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Belayel (Adrar Aberkane) Village perché

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  • Belayel (Adrar Aberkane) Village perché

    Un beau voyage en Kabylie à Belayel.

    Le véhicule à bord duquel nous sommes roule à vive allure sur cette piste étroite et parsemée de nids-de-poule qui mène à Belayel. Pas l’ombre d’êtres vivants ou de véhicules sur notre chemin. Benatia Omar au volant, Louez Mouloud, Hamouche Rachid et Moussaoui Mohamed, qui ont bien voulu nous accompagner, s’emploient avec plaisir à nous fournir le plus d’informations sur ce village. Tout à coup, notre bavardage s’interrompt pour nous abandonner spontanément à la contemplation de ces beaux paysages rocheux et chaotiques qui s’offrent gracieusement à nos yeux.

    Nous arrivons, enfin, à Belayel, village situé à l’extrémité sud de la wilaya de Béjaia, sur le flanc nord des Bibans. Il est à environ 24 kilomètres du chef-lieu de la commune d’Ighil Ali. Il est constitué, au sommet de la montagne, d’un ensemble de maisons, de style kabyle ancien pour la plupart, enchevêtrées et traversées par d’étroites ruelles qui se retrouvent toutes à la place des Martyrs, lieu de prédilection des vieillards. Tout en bas, des hameaux éparpillés ça et là et joints par des pistes agricoles. Plus bas encore, en empruntant à pied un sentier sinueux, serpentant à travers des oliviers millénaires et des figuiers, au gisement de sel (tamellaht) où se pratique la saliculture depuis plusieurs générations. Mais avant d’arriver là, on ne peut s’empêcher de faire une halte à une grotte «Lghar n Menguigou». Une mystérieuse grotte dont les parois sont couvertes de sel et très profonde où l’on entend le ruissellement de l’eau. «Il est trop risqué de pénétrer à l’intérieur», nous dit-on.

    Le village bénéficie d’une situation privilégiée dominant toute la vallée de la Soummam et surplombant un océan de crêtes et de montagnes. A perte de vue, les horizons bleutés de la chaîne montagneuse du Djurdjura semblent se confondre avec le ciel bleu de cette belle journée printanière. Ici, même les montagnes ont un nom. Elles sont nombreuses à ceinturer la localité et à veiller sur elle. Et on les appelle affectueusement «Adni», «Ajroud», «Iger g-gighil», «Amalou Abdoun», «Tizi Tqechrin», «Ich g-Gewrir» ou encore «Chekbou». Plusieurs villages sont visibles de Belayel, tels que Tiniri, At-Serradj, La Kalaa Nath Abbas, Zina. De nos jours, Belayel est l’un des villages les plus peuplés de la commune d’Ighil Ali et dispose d’une antenne de la mairie.

    «Belayel, mon beau village !»

    Qu’on l’appelle «trou», «bled», «patelin»,… Belayel demeure fier de ses nombreux enfants qui l’idolâtrent plus que tout et qui lui sont restés fidèles. Même au plus fort des années de plomb, pendant la décennie noire qui a vu tant de villages réduits à néant, ses habitants y sont restés et se sont organisés pour le protéger. Présentement, le village demeure –et quelle belle victoire!- peuplé et la masse juvénile y est très importante. S’ils ne sont pas dans les champs, on les retrouve dans des cafés (des cafés, il y en a plusieurs !) jouer aux dominos ou aux cartes. Ils pataugent certes dans le chômage et son corollaire l’oisiveté, mais ils ne perdent pas espoir d’un avenir meilleur. «Chez nous, nous ne vivons pas, nous tenons juste compagnie aux vivants !», ironise l’un de ces jeunes. On réduit à l’autodérision la morosité du quotidien, mais, convaincus que tant qu’il y a la vie, il y a l’espoir, ces jeunes agissent pour se prendre en main. Ils sont organisés dans l’association du village qui porte le nom de l’une des illustres personnalités locales, en l’occurrence Mouloud Kacem Nait-Belkacem. Un programme riche en activités est arrêté pour faire sortir le village de son quotidien prosaïque.

    Si Belayel n’a pas connu de désertification, à l’instar de bon nombre de villages et bourgades, pour des raisons que tout le monde connaît, c’est parce que la solidarité n’y est pas un vain mot. C’est tout le secret des délices de la vie en groupe. L’ambiance bon enfant, qui caractérise cette contrée est on ne peut plus, une preuve de cette réalité.

    L’absence de prise en charge des pouvoirs publics oblige souvent les villageois à se rabattre sur leurs propres moyens pour la réalisation de certains projets pour le village.

