments de réponse seront apportés. Mais qu’en est-il de la procédure choisie pour accomplir la réforme constitutionnelle ? La mise en place d’une commission dont le président ainsi que le reste des membres sont directement nommés par le roi peut-elle recevoir le label « approche participative » ? Certainement pas. Les qualités de compétence et d’intégrité sont certes nécessaires pour présider au destin politique d’un pays, mais celle d’« impartialité » a-t-elle un sens quand il s’agit précisément d’ouvrir un débat élargi sur l'avenir politique du Maroc. D’ailleurs, comment des personnes nommées par le roi peuvent-elles être impartiales ?
Tout n’est donc pas blanc ou noir et un épais brouillard plane pour l’instant sur l’avenir politique du Maroc. Seule certitude, les Marocains seront appelés à se prononcer par référendum sur un nouveau texte constitutionnel. Ce n’est pas négligeable, le peuple aura son mot à dire. Autant le faire dès maintenant. Le combat pour la démocratie, l’État de droit et le respect des droits de l’Homme au Maroc ne fait que commencer, il ne faut pas s'y tromper. Il faut continuer à se faire entendre, dans tous les espaces publics, à commencer par la rue. La marche pacifique pour la démocratie, la liberté et la dignité, prévue dimanche 20 mars, prend là un nouveau sens. Le débat est cadré, enfin : la Constitution et la réforme politique d’abord.
par Youssef Benkirane, Doctorant en science politique à l'IEP de Paris
10.03.1
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