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Le «peuple introuvable» de la CNCD

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  • Le «peuple introuvable» de la CNCD

    Par Mohamed Bouhamidi

    La presse locale ultra libérale fera-t-elle école en matière de logique ? Il faut croire que oui ! D’un côté, elle porte à bout de bras les arguments de la CNCD selon lesquels l’échec des marches est dû à la peur des Algériens et à la présence policière. Elle titrait fièrement, en première page, l’injonction d’Obama et de Sarkozy de laisser marcher les marcheurs. Avec, en prime, la mise en forme nécessaire pour comprendre l’ingérence d’Obama et de Sarkozy comme une menace à l’endroit du pouvoir mais aussi comme une invitation à prendre courage, à marcher sans crainte. «Allez-y nous sommes là » ! Quel triomphalisme dans la mise en forme, dans l’explicite du texte et dans l’implicite de la maquette. Bref moment de triomphe mais vraiment trop bref, trop court, trop frustrant. D’autant plus frustrant que la conviction était là – quasi religieuse – que le peuple allait suivre ! Le peuple n’a pas suivi. Dès les premiers échecs patents de ces marches, la CNCD et les journaux qui l’ont créée, portée, soutenue, inspirée ont avancé les arguments de la peur et du dispositif sécuritaire. Les mêmes journaux avaient célébré l’audace des émeutiers de l’huile et du sucre face aux mêmes brigades antiémeute qui n’avaient pas pu empêcher les manifestants de manifester et les casseurs de casser. Peuple audacieux un jour, peuple apeuré le lendemain. Avons-nous affaire au même peuple jour après jour ? La question vaut son pesant de significations. Car, au fond, si le lecteur a bonne mémoire, dès la fin des manifestations, des émeutes ou de la révolte du sucre, selon les différents vocables employés, la presse ultra libérale a, dans un bel ensemble, établi le constat que «les couches moyennes devaient prolonger les révoltes». Dit pratiquement dans les mêmes termes, tout à fait comme d’habitude, dans une pulsion de pensée unique et de langage unique. Le parti unique sous différents habits, c’est aussi cela le credo «démocratique» ailleurs dans le monde - allez cherchez une vraie différence entre Bush et Obama, à part l’élégance des propos - ou les gestions de droite et les gestions sociales-démocrates en Europe ?Toute honte bue, cette thèse de relayer le mouvement de protestation de l’huile par une action politique des couches moyennes postule un ordre, une hiérarchie des rôles et des fonctions. Le mouvement plébéien ayant accompli son rôle de casse et de création d’une tension devrait laisser la scène aux couches sociales investies en droit de penser à leur place.

    Chacun son métier. Au peuple, le travail de terrassement politique, aux couches moyennes le rôle de direction. Ces analyses furent immédiatement traduites en termes politiques. Il fallait achever le travail commencé par les importateurs, maquillés ou non dans la mise en bouteille de l’huile, et les grossistes. La CNCD devait suppléer la faiblesse politique et sociale du candidat à une prise du pouvoir ordonnée et coordonnée par les grandes puissances pour évincer cette «génération de Novembre» qui bloque toute «normalisation» de ce pays. La suite concrète de la CNCD est connue. L’échec de cette structure est si patent que les partis politiques et la CNCD - comme la presse qui l’inspire – sont obligés de reconnaître qu’ils n’ont pas fait le travail d’approche auprès des populations et des quartiers. C’est exactement le reproche fait par les dissidents de cette structure qui soulignaient que le peuple ne pouvait adhérer à des marches qui ignoraient ses problèmes, ses préoccupations et ses revendications. Politiquement, le langage des dissidents est, bien sûr, plus correct, plus proche des besoins militants mais en réalité il a mis du cosmétique sur une tentative de faire main basse sur la«représentation populaire» comme s’il était vrai et naturel que cette structure représentait le peuple. Mais il ne faut pas croire que cette démarche des partis politiques de la CNCD est une évaluation critique de leur démarche et de leurs buts. La CNCD, aujourd’hui comme hier, veut le départ du système.


    Que veut dire le mot système appliqué à la politique ? Rien, bien sûr, ce mot permet de rester justement dans une abstraction au-dessus de ce peuple invoqué par la CNCD et qui, une fois marche et manifeste et, une autre fois, a peur de se montrer. Un confrère a cruellement souligné que les journaux et la CNCD se contorsionnaient à expliquer la peur des masses au moment même où ces mêmes masses faisaient grève, manifestaient, marchaient, y compris dans Alger. La cerise sur la gâteau reste quand même cette grève des ouvriers de la SNVI qui réclament des managers et des gestionnaires compétents ; une grève pour que les mesures au profit du secteur d’Etat ne perdent pas tout bénéfice par le «savoir-faire» de managers et de Conseils de participants formatés au coulage des usines publiques et à leur bradage. Le problème est que ces masses - étudiants, médicaux et paramédicaux, employés du Trésor, cheminots, etc. - se battaient et se battent toujours pour leurs intérêts de classe, pour leurs intérêts catégoriels, pour les intérêts que les réformes ont piétinés. Et que les réformes ont piétiné quand les travailleurs étaient confrontés au dilemme de savoir s’il fallait se lever contre les réformes libérales au risque de donner un coup de main involontaire aux projets terroristes ? Entre la mort lente par les réformes et la mort immédiate de l’Etat national né de sept ans de guerre, ils ont mis les intérêts de la nation au-dessus de leurs intérêts catégoriels. Il restera difficile pour cette presse ultra libérale de comprendre ce que veut dire le sens patriotique.