    Ici, l’Histoire se lit à ciel ouvert

    A notre arrivée à Belayel, le premier que nous avons abordé est Boukrous Houcine qui, sans transition, évoque le passé glorieux du village. Ammi L’Houcine, le front ridé, fier et bien dans sa peau, se sentant plus à l’aise dans la langue de Molière, nous fait un aperçu de l’Histoire du village en commençant par sa toponymie. Il se trouve que "Belayel" est un nom composé de «Bla» (Sans, dépourvu) et «Ayal» (propriétaires). «Selon l’Histoire orale transmise par nos aïeux, notre village a été fondé au IX siècle par un saint du nom de Mhend Serradj. Dans sa quête d’un lieu pour y habiter, ce saint aurait confié à son entourage qu’il désirait habiter sur un territoire qui n’a pas de propriétaires, d’où le nom de Belayel», raconte M. Boukrous. Et d’ajouter : «Les habitants du village At-Serradj seraient les descendants de ce saint et les anciens de Belayel furent ses adeptes».

    Lors de notre virée dans ce village, nous avons constaté que l’histoire locale intéresse jeunes et vieillards, on tient à ce qu’elle soit transmise de père en fils. Du récit des uns et des autres, on comprendrait que le village a toujours été au rendez-vous de l’histoire du pays. Il a donné nombre de ses valeureux enfants pour libérer le pays du joug colonial. Pendant la guerre de Libération, il a été le lieu de pèlerinage de nombreuses personnalités de renom et de héros de la révolution, à l’image de Krim Belkacem et du Colonel Amirouche dont on retrouve les portraits sur le portail du cimetière des martyrs du village.

    Situé juste à côté de l’historique Kalaâ Nath Abbas, berceau d’El-Mokrani, de par sa situation stratégique, Belayel a eu un rôle important pendant l’insurrection kabyle de 1871. Soulignons par ailleurs que Belayel a un autre nom qui est Adrar Aberkane (La Montagne Noire).

    Les lumières de Belayel

    L’école de Belayel date du début du XX siècle. Elle représente aux yeux de la population locale un repère patrimonial important. Parmi les brillants élèves l’ayant fréquentée pour apprendre les premiers rudiments de la langue française, on cite un ancien ministre de l’Algérie indépendante et émminent penseur, en l’occurrence Mouloud Kacem Nait-Belkacem. Cet homme reste incompris et énigmatique aux yeux notamment des siens. Nombreux sont ceux qui le considèrent injustement comme le défenseur d’une idéologique opposée à l’identité amazigh. Il nous a fallu aller dans son village natal pour saisir vraiment l’envergure de l’homme qu’il était. Ecoutons, à titre d’exemple, cet extrait du témoignage de son frère: «A l’époque où Mouloud était ministre et où l’acharnement du pouvoir algérien contre la question berbère était à son paroxysme, lors d’une réunion qu’il a tenue avec les officiels de l’époque, il était question de décréter une loi interdisant l’usage de la langue amazighe dans les lieux publics. L’annonce de cette loi inique a provoqué l’ire de mon frère qui a quitté la table de réunion en lançant ironiquement à ses pairs : "Alors avec cette loi, vous voulez m’interdire de parler avec ma mère !"». Mouloud Kacem était polyglotte et doté d’une grande intelligence. De son vivant, il rentrait chaque week-end chez lui dans son village et, par principe, il n’y allait jamais avec ses gardes du corps. L’homme était populaire et n’hésitait pas à prendre des personnes en auto-stop. Mouloud Kacem a eu deux enfants : Sa fille s’appelle Eldjazair et le garçon Jugurtha.
    Belayel est aussi le village d’origine de l’éminent chercheur en linguistique et civilisation berbères, en l’occurrence Kamel Nait-Zerrad, auteur de plusieurs ouvrages de référence dans ce domaine. A ce sujet, «La diaspora» belayelienne est à l’avant-garde de la promotion et de la défense de l’identité amazighe.

  • #2
    La grisaille culturelle

    De cette montagne où est perché Belayel, la ville d’Akbou –qui est la destination de prédilection des enfants de la région- apparaît à la fois minuscule et toute proche, mais pour l’atteindre, ce n’est pas une mince affaire au vu du manque de transport. «Ay Aqbu, ay Aqbu !» (Ô Akbou, ô Akbou !), soupire un jeune homme comme pour exprimer un supplice de Tantale.

