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Libye-Egypte. Retour à la case misère

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    Libye-Egypte. Retour à la case misère

    Des milliers de travailleurs égyptiens fuient le régime de
    Kadhafi dans la précipitation et la peur. Ils rentrent au pays, désargentés, désenchantés. TelQuel a fait le voyage retour avec l’un d’entre eux.

    Mahmoud cherche désespérément le sommeil. En vain. Daha, le chauffeur du minibus déglingué qui le ramène en Égypte, à Sohag, sa terre natale, pointe à 140 kilomètres à l’heure, musique à fond, cigarette au bec et téléphone à l’oreille. Pleins phares, il se faufile dangereusement entre deux poids lourds lancés sur l’autoroute à deux voies, double régulièrement par la droite, fonce comme s’il était dans un jeu vidéo. Mahmoud, installé à l’avant, “la place du mort”, prie, tremble, gronde. S’il a fui Mouammar Kadhafi et ses milices, “des fous, des bouchers”, ce n’est pas pour mourir dans un accident de la circulation à l’heure où il rentre au pays après un an d’absence.

    Oublier Al Baïda
    Il voudrait fermer les yeux. Oublier, durant quelques heures, le cauchemar d’Al Baïda, cette ville aujourd’hui “libérée” entre Benghazi et Tobrouk, à l’est de la Libye, qu’il a dû quitter en catastrophe, avec ses collègues ouvriers, après des jours de chaos, de frappes aériennes, retranché dans le deux-pièces qu’ils partageaient à plusieurs. Il voudrait se remettre de ses péripéties jusqu’au poste-frontière égyptien de Salloum, ce no man’s land entre désert et mer Méditerranée, balayé par des tempêtes de sable, qui marque la séparation entre les deux pays, véritable camp de réfugiés depuis la répression sanglante menée par “le guide suprême”, où les ressortissants égyptiens mais aussi libyens, chinois, philippins, vietnamiens... affluent par milliers, jour et nuit.

    A l’arrière du minibus, ses camarades d’infortune, tous des voisins de Sohag, cette ville au nord d’Assiout, au riche passé pharaonique, ronflent, recroquevillés sur les banquettes déchirées, le visage enfoui sous leur turban, noir de poussière. Ils sont épuisés, sonnés, vidés. Sur le toit du véhicule, deux tonnes sont solidement ficelées, entassées dans des valises et des sacs de farine. Des casseroles et des brouettes, des pelles et des couvertures, un ventilateur et une petite télé. Des années de vie à Al Baïda. L’unique richesse de ces immigrés qui s’en retournent chez leurs épouses, tête baissée, sans argent : “On a reçu nos salaires mais la monnaie libyenne ne vaut plus rien aujourd’hui. Un dinar valait 4,5 livres égyptiennes, il n’en vaut plus que 1,5”.

    Du bout des lèvres, Mahmoud raconte comment ils ont traîné leurs baluchons jusqu’à la ligne-frontière, ballottés d’autobus en camionnettes, de check-point en poste de contrôle, laissant derrière eux un paysage de guerre, des murs criblés de balles, des casernes incendiées, des maisons bombardées, des cadavres dans les rues. Ils ont croisé des dizaines de compatriotes sur les routes, terrorisés par le discours du fils de Kadhafi, Seif Al Islam, qui a accusé les Égyptiens et les Tunisiens d’être à l’origine du complot contre le pays.


    La liberté, pour quoi faire ?
    Certains leur ont montré des vidéos sur leurs téléphones portables, où l’on découvre des scènes atroces, comme ce mercenaire africain pendu par la foule d’insurgés à Benghazi. Mahmoud préfère “ne pas en parler”, ne pas s’étendre sur ce qu’il a vu, entendu. Il ne veut “pas d’ennuis”. Pas plus qu’il n’a envie de disserter autour de la nouvelle Égypte, née au lendemain de la chute de Moubarak, qu’il a suivie, de loin, à la télévision : “Ce n’est pas pour moi. Je n’étais ni pour, ni contre”.