    Un titre phare de cette presse a publié un article au vitriol contre la poursuite de la grève des cheminots. Il faudra rappeler à tous, y compris le pouvoir, le comportement héroïque des cheminots pendant les années terribles du terrorisme. Combien d’attentats ont visé le rail de Palestro à Aïn Defla ? Combien de cheminots morts ou marqués physiquement et nerveusement par le stress ? Les dirigeants de ce «grand journal» qui a publié cet article imaginent-ils un instant que, par peur, les cheminots arrêtent le travail et suspendent le transport des carburants vers l’Ouest ou vers l’Est ? Cette presse ne peut pas comprendre ce que veut dire le sens patriotique, ce que veut dire encadrer ses intérêts catégoriels dans l’intérêt général de la nation. Pour quelles demandes locales les cheminots de la région d’Alger ont prolongé le mouvement ? On ne le sait pas. A cette haine des cheminots s’ajoutent cette levée de boucliers et cette rage à l’occasion des mesures prises par le gouvernement en faveur de la jeunesse réduite aux seuls côtés de la création de petites et de microentreprises. L’aspect le plus important de ces mesures a été volontairement ignoré : les milliards de dinars qui accompagnent les instructions pour les entreprises publiques d’investir, de créer de l’emploi et, dans l’immédiat, de recruter les jeunes diplômés.

    La grève de la SNVI allait dans le même sens. Ces mesures ne doivent pas servir à ramener de vieux retraités convaincus de la vanité d’une industrie nationale mais servir à recruter des jeunes qui peuvent, à défaut d’autres choses, ramener leur sincérité. Le peuple a marché. Même les gardes communaux ont marché. Ils ne furent pas dix mille ; peut-être mille ou mille cinq cent. Mais le fait de gonfler le chiffre pour créer une atmosphère d’apocalypse montre à quel point leurs analyses sur l’échec de la CNCD relèvent du dépit. Le peuple marche mais ne marche pas dans la bonne marche. Il marche vers l’hôpital Mustapha, vers le ministère de l’Enseignement supérieur, vers l’Assemblée populaire nationale, il marche sur les rails pour arrêter les trains, il marche dans les grandes écoles et dans l’usine de véhicules industriels. Mais il ne marche pas avec la CNCD. Il ne marche pas avec l’ultra libéralisme qui a pris la démocratie pour cheval de Troie. Biens sûr, cette profusion de marches populaires correspond aussi à un moment tactique important pour la classe ouvrière et pour les travailleurs en général. Quand la CNCD croit que les révoltes du jasmin ou du Nil lui ont offert Bouteflika sur le plateau, la classe ouvrière, pourtant orpheline d’un grand parti ouvrier et d’un puissant mouvement syndical unitaire même dans la diversité, a compris que cette déstabilisation générale programmée en partie ou en totalité a pour but de mettre à niveau la prise en main des peuples arabes par des régimes mieux calibrés à leurs nouvelles caractéristiques. Elle a compris qu’il s’agit d’une recolonisation du monde arabe et de l’Afrique par la fabrication de «leaders de droite» à des «révoltes de gauche» pour reprendre le vocabulaire de l’Occident. L’affirmation de leurs revendications permet aux travailleurs de casser cette dynamique «naturelle» d’aller à plus de libéralisme pour régler les problèmes insoutenables de chômage, de mal-vivre, de dignité dans lesquels nous ont plongés les médications ultra libérales du sous-développement. C’est une façon pour eux de dire que l’alternative n’est pas entre le libéralisme du pouvoir et l’ultra libéralisme d’une «opposition de la CNCD qui a décidé qu’elle représentait de facto un introuvable peuple insurgé. Plus l’Etat tiendra compte des travailleurs et des besoins du peuple et plus il deviendra leur Etat, au moins en partie, et plus ils seront déterminés à le défendre. Déjà ces grèves permettent au moins d’isoler les orientations compradores en son sein. Comment fera cette presse pour parler de cette marche du 19 mars initiée par des jeunes à partir de Facebook et dont les initiateurs ont barré d’une croix le leader qui attend de la CNCD qu’elle le mène au pouvoir avec la baraka active des ambassades de France et des Etats-Unis ? Ce n’est pas que la classe ouvrière qui n’aime pas les décorés de l’ordre de la démocratie ultra libérale. Même les jeunes ne l’aiment pas non plus. Alors là, oui, il est urgent pour notre presse ultra libérale et ses stars du samedi de se demander : c’est quoi ce peuple ?

    La Tribune
    « Great minds discuss ideas; average minds, events; small minds, people. » Eleanor ROOSEVELT
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