    «Jadis, le manque de commodités n’a pas empêché les villageois d’être heureux», nous dit un autre jeune. Et d’enchaîner : «De nos jours, les villageois vivent avec la mentalité et les besoins des habitants de la ville, alors qu’ils résident dans des zones rurales dépourvues des plus vitales des commodités. C’est ce qui accentue la déprime des jeunes villageois».
    Outre l’emploi, les jeunes souhaitent que leur village soit doté de structures culturelles. «L’absence d’activités culturelles et de loisirs expose nos jeunes à divers fléaux», déclare un membre de l’association du village. Et de poursuivre : «Vu l’importance de la masse juvénile chez nous et afin de l’épargner des dérapages, nous réclamons la construction d’une annexe d’une maison de jeunes et la création de terrain de proximité».

    Bien sûr que cette déplorable situation touche aussi et surtout la gent féminine. L’aide de l’Etat destinée à encourager l’activité de la femme rurale ne peut avoir de sens que lorsqu’elle touche cette tranche de la société. Manifestement, les fillettes villageoises d’aujourd’hui sont résolues à se battre pour arracher la place qui est la leur. Pour cause, parmi les 80 élèves de ce village, on dénombre au moins une cinquantaine de filles qui font quotidiennement la navette entre le collège d’Ighil Ali et Belayel et ce, en dépit des difficultés quotidiennes dues essentiellement au manque de transport. Elles sont déterminées à s’instruire, avoir un diplôme, travailler et jouer leur rôle de citoyennes à part entière.

    Sempiternelles tracasseries du quotidien

    De l’eau potable à la santé en passant par la scolarité des enfants, les habitants de Belayel font face à une multitude de problèmes qui rend ardu leur quotidien. «Autrefois, le centre de soins de notre village était visité de façon hebdomadaire par un médecin et un dentiste, ce n’est plus le cas aujourd’hui», déplore un citoyen. Même le centre de santé situé au chef-lieu de commune ne répond plus aux besoins des citoyens. «Pour se soigner, il faut donc aller jusqu’à l’hôpital d’Akbou !», ajoute-t-on.
    Le village Belayel est confronté également au problème épineux lié à l’eau potable. Dernièrement, suite à une initiative d’un groupe de citoyens, une tierce personne a accepté de financer le projet de forage d’un puits qui est actuellement en cours de réalisation. Celui-ci même s’il ne résout pas totalement le problème, est perçu comme une bouée de sauvetage par les habitants de ce village, surtout avec la saison chaude qui s’approche.
    La scolarité des enfants, voilà bien un casse-tête chinois pour les chérubins de Belayel. Le principal problème : le manque de transport sur la ligne Ighil Ali-Belayel. Les élèves se trouvent astreints de faire le tour des villages Ouizrane, Guenzet, Timdouchine, Bouchekfa et Guendouze pour atteindre Ighil Ali, ce qui augmente leurs dépenses quotidiennes et leur fait perdre un temps fou.

    Le revêtement de la piste automobile, l’ouverture de pistes agricoles, l’électrification de certains endroits du village, etc., sont autant de réclamations de ces villageois qui aspirent à des conditions de vie meilleures. Les responsables de la municipalité leur promettent de faire leur possible pour venir à bout de ces difficultés.

    Le sel, l’olivier et le figuier…

    Belayel est célèbre par la fabrication et le commerce du sel. Le fameux gisement de sel (Tamellaht) est aujourd’hui presque à l’abandon. Le métier de la saliculture transmis de père en fils risque de s’éteindre à jamais. Les villageois tiennent à la redynamisation de cette activité et à lui rendre ses lettres de noblesse. A ce sujet, le concours de l’Etat est plus que jamais requis dans le cadre du plan de développement rural. L’oléiculture occupe également une place prépondérante à Belayel. Le village compte plusieurs huileries dont celle du célèbre richissime, le défunt Oufala. L’agriculture, le travail de la pierre, et j’en passe, la richesse de Belayel est dans la nature, il suffit de savoir en faire usage à bon escient.

    En tout cas, ce qui ressort de notre virée à Belayel, c’est que les habitants sont attachés à leur village et leur espoir -et c’est celui des habitants des villages limitrophes- est lié au projet de création d’une zone d’activités commerciales à Boni. Celle-ci désenclavera sans doute le patelin en entier et lui permettra d’être ce qu’il doit toujours être, c'est-à-dire la plaque tournante entre Béjaia et Bordj Bou Arréridj qui rapprochera ces deux wilayas voisines et intimement liées par l’Histoire.

    Par la dépêche de Kabylie

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