    Mahmoud ne supporte plus le mot “thawra”, révolution en arabe. “Pourquoi les gens et Al Jazeera ne parlent que de ça ? Qu’est-ce qu’ils veulent ? Le chaos ? C’est gagné. Je n’ai plus de travail, plus d’argent. Comment je vais nourrir ma famille maintenant ?”. Il appartient au “peuple des campagnes”, qui mène une vie humble et sans éclat, un “Saïdi” aux dents jaunes, à la “galabieh” trouée, aux souliers usés, qui ne sait ni lire, ni écrire, ni surfer sur les réseaux sociaux. Il est un homme du Saïd, de Haute-Égypte, cette région conservatrice à 500 kilomètres au sud du Caire, meurtrie par le chômage et la pauvreté.

    Dans son fief, point de kermesse démocratique, de concerts de klaxons, de danses endiablées comme sur la place Tahrir, quand le raïs est tombé de son trône. On n’a pas repeint les troncs d’arbre, les trottoirs, les lampadaires en rouge blanc noir. On n’a pas crié “liberté”. Parce qu’on ne sait pas ce que c’est. Parce qu’on est englué dans la misère, qu’on a d’autres préoccupations, plus terre à terre, plus urgentes : nourrir sa famille, trouver du pain.

    300 dinars par mois
    Par désespoir économique, Mahmoud a migré au pays des pétrodollars, il y a deux ans, emboîtant le pas à des millions d’Égyptiens qui transhument vers la Libye ou les pays du Golfe dans l’espoir d’une vie meilleure. A 48 ans, il a délaissé sa maison en brique crue, ses deux femmes et leurs six enfants.

    Auparavant, il a tenté sa chance avec les touristes de Louxor mais “ça ne payait pas”. “En Égypte, je gagnais à peine 300 livres par mois (moins de 40 euros)“. A Al Baïda, il s’en sortait, travaillait dans la construction, enchaînait les chantiers, les heures même si “les Libyens n’étaient pas toujours très sympas”. Chaque mois, il gagnait environ 300 dinars, soit un peu plus de 1 300 livres (environ 160 euros) et mettait de côté 100 dinars qu’il envoyait à sa famille. “Si je ne travaille pas, mes enfants ne mangent pas”.

    Tandis que le minibus trace la route et approche de la capitale, l’équation le taraude. La faim aussi. Encore six heures d’un interminable voyage. Mahmoud grignote chips sur pépites, rêve d’un vrai repas, d’un bol de riz, d’un morceau de viande. Il lui reste quelques pièces mais il les flambe, à la première station-service, dans un assortiment de savons parfumés à la rose. Un cadeau pour ses deux femmes. Il a hâte de les retrouver. Et peur de ne pas reconnaître ses garçons et ses filles dont il a oublié l’âge exact. Peur surtout de l’avenir, “el moustakbal”, cette grande inconnue.

    Exode. La Tunisie croule sous les réfugiés
    Depuis le début de l’insurrection libyenne, plus de 85 000 personnes ont pris la fuite en direction de la Tunisie. A la frontière, la foule s'étend “sur des kilomètres et des kilomètres à perte de vue”, a déclaré mercredi une porte-parole du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Mercredi, les autorités ont ouvert le poste-frontière de Ras Jedir, dans le sud du pays, où affluent chaque jour quelque 10 000 réfugiés. Elles réclament désormais une intervention de la communauté internationale afin d'assurer le rapatriement des migrants, en grande partie égyptiens. “Si ça augmente, on va avoir une catastrophe humanitaire, surtout du point de vue sanitaire”, s'est inquiété le colonel Dachraoui, cité par l'AFP. La France, mais aussi l’Italie, le Royaume-Uni et l'Allemagne, ont promis des aides logistiques. Le Maroc, de son côté, a décidé d’envoyer sur place une quarantaine de médecins. Benjamin Damade .

    http://www.telquel-online.com/463/actu_monde1_463.shtml
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